13 septembre 2015

Ma première séance (cinq).

Une fois les pompiers repartis, je suis resté deux belles heures assis sur mon brancard rangé dans le couloir. Autour ça s’affairait mais personne ne venait me voir. On règle d’abord les gros problèmes et on s’occupe de vous après m’a envoyé une infirmière sans même me jeter un œil. Vous n’allez pas mourir, n’est-ce-pas ? J’ai l’intention de tout faire pour éviter, j’ai répondu. Après le premier examen rapide, ils m’avaient filé un doliprane mille et un bon pour une radio du dos. Je leur avais dit que ça ne servirait à rien mais ils ne m’avaient pas écouté. Du genre c’est qui les docs ici ? Et m’avaient conseillé de me détendre. Tu parles. J’étais comme une corde d’arc avant le décochage. Je commençais à désespérer quand, vers le milieu de la nuit, une blouse blanche s’est approchée. J’ai vu à son badge que c’était un interne. Ma parole mais ils les recrutent à douze ans et demi je me suis dit. Quand j’étais plus jeune, je les trouvais très vieux et maintenant je me demandais s’il savait lire… Alors qu’est-ce-qui nous arrive m’a-t-il dit comme on parle à un enfant de six ans.
C’est à cause de Vakrasana… Va qui ? Jeune, interne mais inculte ça nous promet un beau corps médical j’ai pensé. Et c’est ce type là qui va diagnostiquer. Je ne suis pas sorti, j’ai continué.
J’ai dû expliquer plus avant. Et tout le temps où je racontais j’ai bien vu qu’il se retenait de rire. Jeune, interne, inculte et stupide. En même temps je ne pouvais pas lui donner tout à fait tort. Mon affaire était vaguement risible. Mais si ça ne vous fait rien je suis le seul à décider.
Dès le lendemain matin, j’ai passé une batterie d’examens qui m’a pris une bonne partie de la journée. J’étais un peu moins tordu et j’avais même réussi à m’allonger sur le dos. Les investigations n’ont rien révélé d’alarmant. Ils m’ont même envoyé un ostéopathe qui m’a fait une séance juste après le repas de midi. Enfin, quand je parle du repas… Si tu n’es pas trop malade avant de l’essayer, s’il te prenait la bêtise de l’avaler tu es à peu près certain de le devenir. Malade.  
L’ostéopathe était aussi hypnotiseur, j’en avais entendu parler mais je ne savais pas qu’ils bossaient à l’hôpital. Quand il a terminé sa séance c’est un homme neuf qu’il a eu entre les mains. J’allais tellement bien, j’étais tellement détendu, apaisé qu’il m’appelé le miraculé et un taxi. Je pouvais rentrer chez moi ce qui était la meilleure nouvelle de la journée. Après les formalités d’usage et le paiement de ma folle nuit, je suis descendu à la cafétéria prendre un café et attendre mon taxi. C’est là que je l’ai vue. Elle était dans un fauteuil roulant devant une tasse de thé.
Je l’ai reconnue de dos à sa tresse. Je me suis approché d’elle avec mon fauteuil à moi oui, j’allais mieux mais je ne devais pas remarcher pendant deux trois jours. Pour éviter que ça vous reprenne avait dit le gamin.
Je vous ai reconnue lui ai-je dit. Le yoga chez Gisèle j’ai précisé. Je suis dans le même cours que vous. Enfin j'étais.
Elle m’a regardé comme si elle ne m’avait jamais vu ce qui n’était pas loin de la réalité.
Mais que faites vous là ? J’ai demandé. Quand j’ai vu que vous n’étiez pas là hier soir je n’ai pas pensé à l’hôpital, je ne savais pas que vous étiez malade ? Blessée ?
Ce n’est rien m’a-t-elle raconté, c’est juste Matsyasana qui est très mal passée. Je me suis retrouvée bloquée dans la nuit.
C’est dingue j’ai dit j’en sors. Je m’en vais dire deux mots à Gisèle : Deux blessés graves le même jour elle déconne quand même.
Elle n’y est pour rien, c’est  moi qui n’était pas assez concentrée ou j’ai voulu aller trop vite. Vous parlerez à Gisèle pour vous si vous pensez que ça peut vous soulager mais laissez moi en dehors de tout ça. Je l’ai eue au téléphone, ce matin, elle était désolée pour moi. En six ans de pratique c’est la première fois que ça m’arrive. Un jour sans, un accident. Vous savez ce que c’est qu’un accident ? Quelque chose qui n’arrive jamais mais qui, cependant arrive. Mais vous que faites vous là ?
Je lui ai raconté ma Vakrasasana de travers et mon blocage.
C’est le métier qui rentre vous deviez avoir une fragilité. Si vous voulez je peux vous donner l’adresse d’un chaman. Pour les dos abimés c’est un génie. Il va vous transformer en jeune homme fougueux. Un de ses ancêtres guérissait les cavaliers comanches, c’est dire…
Avant de parler à Gisèle vous connaissez le test des trois passoires ?
Non. Dites moi.
Hé bien avant de s’adresser à quelqu’un il faut passer ce qu’on veut dire au travers de trois passoires. La première c’est la vérité. Ce qu’on souhaite dire, est-on certain que ce soit vrai. Ne pas dire le vrai serait assez moche, non ? La deuxième c’est la bonté. Ce que l’on veut dire est-ce bienveillant ? Et ma troisième passoire c’est l’utilité. Ce que je veux dire est-ce utile ?
Si je vous suis, on ne dit jamais rien à personne alors.
Bravo, bien vu, vous avez raison : On ne dit jamais rien qui ne soit vrai, bienveillant et utile. Si on respectait ces principes, ça supprimerait pas mal de conneries  prononcées. Vous êtes d’accord avec moi, n’est-ce-pas ?
Comment ne pas l’être, vous m’embrouillez sacrément, vous.
Si c'était un des effets du yoga, elle était vachement en avance sur moi…
Après un silence pendant lequel elle a avalé une ou deux gorgées de son thé devenu froid et elle m’a dit :
On se voit à la prochaine séance ?
Oui, oui, volontiers, j’ai répondu.
Alors, nos deux fauteuils se sont mis à rouler vers la sortie.
Au revoir, je lui ai dit. Et ça c’était vrai, bon et utile. En même temps si c'est à ça que ça amenait, est-ce-que ça valait vraiment le coup de continuer...

Dans le taxi qui me ramenait chez moi, je me murmurais ces trois mots comme un mantra. Mon mal de dos, lui, était en train de totalement disparaître.
Le type qui m’entendait marmonner m’a demandé ce que je foutais. Je lui ai raconté le vrai, bon et utile.
Après un silence il a laissé tomber : Si on ne peut plus ni mentir, ni être méchant et ne rien dire gratuitement on n'a pas fini de s’emmerder !

Je ne pouvais pas lui donner tort. J'avais à faire avec un spécialiste pour ce qui était des conneries qu'on s'échange, il en connaissait un magasin.


8 commentaires:

Anonyme a dit…

bon, je vais fermer ma gueule alors, mais ça va être dur !
Marie

chri a dit…

@ Marie Oh non, surtout pas, ce serait beaucoup moins drôle! :-)

Veronique a dit…

On s'éloigne du yoga ! Y reviendrons nous ? Ne reste que 4 séances, c'est bien ça ?
j'ai l'impression que les choses s'arrangent quand meme !

chri a dit…

@ Véronique je vais vous faire une confidence à vous: Je ne sais pas moi-même où l'on va... si on y va!

Tilia a dit…

Vrai, bon et utile...
Même si c'est vrai et bien veillant si ce n'est pas utile, pas la peine de l'ouvrir c'est de la salive gaspillée.
Comme disait mon vieux père "il y a des gens, on perd son temps à leur expliquer quelque chose, c'est peine perdue".
Donc la première passoire, pour moi, c'est l'utilité.
Autrement dit j'aurais mieux fais de me taire, puisque vous savez déjà tout ça ;-)

chri a dit…

@ Tilia Oui, mais si on ne cause qu'utile ça ne va pas être très très amusant non plus... Enfin est-ce utile de le dire, ça?

Brigitte a dit…

Pour les maux l'ostéo c'est top quand même, mais 2 accidents au yoga le même jour c'est pas banal ...
Je mis la suite !

chri a dit…

@ Brigitte Ah ça c'est le hasard... Ca arrive, parfois deux le même jour.

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