08 septembre 2015

Ma première séance (deux).

En apercevant Gisèle pour la toute première fois, je ne l’avais pas remarqué mais pendant la séance j’ai pu m’en rendre  vraiment compte. En bonne bouddhiste qui se doit de respecter la vie sous toutes ses formes, les poils étant, sans doute pour elle des choses vivantes, Gisèle en avait de jolies touffes qui tentaient de s’évader de dessous le lycra fuschia des collants de son justaucorps. Elle avait du poil aux pattes et oui, pendant que je comptais les plis du rideau du fond, ses touffes étoffées m’avaient fait pouffer. Mais ce n’était pas les seuls traits d'elle qui m’avaient attirés. Je m’étais amusé à la détailler et ça valait le voyage. Ma Gisèle n’était pas très grande mais elle avait un corps extrêmement musclé voire noueux. Malgré son âge avancé elle pouvait lever les bras au ciel sans que rien ne pende. Elle devait faire des cures de raisin à l’automne, des jeûnes chaque début de mois et des régimes à partir du quinze. Du genre à s’autoriser, soyons fous, une noisette de beurre dans le demi bol de riz une fois par an. Son régime préféré devait se limiter à concombre, tomate en été et une cuillerée à café de lentilles du puy en hiver. On l’imaginait mal des morceaux de cadavre d'animal mort dans son assiette. Et dans le poisson elle ne devait manger que les arêtes. Elle avait un petit chignon très strict posé sur le somment du crâne comme un pâté de sable au seau qui ne laissait échapper aucune minuscule mèche d’aucun cheveu. À se demander s’il était vrai. Un chignon synthétique comme les bouquets posés sur l’étagère de son garage. Un front assez grand très marqué par cinq ou six rides ondulantes en vagues comme en ont les gens en soucis permanents. À lui seul, il disait du mal d’elle. Elle n’était pas si zen que ça, elle a du plomb dedans, la Gisèle, je me suis entendu penser. Sa petite bouche fermée me l’a confirmé, ses grands yeux globuleux au regard vaguement vide m’ont applaudi. C’était une femme tendue. Son art n’était que façade. Un impala dans un enclos de lionnes. Dessous son petit nez aux narines pincées, une bouche étroite sans lèvres, une bouche souvent fermée comme un refus, ne sachant pas bien comment sourire. Du reste le sourire était-il à son programme de vie?
Elle n’invitait pas à la langueur Gisèle, elle ne proposait pas immédiatement le lâcher prise mais plutôt les doigts dedans, elle ne suggérait ni le bien être, ni le plaisir, ni l’hédonisme mais l’ascèse, la rigueur et le sérieux. Elle avait le souffle court, l’inspi brêve et l’expi sifflante, ma Gisèle préférée. Sa petite voix aigüe corrigeait les attitudes avec acerbité et plus elle corrigeait loin d’elle, plus elle persiflait. Ce n’est pas une yogi gaie si je puis me permettre. Elle avait tout d’une janséniste sombre. Dix séances, j’en avais pris pour dix séances… Pour une fois que je m’engageais, pour une fois que je signais un contrat c’était tout moi. J’ai eu très envie de ficher le camp en quatrième et de piquer la caisse au passage. La petite caisse bleue en métal où vite fait elle rangeait ses billets, j’avais bien vu où elle l’avait planquée avant d’attaquer son cours. Mais on ne se refait pas. Ce n’est pas tant que j’étais honnête mais c’est surtout que j’avais peur de me faire prendre. J’ai attendu sagement la fin du cours. Je lui demanderais la prochaine fois si on peut sourire pendant les cours ou bien non, je me suis dit. J’ai une semaine pour formuler la question de manière à ce qu’elle soit recevable. Je sens que j’ai intérêt à ce qu’elle soit précise et bien tournée sinon je vais avoir droit à une volée de bois vert. C’est que la Gisèle je ne me l’imagine pas plongée dans un bain sirupeux de bienveillance et d’empathie, je la sens plutôt tranchante, voyez. Et si j’ai décidé de  venir là, c'était dans l'idée de me rassembler, de me réunir, pas dans celle de me faire découper en rondelles comme un chorizo à onze heures.
Elle a serré la main de tout le monde en nous tirant gentiment par l'avant bras vers la sortie. C'est qu'il fallait qu'elle tourne rondement son affaire. Pas de troisième mi-temps chez Gisèle. Elle a plongé ses yeux noirs dans le plus profond des miens et m’a dit d'un ton glacial et menaçant: La prochaine fois restez donc avec nous toute la séance… J’ai promis d’essayer. Dites, Sat Nam j'ai essayé d'enchaîner... j'étais déjà dehors à recevoir les premières gouttes.


Quand pourrai-je lui parler de ce fameux "toujours" qui me gênait aux entournures? J'ai senti qu'il me faudrait saisir la moindre.


10 commentaires:

véronique a dit…

oh la la ! ça se complique cette histoire ! pourvu qu'il n'y ait pas de mort .....
vous en avez encore pour 8 séances ! courage !
mais vrai qu'elle est pas sympa, sympa.

chri a dit…

@ Véronique Ah vous trouvez aussi? Gisèle ne vous plait pas?

Pastelle a dit…

Est ce qu'elle le mérite, au fond ?
Ne vaut il pas mieux ne parler, parler vraiment j'entends, qu'aux gens avec qui on se sent totalement en phase ?

chri a dit…

@ Pastelle Oui, sans doute mais tout ça c'est pour sourire!

Anonyme a dit…

on attend la suite...
Marie.

chri a dit…

@ Marie Vampire!

Tilia a dit…

Un pigeon maso ! en effet, ça me fait sourire ;-)
Bon weekend, Chri

chri a dit…

@ Tilia Ouf!

Brigitte a dit…

Elle manque de douceur ta Gisèle !!!
Sinon moi aussi je fais une cure de raisin ...
Bon week-end

chri a dit…

@ Brigitte Ah toi aussi tu la trouves dure?
Oui, je me rappelle bien de la cure de raisin. Moi, je mange le mien qu'est très bon et garanti sans produits... Mais pas en cure!

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