12 septembre 2015

Ma première séance (Quatre).

Une fois qu’elle a fermé la porte, une fois que tout le monde fut présent, ah, non, pas tout le monde, il n'y avait pas  la jolie rousse au justaucorps vert, installée au premier rang la séance d’avant. J'ai regretté cette absence. C'est que j'aimais beaucoup avoir comme repère sa longue natte qui lui descendait jusqu'au bas du dos. Je m'en servais parfois comme un niveau pour m'aligner sur sa verticale... En revanche le poussin était bien là, pile en face de Gisèle, une fois qu’il n’y a plus eu dans son foutu garage que le son sifflant de nos souffles soutenus, Gisèle s’est saisi  d’un petit bol tibétain en métal. Après nous l'avoir présenté comme on montre un calice, elle en a frappé une seule fois le bord avec un minuscule maillet en bois. Alors, dans l’air confiné de l’espace rétréci, une longue note cristalline a tout envahi, s’est emparée de nous et sous ses vibrations finissantes la séance a débuté.
Les tous premiers exercices ne demandaient qu’un peu de concentration. On entendait à peine la cithare de la fontaine. C’était juste du travail de respiration et de placement de la colonne vertébrale. Sa voix nous guidait et tout se passait plutôt bien. On jouait tous ensemble. On était comme des vagues qui s’harmonisaient entre elles. Nos souffles s’unissaient dans le silence étouffé, ça s’entendait et c’était bien agréable à vivre. La tension qui m’habitait était en train de me quitter, la colère qui m’animait retombait comme un clafoutis sorti du four, mon cœur se remettait à battre normalement. Je commençais à me sentir ici et maintenant. J’avais laissé gentiment passer Shirhsasana qui ne convenait pas du tout à mon arthrose cervicale et pendant qu’ils étaient la tête en bas, j’avais continué à faire monter et descendre mon cylindre d’air dans le tuyau. C’est quand on est passé à la deuxième posture que ça a dégénéré. Celle là, je pensais pouvoir la tenter : Vakrasana dite la posture de la torsion.  Je n’ai pas compris de suite comment il fallait s’y prendre pour en arriver là où Gisèle et tous les autres en étaient. J’ai voulu rattraper mon retard, j’ai sans doute fait une fausse manœuvre, commis un mauvais geste, un mauvais mouvement, je me suis mal placé, je suis allé trop vite. D’un coup, j’ai été comme frappé par un jet de lance dans le dos au niveau des reins. Quoiqu’il en soit j’ai poussé un hurlement de bête blessée et je me suis retrouvé  aussi coincé qu'un poil sous un rasoir six lames. Impossible de bouger. Je n’ai même pas vu Gisèle s’approcher de moi. Je transpirais à grosses gouttes, j’avais un mal de chien. Gisèle m’a lancé deux éclairs éblouissants, elle s’est dépliée, elle est venue vers moi en volant. Une fois à mes côtés, elle a posé une de ses mains sur mon front, avec l’autre elle m’a saisi le poignet et elle a cherché un point sur mon avant bras. Puis, à un endroit semble-t-il précis, elle a enfoncé de toutes ses forces qui étaient balaises deux de ses doigts dans le muscle jusqu’à le coincer contre l’os. J’ai hurlé encore une fois. Quel douillet, elle a dit. Je voudrais t’y voir ma Gisèle chérie, j’ai pensé. Quand elle a relâché sa pression,  elle a tenté de me déplier. Rien à faire, je ne pouvais plus bouger. Ah Nom de Dieu ce que j’avais mal. C’est que j’étais en train de bousiller son cours. C’est ce qu’elle a pensé très fort et que j’ai lu dans ses yeux.
Elle n’a fait ni une ni deux, pendant qu’elle demandait à poussin jaune de me poser sur une planche à roulettes de déménageur qui était dans son garage, elle a appelé les pompiers. Je l’entendais clairement :
Oui, oui, vous le trouverez dehors, dans la descente de garage, on le dépose là c’est que j’ai un cours à finir, moi, je ne peux pas m’occuper de lui, mais c’est un grand garçon, il vous expliquera.
Les autres ne bronchaient pas. Pas une ne s’est levée de son coussin magique pour venir me filer un coup de main. Merci la solidarité, bravo l’entraide. Moi qui pensais que nous allions devenir une joyeuse bande d’amis fidéles traversés par un même idéal… Queue dalle, de parfaits inconnus. Tu as fauté, tu dégages. Je me suis cru à Koh Lanta : La tribu des Mandalays trouve que vous êtes le maillon faible, elle a décidé de vous éliminer sa décision est irrévocable… Flouch...
Poussin m’a collé sur la planche tant bien que mal, il a ouvert la porte  et m’a fait rouler vers la sortie.
Mon manteau, j’ai dit.
Il est retourné le chercher et me l’a posé doucement sur les épaules. Puis il est rentré dare-dare et la porte s’est refermée. On entendait la sirène qui tournait le coin de la rue. Dedans le son de la cithare a augmenté.
Tout ce que je sais c’est que les trois pompiers se sont retenus de rire quand j’ai raconté ce qui m’était arrivé mais j’ai bien vu qu’au fond d’eux ils se marraient comme de joyeux baleineaux. Ils m'ont placé tel que j'étais resté sur le brancard et m'ont embarqué comme une antiquité égyptienne en me tenant à deux pendant tout le trajet.
Moi, j’avais trop beaucoup trop mal pour que la situation m’amuse. Sur le chemin de l’hôpital, en pleurant un petit peu, en bénissant le ciel de n’avoir pas choisi un justaucorps rose, je me suis dit que j’allais sûrement rater la prochaine séance.

C’est pas avec ça que je rattraperais mon niveau.



10 commentaires:

véronique a dit…

c'est absolument réjouissant Christian ! les séances s'enchainent à une allure dites moi ! c'est peut être ça l'explication, vous en faites trop d'un coup :o)

Gisèle est sympa, vous reviendrez sur votre jugement, j'en suis sûre, quand elle vous proposera de rattraper cette séance perdue en cours particulier !

(je ne crois pas une seule seconde que vous n'ayez pas de base en yoga : tout est si bien décrit et dit ! )

chri a dit…

@ Véronique Si vous saviez comme je suis content que ça vous fasse sourire!
Pour le reste... Ah ça...

M a dit…

"Mon manteau, j'ai dit" J'adore ! Comme s'il était le symbole de ce qui s'apparente à de la dignité, de l'orgueil (et sans doute un peu du chien de la chienne !)à ne surtout pas laisser entre de vilaines mains !
Aussi.....nous étions au courant, nous, du dos sensible, tu aurais dû nous demander !!!

Pastelle a dit…

Hilarant et génialement raconté, j'adore. Merci pour le grand sourire :)

J'attends la suite avec impatience !

chri a dit…

@ M Quel plaisir d'être bien lu...

@ Pastelle Merci à vous de votre plaisir!

Tilia a dit…

Disque pincé en L5S1, c'est ce qui est marqué dans le résultat de mes dernières radios des lombaires. Et je ne parle pas de mes dorsales, ni de ma sciatalgie à droite.

chri a dit…

@ Tilia Mince...

véronique a dit…

On en a tous plein le dos ! le mal de dos, le mal du siècle :o)

Brigitte a dit…

Plein le dos ! Alors décoincé j'espère ?
Tu me fais bien sourire en tous cas !!!

chri a dit…

@ Brigitte Tant mieux, c'est fait pour!

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