11 septembre 2015

Ma première séance (trois).

Mine de rien cette histoire m’a bousillée la semaine.
Toutes les nuits ou presque, Gisèle, ses poils, sa bouche pincée, son corps noueux sont venus déranger un sommeil jusque là sans escale.
Dans la journée, je me suis surpris à arpenter en long, en large et en travers les rayons : remise en forme, bien-être, spiritualité de la fnac. Je descendais deux trois bouquins des étagères, je m’installais dans un recoin hors du passage et je dévorais à ne pas regarder l’heure. Deux fois, j’ai fait la fermeture en nocturne. Heureusement que chez moi, personne ne m’attendait pour bouffer. Je n’allais pas non plus me ruiner pour acheter des ouvrages hors de prix ni les bibliothèques pour les entasser. Un géant suédois venait de s’installer pas loin de la maison mais vu sa façon tonitruante de saloper le paysage avec la taille de ses boutiques et son goût prononcé pour le bleu et jaune, pas question de lui faire gagner le moindre rond. Maintenant, je suis un peu plus armé. Je sais à peu près tout du yoga de ses origines, de son histoire, de ses variantes, des écoles, des gourous, des postures. Mais ce n’est qu’un savoir théorique qui ne passe pas par le vécu. Si je pouvais disserter savamment sur le Tantra Kundalini Yoga, les asanas, les mudras, les pranayamas et autres karmas, il me manquait bien entendu la pratique. D’après mes lectures, d’ici une soixantaine d’années je  pourrais peut-être prétendre à commencer d'entrevoir le début d’une possible éventuelle compréhension… C'était encourageant.
Entre nous et en souriant dans ma barbe, j'ai aussi pensé offrir à Gisèle un de ces rasoirs six lames à doubles flexules rotatives intégrées pour aller couper le poil sous le poil. Depuis que l’homme a cessé d’aller sur la lune on a l’impression que les boites de rasoirs ont recruté tous les ingénieurs de la nasa mis au chômage. On était passé en quelques années du rasoir banal à une lame à des trucs d’une technologie stratosphérique. Le prix des engins avait suivi. J’ai renoncé, un rasage me coutait environ une séance. Et puis, dans un élan de lucidité, je me suis dit que ce ne serait sans doute pas la meilleure manière de m’attirer les bonnes  grâces de ma Gisèle jolie. Déjà qu’à la fin de la première j’avais bien senti que je n’étais pas en odeur de sainteté. Il valait mieux pour un temps que je fasse profil bas, que je ne la ramène pas trop et que je la joue bon petit garçon obéissant. Qu‘en quelque sorte, dans ce domaine aussi je m’assouplisse. Si fait la semaine avait passé à une vitesse folle et nous étions déjà au pied de la deuxième séance. J’avais pris mon après-midi pour y arriver reposé mais avant, j’avais prévu de passer dans cette boutique d’article de sport pour me payer un de ces justaucorps que mettaient les types du garage. Enfin quand je dis les types, j’avais repéré qu’avec l’autre nous étions deux dans le cours de dix huit heures. Les neuf autres étaient des femmes et ce n’est pas cette seule raison qui me faisait continuer. L’autre était entré aux forceps dans un truc en lycra jaune, le haut en forme de marcel et le bas en feu de plancher. Je le trouvais  à hurler de rire mais en même temps j’admirais sa liberté et son absence totale d’ego. Il était sans doute sur la bonne Voie. Je suis un obèse poussin, je m'habille comme je veux et si ça ne vous plait pas c’est pareil, semblait il crier à la face du monde. Vous auriez dû le voir enfiler un manteau sur cet accoutrement pour sortir dans la rue à la fin de la séance. Un contrôle de police et il avait droit à vingt quatre heures de garde à vue pour outrage. Non, moi je partirai plutôt sur du noir ou du gris et du large pour ne pas être trop  saucissonné. Ne pas ajouter de l’indécence au ridicule et encore mieux, passer inaperçu. Ce qui n’était pas gagné. J’avais finalement opté pour un ensemble domyios, un premier prix qui durera ce que ça durera. Comme je ne savais pas encore si j’allais continuer après les neuf séances. J’avais mis un temps fou à pouvoir accéder à une caisse. Comme j’avais gardé sur moi la tenue en sortant de la cabine d’essayage j’ai dû négocier ferme avec la caissière pour pouvoir partir avec. Avec ça j’avais perdu un temps précieux, surtout pour ma paix intérieure, il y a des gens avec qui il vaut mieux ne pas risquer le conflit, Gisèle en était. Ma température était montée. La rogne m'avait gagné, je ne voulais surtout pas débouler en retard d’autant que Gisèle nous avait bien prévenu qu'une fois les présents assis sur leurs coussins, elle ferme la porte à clé. Les absents, eux s’assoient sur la séance. Elle est due et empochée et ce n'est pas négociable. Gisèle faisait comme chez l’analyste. Dans un sens elle n’avait pas tort. Elle voulait aussi éviter les allées et venues qui pouvaient déranger la concentration. C’était déjà le bazar dans nos têtes si en plus ça l’était dans le garage... Et puis c’était bien connu, les adultes sont inconséquents bien pires que les enfants qui eux sont raisonnables: Si on leur donne le petit doigt, ils avalent la main. J’ai garé ma bagnole en  crissant des pneus et c’est en courant que je me suis approché du garage de Gisèle. Il y avait mieux comme escalier pour grimper vers le calme et la sérénité. Mais c’était bon, elle était encore devant sa porte, elle faisait rentrer ses disciples un à un. Je suis arrivé bon dernier et bien que je sois à l’heure, j’ai eu droit à son regard. Noir.

C’est donc un type en colère, rougeaud, essoufflé, dégoulinant de sueur au cœur battant la chamade MAIS habillé comme un sou neuf qui allait attaquer sa deuxième séance…


8 commentaires:

véronique a dit…

mon dieu, mais quel suspens Christian ! vous nous tenez en haleine ... c'est terrible

chri a dit…

@ Véronique Ne vous moquez pas! :-)

véronique a dit…

si on peut plus rigoler Christian :o)

Anonyme a dit…

Tu vas voir ta gueule à la prochaine séance.
Gisèle.

chri a dit…

@ Et voilà c'est parti! Je savais qu'tétait pas cool, Gisèle.

Brigitte a dit…

Attention à la Gisèle la prochaine fois elle te fusille du regard !!!
Vivement la prochaine séance ...Ah ah ah !

Pastelle a dit…

On peut venir faire des photos ? ;)

chri a dit…

@ Brigitte Vous me tuez!

@ Pastelle Manquerait plus que ça! Des photos, maintenant! :-)

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