06 décembre 2015

Un Monsieur.

Pour Les impromptus littéraires de la semaine. Il fallait écrire sur Nos profs.

Nous étions assis en face d’une formidable machine intellectuelle et nous  le percevions à peine. En vrai nous nous en rendrons compte bien plus tard. Nous étions là, tenus d’écouter cet homme parler et très vite il éclablouissait de ses connaissances, de son savoir, par l’organisation rigoureuse de son cerveau, la richesse de son vocabulaire, l'immense précision de sa langue, l'incroyable sens du récit et son humour ravageur.
Le premier cours de l’année de notre classe préparatoire, quand il avait entré son immense carcasse dans la salle, quand il l’avait assise derrière le bureau et quand, le silence revenu, il avait dit dans un demi-sourire: Je m’appelle Mr Blanche : Riez.
Tu penses bien que pas un seul d’entre nous n’avait osé  bouger ses lèvres et encore moins sourire et pourtant. Il avait insisté Allez riez, c’est drôle non ?
Il était noir, il devait bien mesurer deux mètres, un obélix chauve, son pantalon remonté assez haut sur le ventre et une chemise… blanche à manches courtes. Des mains immenses vives, vivantes expressives. Il n’avait aucun cartable, aucun cahier, aucun livre devant lui. Il était là, seul, avec tout en lui, en charge de nous transmettre l’état des connaissances en psychologie mais aussi son histoire et ses prospectives.
Alors, seulement, nous avons souri.
Une fois assis, une fois le silence réinstallé, il n’avait eu besoin de rien pour ça, peut-être avait-il levé une main, c’était même pas sur, une fois nos stylos ou crayons prêts à écrire, il s’était mis en parole. Il ne dictait pas mais il parlait en un flux continu et son discours était incroyablement structuré, étayé d’anecdotes, de citations replacées dans leurs contextes, de dates précises, d’évènements, de récits d’expériences, des titres des publications des chercheurs, de pistes de recherches, d’avancées des connaissances. Les chapitres s’enchainaient, s’articulaient dans un fluide étonnant. Il parlait environ une heure cinquante, la durée du cours. Alors seulement nous reposions nos stylos détendions nos doigts crispés et son cours était là sous nos yeux transcrit sur les pages de nos cahiers noircies. Là, il nous demandait si nous avions bien tout compris, si nous avions un  problème quelques part dans le corps du cours puis il nous libérait avec un sourire entendu. Il en fut ainsi toute l’année à raison de deux heures par semaine. J’ai eu le privilège d’assister à ce miracle deux années de suite. Les cours de mon année doublée furent, bien entendu, entièrement différents de la première. Durant l’été, il avait tout recomposé.
Au milieu de la deuxième année pour fêter les vacances de Noël, nous avons décidé de faire passer nos enseignants en colles orales et nous avions donné à chacun un sujet qu’il devait traiter en quelques minutes de manière improvisée. Nous  avions donné au colosse : « Phénoménologie de la perception financière ». Alors, nous avons eu droit à un exposé brillant d’une demi-heure sur l’origine et l’histoire en France des impôts directes et indirects. Etourdissant d’intelligence, de savoir et d’humour.
Cet homme, cette puissance physique, il pratiquait le cyclotourisme (!) et intellectuelle, cette montagne de connaissances se prénommait Lénis. Nous ne l’avons bien entendu jamais appelé autrement que Monsieur. Originaire du Lamentin en Guadeloupe il fut  le premier enfant de cette île à avoir intégré la rue d’Ulm, L’Ecole Normale Supérieure en 1924 avec Sartre et Raymond Aron,  il était ami de Claude Lévi-Strauss avec qui il a travaillé. Il a enseigné toute sa vie. Il s’appelait Monsieur Blanche. Lénis Blanche.




À tous les dépravés de la suprématie et de l'exclusion, à tous les tristes zinzins béciles de la France exclusivement... blanche: Souriez.

10 commentaires:

M a dit…

Enseigne-t-on encore aujourd'hui cette notion vitale de la prospective ?
Très beau texte en hommage à un très bel Homme

chri a dit…

@ M En vrai on l'appelait Blanche... Comme le prénom mais punaise, il impressionnait!

Tilia a dit…

Voilà un texte qui mérite des applaudissements debout. Bravo monsieur Chri, et merci pour la découverte de ce professeur exemplaire.
Il est fortement regrettable que le rayonnement de Lénis Blanche demeure confidentiel.

Anonyme a dit…

je me souviens que tu m'as parlé de lui. Ton texte est tout à fait opportun et nous change des propos d'un Wauquiez ou de la châtelaine de Saint-Cloud qui vient se faire élire par le bon peuple dans ma région avec le plus fort taux de pauvreté, d'échec scolaire, de chômage et de cancer ,mais aussi les plus grandes fortunes de France. Ainsi va l'histoire et sa cruauté !Songe que ma région a le plus fort taux de cancer du sein du monde, et Grande Synthe a le plus fort taux de cancer des voies respiratoires supérieures d'Europe !!!!!!
Heureusement le taux de participation au scrutin a augmenté de 4% ce matin par rapport aux précédentes Régionales.Un bon signe.
Désolé pour ce com triste
Papi René

Véronique a dit…

Quelle belle histoire Chriscot ! et quelle chance vous avez eue de croiser un tel personnage ! ( si l'histoire est vraie bien entendu, je me méfie avec vous ! ).
et puis, j'aime bien la fin !
une belle leçon !

oui, c'est une belle histoire

chri a dit…

@ Tilia On lui a reproché un temps une proximité avec le régime de Vichy... Qui même si elle n'était pas idéologique a certainement nui à la suite de sa carrière.
Mais une extraordinaire "machine" intellectuelle qui les dernières années de sa vie travaillait sur Galilée et Copernic à cause de cette phrase qu'il avait lue: "Je croirai à l'égalité des races humaines quand j'aurai vu un Nègre comprendre Platon".... Tout était dit.

chri a dit…

@ Papi Comment sont expliqués ces forts taux? S'il y a une chose à peu près claire c'est que la clique des vagues se fout des gens comme de... l'an quarante

chri a dit…

@ Véronique Vous avez raison de vous méfier mais pour une fois tout est vrai... Même l'ordre de début d'année!

Pastelle a dit…

Un bel hommage. Venue chercher un peu de réconfort après les résultats...

chri a dit…

@ Pastelle Ici aussi l'abattement est de sortie. Il reste une semaine...

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