26 novembre 2016

Le sanguin.

Le vent s’était levé. D’un coup.
Fidèle à ses mauvaises manières, ça lui avait pris comme une envie de souffler. Ça lui prenait très souvent comme ça. 
Si, depuis le temps, on s'était un peu habitué à ses si soudaines sautes d’humeur, il arrivait encore qu'il nous étonne par son imprévisible brusquerie. À neuf heures il dormait d'un sommeil lourd, dans du calme plat, c'était une pétole à entendre les mouches voler, les cheveux pousser, à écouter les papiers se froisser seuls et à neuf heures deux, il hurlait, tempête impétueuse, ouragan batailleur. Tu sortais de chez toi bien peigné, tu rentrais les cheveux en bataille, la mise en vrac. Le tout sans signe avant coureur, sans le moindre préavis. J’étais couché, je me lève. Et je bastonne tout ce qui est sur mon chemin: Je pousse, je dégage, j’écarte, je renverse, j’éloigne, je bouscule, je chamboule. Puis, après son passage, après avoir tout bien chaviré, après avoir retourné le linge sur les fils, jeté à terres les branches les plus  faibles, écorné quelques taureaux, déplacé en tas les mortes feuilles, les journaux oubliés, las sacs plastiques égarés, après avoir couché quelques noyers, plié certains roseaux, après avoir roulé des épaules comme un voyou en goguette, après avoir dévasté sur son passage comme un mammouth mal éduqué dérive dans une fabrique d’assiettes, il pouvait disparaitre aussi vite qu’il s’était montré. D’une seconde à l’autre, il n’était plus là, il avait disparu. Les chapeaux tenaient à nouveau sur les têtes, les nappes sur les tables, les foulards autour des cous. Dans les rues, on marchait désormais droit, on s'était redressé, on n'avançait plus  l'échine courbée sous ses assauts… 
Ici on disait qu’il avait calé. Il calait d’un moment à l’autre. Alors, on  restait debout, si on avait eu de la chance, groggy, à genoux si on avait plié, en tous les cas sans force, les vêtements débraillés, les yeux empoussiérés, hébété comme un éméché soûlé de gifles, comme un baffé battu, comme un concassé. Noix minuscule et chétive broyée, brisée, en miettes, éparses
Et lui ? Va savoir où il s’en était allé, le versatile coléreux ?
Comme rentré dans une tanière, dissimulé au fond d’une quelconque grotte, caché dans son antre à ruminer sa rougne contre sa soeur la pluie, contre les nuages, ses ennemis fidèles? (Ce qu'il déteste le plus au monde c'est de les voir, ceux là, se pavaner  au plafond, alors il les balaye d'un revers de manche appuyé comme un instituteur intransigeant éliminerait les fautes à la craie blanche d'un tableau de classe. Toutes, jusqu'aux dernières, jusqu'au passage de l'éponge. Ce qu'il aime, à l'obsession,  c'est l'uniforme. Le bleu sans tâche, sans erreur, les monochromes... purs.)
À fomenter les mauvais coups à venir? Jusqu’à sa prochaine colère, jusqu’à sa prochaine sortie.
Jusqu'à notre prochain dénuement, celui qui nous attend après le dernier passage lissant  d'une éponge humide.


11 commentaires:

chri a dit…

Jacqueline Oustalniol: C'est comme si on y était !!! J'en suis toute "espaloufée"...

M a dit…

Espaloufée ? Mais quel joli mot ! Perso, je le préfère au "marin", moi aussi j'aime bien le bleu !

chri a dit…

@ M Je me demande si Jac ne l'a pas inventé: Espaloufée à moins que ce ne soit du patois d'Aurillac...
Moi aussi j'aime bien le bleu (sans marine).
C'est qu'elle va nous le faire détester.

chri a dit…

Il y a bien celui-là qui existe:
Espeloufi : chat pelé et craintif, employé pour désigner une personne qui rase les murs...
Mais espaloufé, rien!

M a dit…

Je vais rebaptiser mon chat alors !!!

chri a dit…

@ M Espeloufi avec l'accent c'est un joli nom de chat!!! :-)
EspeLOUfi au pied! Ca sonne bien...

Oups il parait qu'on ne dit pas au pied à un chat... Pardon les chats...

Nathalie H.D. a dit…

On a eu de la chance, il ne s'est pas levé (du pied gauche) ces derniers temps, le grand méchant qui décoiffe. Je me fais toute petite en espérant qu'il ne se réveillera pas de si tôt.

Nathalie H.D. a dit…

Quant à Espeloufi, chat pelé et craintif, employé pour désigner une personne qui rase les murs, jamais je ne choisirais ce nom pour mon chat... mais j'aime bien l'idée d'être espaloufée !

chri a dit…

@ Nathalie C'est vrai qu'il nous laisse un peu tranquille l'autre colérique... Apaisé ou bien il refait des muscles?
En tous les cas, en bas, vers le cap Leeuwin ça décoiffe...

Tilia a dit…

Le mistral est un animal bizarre.
Dans la ruelle de l'impasse où j'ai passé mes vingt premières années, il avait la particularité de se dédoubler.
Maintenant que l'impasse de l'Oratoire est devenue un passage public, depuis que la hache des démolisseurs à ouvert une brèche au fond de la place vers 1970, je ne sais pas si le phénomène persiste.
Toujours est-il que "de mon temps" quand on abordait l'entrée de l'impasse, on se prenait le souffle du monstre en pleine face. Parvenu péniblement à mi-chemin, il y avait un court instant de répit pendant lequel on pouvait se redresser et marcher droit au lieu de penché en avant. Puis brusquement, on se sentait propulsé en avant et éjecté sur la place comme une vulgaire boule de cotillon.

chri a dit…

@ Tilia Vrai que c'est un personnage qui n'en fait qu'à sa tête!

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