22 mars 2017

La femme qui semait des fleurs.

Elle est fine comme un crayon papier bien taillé. 
Qui sortent de son gilet jaune de chantier d’autoroute, elle a le visage et les bras déjà brunis de ceux qui passent leur temps dehors et les mains de ceux qui travaillent avec. Une silhouette de coureuse de longues distances. Elle est sèche comme une ficelle bien cuite sortant du four. Les cheveux gris blancs coupés très court, presque ras, une petite perle à une oreille, un sourire large comme un Atlantique, un jean tombant sur des baskets qui ont été blanches, un accent américain à couper à l'Opinel. Elle n’est pas provençale d’origine et n’a pas de la tapenade dans la voix, ça c’est certain. Elle a un sécateur à la main et s’active en bord de route, au pied du haut mur ceinturant et soutenant le petit village provençal perché à flanc de falaise de La Roque. Elle travaille sur une bande de terre d’un mètre de large et d'une centaine de long qu’elle façonne, modèle, bine, sème, plante, nettoie, ratisse, embellit à son gré. Pour le nôtre. 
Son jardin des remparts est en bord de route, le long du village, visible par tous, sans même descendre de voiture.
J’ai rangé mon engin au bord de la route et nous avons papoté elle et moi comme deux vieux potes d’un quart d’heure qu’on était. Elle en avait un peu après les gens du village qui regardaient d’un mauvais œil tout le travail qu’elle abattait, qui trouvaient qu’elle en faisait beaucoup, que c’était louche quelqu’un qui fait les choses, surtout  gratuitement. Dans ce pays où plus de la moitié des gens se sont choisis une jeune députée blonde, nièce d’une autre, au discours de repli sur soi, d’exclusion et de rejet de tout ce qui n'est pas d'ici, ce n’était pas très étonnant. Elle avait un peu de mal avec ça parce qu’elle s’échinait aussi pour eux. Pour son plaisir à elle d’abord évidemment mais également pour le leur.
Ici, il n’y a que le maire qui est un peu content dit-elle. Tu parles, elle lui embellissait gratos son petit village perché du Vaucluse et, sans doute, un paquet de gens comme moi passait par là pour, simplement, admirer son explosion de couleurs, ses déflagrations de formes, ses entrelacs savants de tuteurs de branches fines de bois tressées, ses grillages attendant les hampes de volubilis, les rhizomes d’iris flambants neufs prêts à mauvir, jaunir bleuir ou blanchir. 
Là, elle était en train de gratter au pied les roses trémières qu’elle avait débarrassées des branches de l’an dernier.
Et tout ce que ça me coûte... Je ne reçois pas un centime de personne. Ceci dit sans plainte.
Tu parles que le maire était heureux. Il avait une cantonnière qui venait bosser tous les jours, lui fournissait les graines, les plans, les boutures, qui s’achetait ses propres outils, ne comptait pas ses heures, nettoyait le chantier et ne demandait rien en échange, qu’un peu de reconnaissance.
« C’est mon projet de fin de vie.. » m'a-t-elle dit en souriant mais d’un coup plus grave. 
À l’heure où le projet de vie de certains est de s’en mettre plein les poches, quitte à devenir député, voire Président, le sien est simplement d 'embellir nos vies en nous en mettant plein le coeur et les yeux et en cultivant son jardin.
Que soit fleurie comme elle le mérite l’âme de l’embellisseuse de La Roque sur Pernes.

Merci à vous Madame, je repasserai pour la floraison des trémières après avoir relu Jean Giono dans L'homme qui plantait des arbres:

Quand je réfléchis qu’un homme seul, réduit à ses simples ressources physiques et morales, a suffi pour faire surgir du désert ce pays de Canaan, je trouve que, malgré tout, la condition humaine est admirable.




Connaissait-elle ce texte magnifique de Peter Handke?

Joue le jeu. Menace le travail encore plus. Ne sois pas le personnage principal. Cherche la confrontation. Mais n’aie pas d’intention. Évite les arrière-pensées. Ne tais rien. Sois doux et fort. Sois malin, interviens et méprise la victoire. N’observe pas, n’examine pas, mais reste prêt pour les signes, vigilant. Sois ébranlable. Montre tes yeux, entraîne les autres dans ce qui est profond, prends soin de l’espace et considère chacun dans son image. Ne décide qu’enthousiasmé. Échoue avec tranquillité. Surtout aie du temps et fait des détours. Laisse-toi distraire. Mets toi pour ainsi dire en congé. Ne néglige la voix d’aucun arbre, d’aucune eau. Entre où tu as envie et accorde-toi le soleil. Oublie ta famille, donne des forces aux inconnus, penche-toi sur les détails, pars où il n’y a personne, fous-toi du drame du destin, dédaigne le malheur, apaise le conflit de ton rire. Mets-toi dans tes couleurs, sois dans ton droit, et que le bruit des feuilles devienne doux. 

Passe par les villages, je te suis.


8 commentaires:

Tilia a dit…

Magnifique exemple du bénévolat dans toute sa généreuse splendeur.
Longue vie à votre pote l'embellisseuse.
Elle me fait penser à la personne qui a gracieusement pris en main la gestion de tous les petits problèmes techniques, ou simplement pratiques, de notre bâtiment. Un retraité qui ne compte ni son temps ni ses efforts, toujours prêt à rendre service à qui le lui demande gentiment.

chri a dit…

@ Tilia Merci pour elle. Elle fait que le monde tourne un peu moins carré... Comme le vôtre.

odile b. a dit…

On imagine sans peine le plaisir des échanges entre Madame La Roque "l'embelliseuse" et l'amoureux de jardins qui stoppe net sa moto en passant par le village pour la saluer et faire un brin de causette... J'espère bien que le soleil des mois à venir nous donnera le plaisir de belles photos de sa haie de passeroses...
Vrai que ça n'est pas commun de voir les gens fleurir le trottoir devant chez eux, la tendance étant plutôt de se barricader ou de jeter les ordures au caniveau et de râler parce que la municipalité ne fait rien pour rendre les rues du village plus belles. C'est pourtant bien agréable de rentrer chez soi et de s'y retrouver dès le portillon du jardin. Qu'est-ce que ça peut changer l'atmosphère, aussi, cette gratuité, synonyme d'ouverture et de confiance !
À Jersey, j'avais été frappée par cette habitude de ne pas mettre du tout de clôture, sinon des fleurs. Les fleurs  se font souvent complices et leur générosité les pousse à se ressemer toutes seules et à refleurir d'une année sur l'autre. C'est le cas sur nos îles bretonnes, ou charentaises : Ouessant, Sein, Groix, Belle-Île, Houat, Hoëdic, Noirmoutier, Yeu, Aix, Ré, Oléron... dont les venelles envahies de roses trémières font la beauté et la renommée des villages, fiers de se voir dotés d'une troisième ou quatrième fleur à leur pancarte, comme les étoiles des restos. Du coup, on peut prendre de la graine et s'en mettre "plein les poches" sans offenser qui que ce soit...
Voilà quarante années maintenant que j'habite moi-même au numéro 6 de ma rue et que j'ai acquis la cocasse réputation de "faire le trottoir" (!...), accompagnée que je suis de plusieurs voisines / copines aussi atteintes :-)

Je ne peux m'empêcher de joindre une page extraite du recueil de Marthe Seguin-Fontes : "Lettres de mon Jardin", ouvrage assorti de jolies aquarelles où il est question de clôture et de roses trémières :
"Le portail de bois de mon jardin ne tient plus guère debout. Il faudrait le remplacer. Je reçois maints conseils de la part des gens sensés. 
'Vous devriez en mettre un en fer, c'est beaucoup plus solide, vous n'auriez plus de problèmes redeviendrait neuve à chaque printemps…' 
Et si je me contentais d'une barrière de roses trémières ? Si ce n'est pas plus solide, ce serait tellement plus agréable à l'œil. Et puis, cette grille redeviendrait neuve à chaque printemps."
Marthe Seguin-Fontes, Lettres de mon Jardin", Editions du Chêne - 1996

PS
Ici, les iris ne sont pas encore prêts à "mauvir" (que j'aime ce mot !) mais les forsythias et les mahonias sont en pleine explosion, accompagnés de tapis de violettes et de muscaris, bientôt relayés par les Zazalées.
Que du bonheur !

chri a dit…

@ Odile Je retournerai photographier son "jardin" routier à la floraison des "grosses crémières" comme je disais enfant...
Elle s'appelle Julie Smith, elle est de New York mais vit maintenant à La Roque sur Pernes qu'elle embellit de ses mains.

Pastelle a dit…

Je la trouve géniale cette histoire, et j'ai hâte de voir le résultat cet été... Bravo et merci à Julie et à tous les embellisseurs de vie.

chri a dit…

@ Pastelle Oh Merci pour elle et son travail au Jardin des Remparts comme elle l'appelle!

odile b. a dit…

Suis revenue voir pour repérer les diverses annuelles ou persistantes que Madame La Roque (Julie Smith) a intégrées dans sa plate-bande ("mixed-border" in english)
À cette occasion, je découvre un cafouillage idiot de ma part dans la recopie du texte de Marthe Seguin-Fontès... :
[...] "vous n'auriez plus de problèmes redeviendrait neuve à chaque printemps" [...]
=> bout de phrase incompréhensible, pur charabia dû, je suppose, à un copié-collé malvenu... un tronçon de phrase que l'on retrouve plus loin, une deuxième fois, à la fin, et en bonne place :
=> [...] "Et si je me contentais d'une barrière de roses trémières ? Si ce n'est pas plus solide, ce serait tellement plus agréable à l'œil. Et puis, cette grille redeviendrait neuve à chaque printemps." [...]
Grrr !... V'là c'que c'est de pas s'relire... :((... Sorry !

Je rejoins ici le texte de Marthe Seguin-Fontès, revu et corrigé et vous laisse le soin, si c'est possible, d'arranger ça.
"Le portail de bois de mon jardin ne tient plus guère debout. Il faudrait le remplacer. Je reçois maints conseils de la part des gens sensés. 
"Vous devriez en mettre un en fer, c'est beaucoup plus solide, vous n'auriez plus de problèmes…"
Et si je me contentais d'une barrière de roses trémières ? Si ce n'est pas plus solide, ce serait tellement plus agréable à l'œil. Et puis, cette grille redeviendrait neuve à chaque printemps."

Belle fin de semaine ensoleillée au jardin :-)
Les giboulées annoncées ont fait place au soleil, mais avec un vent piquant. Espérons maintenant que, dans les semaines à venir, les prévisions météo ne nous feront pas trop des poissons d'avril :)

chri a dit…

@ Odile Vous avez corrigé...
Il y avait aussi des pensées, des tulipes, des volubilis en attente de poussage et des pieds de plantes officinales...

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