20 avril 2017

Au début... D'eux.

(Pour Jacqueline).

Au matin du quatrième jour, après l'épisode du poème,  alors qu’il était chez lui, au calme, attablé dans son studio du centre ville, le genre d’endroit où tu es tenu d’allumer la lumière à n’importe quel heure du jour ou de la nuit, tellement riquiqui que tu peux tout faire en restant assis. Tu as ton univers à portée de bras, tu peux t'y brosser les dent ou éplucher des oignons ou le contraire, sans te lever de ta chaise. Il était attablé face à une pile de feuilles et déplaçait ici ou là une ou deux virgules, changeait un verbe pour un autre plus expressif, biffait une phrase devenue soudain inutile, bref il s’amusait comme un petit fou quand son portable a sonné. Comme personne ne l’appelait jamais, il a sursauté. Il a raccroché très vite. La voix était celle d’un jeune blanc bec qui n’avait jamais rien fait de sa vie à part peut-être la politique de ces cinq dernières années qui avait amené le pays au bord du précipice qui lui faisait des yeux doux, mais  au sourire angélique, certains poussaient jusqu'à neu-neu, au discours si vide (quand on était mal intentionné on lâchait à son égard qu’il semblait aussi cron qu’il était creux…) que même le vent lui en voulait et qui briguait la présidence de la République, rien que ça. On était à quelques jours de l’arrivée de la première partie de la course et tous les moyens étaient sans doute devenus bons. Même celui de harceler au téléphone les gens chez eux, dans l’intimité de leurs cahutes.
Il avait raccroché avant que l’autre ne dise la fin de son nom. Il attendait un autre coup de fil depuis plusieurs jours et donc, il était sur les dents. Il  n’avait pas envie de se taper des phrases du genre : Soyons, pensons printemps mes amis, le pays nous appelle, entendons cet appel… Bon, les conneries, ça allait un moment.
Il a sonné de suite. Il a porté le combiné à l’oreille et il a dit: allo. Si ce n’était pas très original ça avait le mérite d’être facilement compréhensible. Ce qui aurait été fortiche c’est de répondre nuage ou râpe à fromage... Non, il est resté bêtement dans la convention. Après un silence assez long une voix qu’il connaissait pas a envoyé :
Bonjour, je suis la jeune femme du poste à essence à qui vous avez laissé votre numéro il y a quatre jours. J’ai mis un peu de temps à me décider à vous appeler parce que je ne suis pas habituée à de telles manières. Vous faites ça souvent ? Sans lui laisser la place de répondre, elle a continué, je veux dire, vous faites ça souvent de donner votre numéro de portable à une inconnue ? Vous devez vous ennuyer ferme dans votre cabane, elle avait dit cabane, vous devez trouver le temps long, toutes ces heures enfermées, il a eu envie de lui dire que d’une certaine manière, à part quelques privilégiés, dès qu’on était au travail, on était enfermé, mais elle ne lui a pas laissé de créneau libre,  au fait j’ai aimé votre poème, il m’a touchée, elle lui balançait une douche de mots, avait-elle peur qu’il ait une voix insupportable ? Craignait-elle qu’il ait changé d’avis ? Le soupçonnait-elle d’être un pervers, de n’être qu’un dragueur de station service et si c’était le cas pourquoi avait-elle composé son numéro, ça ne tenait pas debout?! Elle l’abreuvait d’un niagara de phrases, de questions, il ne pouvait pas en placer une. Il a fini par écouter la musique de sa voix et moins ce qu’elle lui racontait, je pense que vous auriez fait la même chose, il avait peur que s’il l’interrompait, que si il essayait d’en placer une, elle raccrocherait, il ne voulut pas tenter le coup. Il sentait bien que sa façon de faire était, au pire un stratagème, au mieux une défense, qu’au fond, elle avait aussi peur que lui de ce qui pouvait advenir. Voire peut-être davantage. Nous savons tous qu’il faut être très intime pour bien se taire avec quelqu’un, pour que le silence soit léger, qu’il ne porte rien d’autre que lui-même. Ça ne se fait pas comme ça, ça peut parfois arriver après de longues années de tandem et encore ce n’est pas garanti. Côtoyer un autre humain et ne prononcer aucun mot sans que la gène s’installe, sans que l’un des deux se sente obligé de troubler le silence est une grâce.
Quand elle a été à court de mot, à moins qu'elle ait pris une pose pour simplement respirer, il a juste glissé : Souhaitez vous qu’on se voit ? Qu’on se rencontre en vrai, je veux dire ? Le premier mot de sa réponse a freiné son ardeur naissante, elle a dit : Heu… 
Et puis, une autre réponse est venue très vite : Oui, bien sûr.
Alors se surprenant lui même, trois mots ont surgi de sa bouche. Trois mots très courts, comme un cri, un ordre, une injonction, trois syllabes, sans politesse, sans falbala, sans chichi, qui disaient toute sa volonté, tout son désir : Quand et où ?
Et, avec ces trois mots, il commettait en même temps une erreur magnifique, je m'en remettais entièrement à elle.

Déjà.



6 commentaires:

M a dit…

J'adore l'inimité des cahutes !
Pardon pour l'aquarium... En fait non ! C'est un peu plus (joli?) que la cabane, peut-être un risque de noyade ? Mais la situation effrayante qui les attend ces deux là, s'y prête bien ! L'occasion d'apprendre à nager à deux ?
Ah oui ! Merci Jacqueline ! Pour une fois on a droit à un peu moins d'il n'y a pas d'amour heureux ! Je note cependant que ce n'est que le début d'eux et les débuts sont souvent pimpants surtout ici :-)

chri a dit…

@ M Pour l'inimitié c'est un lapsus écrit!!!
Tu l'as dit M: Merci Jacqueline!!!

odile b. a dit…

2 - Début d'eux

"La légèreté du silence" : c'est très joli, ça !
"Et, avec ces trois mots, IL commettait en même temps une erreur magnifique, JE m'en remettais entièrement à elle."
C'est "IL" ? ou c'est "JE" ?
Des fois, l'écrivain tricote les pronoms, et... se prend au jeu :)
"Déjà" : c'est le début de la fin ?

PS
"creux et cron à la fois"... => C'est la Chanson de Jacky, ça !
:D

chri a dit…

@ Odile Oui, j'ai voulu changer de pronom dans la même phrase, je ne crois pas que ça se fasse mai ça m'a amusé de savoir que peut-être dans la tête du lecteur il se passait un truc, comme un coup de sonnette, une ampoule qui s'allume enfin un trcu et je suis content que vous l'ayez vu!

Anonyme a dit…

Je tue IL...
Vous embrasse
Lou

chri a dit…

@ Lou Merci Lou.

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