14 mai 2017

Cette après-midi là.

Ils y sont arrivés en fin de matinée. 
Ils ont garé la voiture sur les à-côtés de l’étroit chemin, dans le sens de la pente, ils ont fermé les portes et vérifié qu’elle ne gênait pas, puis ils sont descendus vers la rivière. Ils n’avaient pris, avec eux, qu’une grande serviette de bain et le peu qu’ils avaient acheté pour un rapide pique nique. Une bouteille d'eau minérale, une baguette et deux fruits. Il faut dire qu’ils n’arrivaient plus à manger depuis un ou deux jours. Depuis qu’ils savaient que, désormais, chaque heure passée ensemble les approchaient du moment de leur séparation.
Il faisait une chaleur de juillet, dans le sud. L’air était de plomb, les cigales s’en donnaient à cœur joie, le chemin était pour l’instant désert mais il ne tarderait pas à être envahi tant le coin était prisé et des touristes et des gens du cru. Le chemin de terre descendait vers une rivière pas très  large mais d’un vert amande et d’une transparence étonnante. Elle était aussi fraîche qu’une rivière peut l’être même au cœur d’un été de feu. Elle courait vivement guidée par des rives accueillantes et ombragées. On venait ici pour se tremper et pour s’ensiester gentiment sur ses berges de mousse douce, on venait aussi pour s’alléger du poids de la chaleur accablante qui faisait vibrer le ciel. On y venait  pour oublier les ennuis du moment, pour se nettoyer, comme pour y faire peau neuve.
Les deux qui venaient de garer la petite voiture rouge, ceux qui, maintenant, marchaient au plein milieu du chemin étaient silencieux. À dire vrai, ils étaient partagés entre le bonheur et la tristesse ce qui n’est pas confortable à vivre. Le bonheur d’être encore ensemble, pour quelques heures, la tristesse d'avoir compris que cela ne sera plus vrai à la fin du jour. Ils voulaient cependant profiter de leur après-midi. Pleinement, entièrement, absolument mais quelque chose leur disait qu’ils n’y arriveraient pas. Ils n’avaient pas tort, malgré la fraîcheur de l’eau, malgré les caresses du courant, malgré la beauté de l’endroit, ils étaient déjà dans l’après. L’un sans l’autre. Et ça leur était insupportable. Au fond, ils savaient que cette séparation n’était pas pour quelques jours, ni même quelques mois. Ils avaient compris qu’elle serait définitive et que leur union ne survivrait pas au retour à la « vraie » vie. Ils se donnaient encore la main mais comme des naufragés s’accrochent aux bouées. S'il y avait des lieux propices   aux rencontres en était-il de même pour les ruptures? Où, donc, pouvait-il être bon de se séparer? Y avait-il un seul endroit sur terre qu'on pouvait choisir pour dire stop? La banlieue proche de Tchernobyl? Aucun endroit sur la planète ne pouvait accueillir cet instant si douloureux. Pas même le lit d'une rivière paisible.
Et puis, le soir venant, l’ombre des saules s’épaississant, il a fallu remonter le chemin. Ils l'ont fait dans un silence pesant. La journée qui avait commencé par un réveil joyeux dans une chambre d'hôtel d'un village de l'arrière pays allait se terminer là, dans ce silence tendu. Ils sont arrivés en nage auprès du rouge de la voiture.
Une vitre arrière avait été brisée, leurs sacs de voyage qui étaient restés dans le coffre avaient disparu. Ils étaient au bout de leurs routes. Nus.
Leurs deux vies étaient comme le carreau de la voiture éparpillé en mille fragments sur les sièges.

Alors de colère, de peur, submergée par une profonde tristesse, elle s’est mise à sangloter en refusant l’ouverture proposée de ses bras. Elle ne voulait plus rien de lui pas même sa maladroite tentative de consolation.



22 commentaires:

Anonyme a dit…

C'est d'une infinie tristesse, Chris !
Parfois, on a peur d'aimer par peur du désamour. Parfois on a peur d'aimer,par peur de la séparation. Il me semble que quelques vers de Roméo et Juliette racontent joliment cette tension .

Papy

chri a dit…

@ Papy: Tempérer un peu la joie forcée de ce dimanche hagiographique?
La nostalgie déboule souvent les jours de fête.

Anonyme a dit…

;) ;) :)


Je ne suis pas un robot.

Tilia a dit…

La fin d'un beau roman, ou d'une belle histoire...
Ils s'étaient cachés dans le lit d'une belle rivière
"se laissant porter par le courant".
Mais ce n'était pas l'autoroute des vacances
et ce n'était malheureusement pas leur jour de chance !

chri a dit…

@ Tilia Oui, sauf que les deux miens ce n'était pas une histoire d'un jour mais une belle histoire d'amour!

Laurence a dit…

Bonjour Chri !
Une bien triste histoire, toute fermée. Pourtant, les occasions n'ont pas manqué ce dernier jour. Tu crois qu'on passe ainsi à côté des choses parfois, sans se laisser une seule chance ?

chri a dit…

@ Laurence Oh oui, je crois à ça! Il se peut qu'on s'entête dans l'erreur! Et qu'on regrette, bien après.

Tilia a dit…

Bizarre votre nouvel avatar, je trouve qu'il a une drôle de tête ;-) J'aime beaucoup les maisons qui swinguent de Chaïm Soutine. Mais pour ce qui est de sa trombine, je préfère nettement son portrait par Modigliani à ses auto-portaits. Ou, encore mieux, sa photographie.

chri a dit…

@ Tilia J'aime beaucoup ce peintre! A chaque vision des toiles et de presque toutes il y a une émotion forte qui me saisit! Consulter?

chri a dit…

@ Tilia Ses portraits et auto portaits le sont de gens "cabossés"... Je crois que c'est ce qui me touche.

Anonyme a dit…

Ca rigole ça rigole dans l'coin hein......
Lou

chri a dit…

@ Lou Ben, parfois, il n'y a pas de quoi.

M a dit…

Suis toujours de la famille du père Plex quand la bulle éclate

chri a dit…

@ M Le père Plex? L'ami Tigé.

Brigitte a dit…

Oh c'est dur ça la fin d'une histoire ...C'est d'un triste à pleurer celle-ci .Pourtant le cadre était magnifique.. mais ce n'est pas suffisant .
Bonne et belle fin de semaine

chri a dit…

@ Brigitte Merci de vos voeux pour la semaine...
La fin d'une c'est le début d'une autre... Parfois.

odile b. a dit…

Qu'est-ce qui lui est arrivé, depuis quelques temps, au bel enfant modèle, en miniature, les yeux au ciel ?
En ramenant la photo au carré, de façon écrasante, sa tête s'en trouve raccourcie :(
Le ciel lui est tombé sur la tête... Tête réduite ? La tête au carré ?
Une tentative pour rejoindre le self portrait de Soutine... "peintre du lyrisme désespéré" ???...

chri a dit…

@ Odile Je ne sais pas et ne cherche pas à soir! Il est aplati et pis c'est tout!
Ecrasé d'ores et déjà pas ce qui se prépare?

odile b. a dit…

Ah, je vois, je vois !... Z'êtes rapide en besogne, dites donc !
Le temps de le dire, et Hop, en un tour de main, voilà les petites vignettes des commentaires revenues à des proportions "normales" ! Voilà qui me rassure... C'est mieux comme ça... :-)
Par contre, y' a encore une vignette, celle de la colonne de droite, à gauche de Voltaire, où le pôvre est encore "aplati". Un si beau gosse, toujours les yeux au ciel...
Comme quoi Voltaire se trompe un peu : chaque flocon (flot-con) peut avoir sa part dans l'avalanche (flot-con-scient), tout comme la goutte d'eau qui peut, à elle seule, faire déborder le vase, faire crever le nuage ou encore... générer un tsunami...

"Faut rigoler, faut rigoler,
Pour pas qu'le ciel
Nous tomb' sur le tête
Faut rigoler, faut rigoler,
Pour empêcher le ciel de tomber"

Élémentaire, mon cher Watson :)

"Les pieds dans le ruisseau
Moi je regarde couler la vie
Les pieds dans le ruisseau
Moi je regarde sans dire un mot"

Avec ou sans soleil, BON WEEK-END-À-VOUS !!!
Odile

odile b. a dit…

Ultra-Rapide, même... : la maxime de Voltaire a été relayée par celle de Valéry... :)
Douter d'abord pour mieux comprendre ensuite...
J'aime la chanson d'Anne Sylvestre : "j'aime les gens qui doutent"...

chri a dit…

@ Odile Moi aussi mais je la préfère par Delerm et cherhal...
Bonne fin de semaine à vous zaussi, Odile!

chri a dit…

Pour Odile:
https://www.youtube.com/watch?v=qM1XxVZH-I0

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