30 août 2017

À cause de Lou.

À Jacques Mayol.

D’abord, il a refusé d'y croire. C'était trop violent. Comme un coup de masse en pleine figure.
Il a donc essayé d'en apprendre davantage. En vrai il voulait que ce soit une erreur, une tragique et banale erreur. Il a tenté d'autres analyses. Toutes, malheureusement, donné le même foutu résultat. Lou avait frappé, Lou allait continuer. Ce qu’il redoutait le plus au monde, à part manger de la cervelle d'agneau allait arriver. Ce n’était pas pour demain, mais ça viendrait. Forcément. Et assez vite, lui avait-on dit. Beaucoup trop vite, en fait. Il n’avait pas voulu savoir ni comment ni pourquoi son corps s’était abandonné ainsi, d’un coup, à Lou. Il n’avait pas voulu en apprendre davantage, ce qu’on lui avait dit lui avait suffi. Le tableau qu'on avait dressé, sans ménagement, il l'avait demandé, était terrifiant... 
Et ce mot si terrible: inéluctable.
Il allait tout perdre et surtout, par dessus tout, il n’allait plus pouvoir voler. C’était ça, au fond le plus difficile à admettre. Il pilotait depuis l’âge de quinze ans. Il était allé une fois au Pyla sur le haut de la dune et ils les avait vus… Ils décollaient sur quelques mètres et longeaient le sable à presque le toucher du pied mais ils étaient au-dessus. Ils faisaient des allers et retours le long de la pente. C’est ce jour précis qu’il avait décollé, il n’avait plus jamais atterri. Quelques jours après il s’inscrivait à un stage et huit plus tard, il faisait son premier vol en solo. Tout le monde s’accordait à dire qu’il avait toutes les qualités pour être un beau pilote. Il n’avait pas froid aux yeux mais était prudent, il savait lire le relief et les courants, il les sentait comme personne, il pouvait se concentrer intensément quand la situation l’exigeait, mais il savait être tranquille et serein lors d'un vol sans histoire. En quelques années de pratique assidue, il volait par tous les temps volables, il avait promené sa selle dans tous les endroits réputés, il maitrisait et sa peur et ses connaissances et calculait ses risques de manière à n’être jamais en grand danger. Une preuve qu'il avançait volontiers, il s’était très peu blessé, une cheville et un poignet et encore il n’y était pour pas grand chose et personne n’aurait pu éviter ces deux blessures. Il s’en sortait brillamment. Dès qu'il avait eu l'âge, il avait déménagé pour venir habiter tout près du plus grand site de décollage d'Europe et il passait le plus clair de son temps assis dans sa nacelle à chercher les thermiques. Une marque de fabriquant de voiles en avait fait son testeur préféré et on se l’arrachait dans les clubs et les compétitions.
Il avait tourné quelques vidéos que les amateurs regardaient les yeux brillants tant son habileté de pilotage était fine et faisait merveille. Il avait écumé tous les plus beaux sites du monde et en avait même révélé certains. Bref c’était une immense pointure.
Alors pourquoi lui ?
La nuit de la confirmation du drame qu’il allait vivre, il n’avait pas dormi. Au matin, sa décision était prise. Au lever du jour, il avait écrit quelques mails dont il avait programmé l’envoi, il avait brulé certains papiers, il avait mis de l’ordre dans ses affaires.
Le jour levé, il est sorti de son chalet, il n’a rien fermé à clé, il avait sa voile préférée sur le dos, il l’a jetée à l’arrière de son combi puis il a pris la route du décollage de Planfait. Il n’était pas encore sept heures, avec un peu de chance il n’y aurait personne là-haut mais il ne fallait pas trainer, les autres arriveraient vite.
L’endroit était vide quand il a garé son engin sur le parking. Il s’est dépêché de déployer le tissu sur l’aire de décollage, il s’est harnaché, il a gonflé sa voile puis il a couru.
Il est allé droit vers du lac. Il était à environ trois cent mètres au-dessus quand il s’est détaché. Il est parti pour trois cent mètres de chute. Mais libre. De tout. Personne, autour du lac ne l’a vu tomber.
On a récupéré sa voile dans la forêt pas loin de l'eau et son corps quelques jours plus tard, entre deux eaux bleu-sombre.

Il n’avait trouvé que ça pour garder la main et terrasser cette saleté de Lou Gehrig qui s’était emparée de lui.


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