15 septembre 2017

Ti voglio tanto bene.

Après avoir lu le mot écrit à la main d’une écriture dessinée et mis en évidence contre une boîte de céréales posée sur la table, il l’a froissé dans sa main puis l’a jeté dans la poubelle, sous l’évier. Il a failli se demander pourquoi, dans les cuisines, les poubelles étaient le plus souvent sous l’évier, mais la question l’a vite  quitté.
Et, même, s'il a trouvé le procédé disons léger, il lui a rendue grâce de ce mot là. Au moins, il avait épargné les cris, les larmes, les portes qui claquent, les armoires qui se vident, les sacs qui se remplissent, enfin, tout ce théâtre qui n'ajoutait jamais rien de bon à une situation déjà suffisamment compliquée, si douloureuse à vivre. Il s'est cependant dit qu'elle aurait pu se dispenser du passage en italien à la fin de son petit message: "Ti amo, ti voglio tanto bene..." Ça c'était peut-être en trop... Tout le monde, dans la maison, savait bien qu'elle était née pas très loin de Morlaix...
Puis, il est allé jusqu’au réfrigérateur, il en a sorti le pack de jus d’orange et s’en est versé un verre. Alors, il  s’est assis devant un bol de café fumant et en voyant les croissants il a avancé la main vers eux pour les toucher. Ils étaient chauds. Elle est quand même descendue chercher des croissants avant, s’est-il dit, donc tout n’est peut-être pas perdu... Oui, il arrive qu'en cas de chute, on se foute pas mal de la taille de la branche... Puis, il a pris son petit déjeuner dans le calme de la cuisine. Dehors, des rafales d’un vent de colère frappaient aux carreaux qui s'en démastiquaient,  les dernières feuilles encore accrochées aux sommets des arbres n’en finissaient plus de lâcher prise et tombaient en pluie sur le vert de l’herbe. Le ciel, si sombre ces derniers jours s’éclaircissait en bleuissant au fur et à mesure que les nuages se balayaient avec rage. Déjà, la pluie giflante du petit matin avait cessé. Finalement, il allait, sans doute, faire une belle journée. Il a bien entendu repensé aux années qu’ils venaient de vivre et surtout à ces six mois d’avant. Il y a repensé avec force en essayant de ne pas trop s’appesantir sur les instants délicats, les querelles stériles, les incompréhensions déroutantes, les conflits étouffés, les différences de point de vue, les craintes à propos de l’avenir, de l’argent qui, parfois fait défaut, les projets à engager, ceux qui sont laissés pour compte, les rêves largués en route, les concessions à faire, celles qui se refusent, la bienveillance qui s’estompe, la colère qui sourd, les ressentiments qui grandissent, les mots qui se raréfient, la tendresse qui durcit, les caressent qui se raidissent, les malentendus qui se crispent et cette fatigue, celle qui accentue tout, finit par tordre l’idéal qu’on s’était inventé et auquel, malgré tout on s'accroche dur comme fer... 
Bref, la vie de couple dans toute sa splendeur tragique.
Ah! Comme il fallait être solide pour encaisser ça...  Ah! Comme il fallait vraiment le désirer encore plus que tout... Ah! Comme il fallait une résistance surhumaine pour ne pas sombrer et lâcher l’affaire dès lors qu’elle s’engageait si mal…
Il en était là de ses sombres réflexions quand il a entendu les marches de l’escalier craquer. Il s'est repris.
Ils sont descendus, les deux ensemble comme ils le faisaient les jours sans école. Après leur réveil, le petit venait dans le lit de sa sœur. Là, la plus grande lui lisait souvent un livre ou deux avant de se lever pour de bon. Ils sont arrivés l’un derrière l’autre dans la cuisine et m’ont vu seul assis à la table. Après un temps, ils ont demandé presque d’une même voix :
___ Et maman, elle est où, maman ?
J'ai rassemblé quelques forces qui me restaient et j'ai tenté:
___ Elle est partie pour quelques jours, maman... Heu, elle avait besoin d’air… Mais, je suis là. Nous sommes là, ensemble et on va se battre, on va faire ce qu’on peut pour lui redonner l’envie de nous…
Le petit a coupé:
___ Encore?
La grande a répondu:
___ Hé oui, encore! C'est bien notre veine d'être tombés sur une maman qui a sacrément la bougeotte...
Alors, je me suis levé et je suis allé vite fait dans la salle de bain m’essuyer le visage et surtout les yeux qui commençaient un peu trop à rougir…

... De nous, l'envie de nous. Il y avait un point après nous.


4 commentaires:

M a dit…

Toujours un régal, toutes proportions gardées bien sûr ! Avec un mode d'écriture "l'air de rien ",il y a bien un ou deux mots qui remettent les pendules à l'heurt et l'image ! Qu'il semble loin ce risque de chutes de pierres !

chri a dit…

@ M Merci M. ( Les pendules à l'heurt... Bravo! Je crois que je vais le piquer ça fera un beau titre... )

odile b. a dit…

Amour décroissant ? Attention... s'abstenir : plus dure sera la chute !...

chri a dit…

@ Odile Jusque là tout va bien. Le plus dur ce n'est pas la chute, c'est l'atterrissage... (La haine, le film)

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