13 novembre 2017

Des lumières au loin.

Il avait neigé pendant quatre jours et trois nuits. 
Des flocons larges comme des paumes. Le pays avait été enveloppé de blanc et de silence en vingt quatre heures. L’électricité avait été coupée lors de la deuxième nuit. C’est le froid qui nous avait réveillés. On avait remis des bûches dans le foyer et le feu repartant avait joliment éclairé la pièce, les meubles en avaient dansé. On avait quand même amené le matelas devant les lueurs rouges et on s’était rendormi les pieds dans la bouche d’un four. Nous nous étions réveillés vers midi, il faut dire que la lumière du dehors avait baissé de plusieurs crans. Il neigeait toujours. Heureusement  que la réserve de bois était accessible sans qu’on ait à sortir du châlet. Il suffisait de descendre un étage pour y avoir accès et la cave en était pleine. Du sec de sec. Le seul risque était de se rompre le cou en manquant une marche. Nous descendions comme dans un escalier aux marches en œufs.
Le premier matin, nous avions dévoré une miche presque entière et un pot de confiture, de la prune sauvage acide à souhait, ça nous avait pris deux bonnes heures. Le ventre plein, nous étions retournés nous coucher et nous avions lu, parlé, joué.  Toutes ces choses que nous ne faisions plus que de temps en temps, à la va-vite, sans vraiment en être, en songeant à après, à demain, à la fatigue à venir, à la fatigue venant, bref sans vraiment être à notre affaire. 
Ce n’était donc pas si bien qu’on voulait le croire…
Le soir, une fois la nuit venue, nous avons fait l'amour et des pâtes au jambon cru. Nous étions vivants et bien heureux de l'être.
Tant que le courant courait encore, nous avions pu appeler nos proches et leur dire que tout allait bien pour nous, ne vous inquiétez pas, nous nous occupons, enfin, de vivre. Vraiment.  Nous sommes à l’abri, au chaud, il nous reste des vivres, de l’eau, nous ne craignons rien, c’est même plutôt agréable, nous en profitons pour nous retrouver alors que nous vivions depuis quelques années sous les mêmes toits mais plus dans les mêmes rêves. 
Et puis tout cela va bien finir par s’arrêter, un jour ?
C’est Paul qui avait eu l’idée de cette fin d’année dans ce hameau perdu de montagne. Une maison de village où ses grands parents avaient vécu et où ils venaient, en famille, passer quelques jours en été. Ils y étaient montés  tous les deux pour se retrouver avaient-ils dit à tout le monde. Ne comptez pas sur nous pour le réveillon, cette année !
Après une accalmie de quelques heures, au soir du quatrième jour, il s’est remis à neiger. Paul avait juste eu le temps de découvrir la voiture et d’attaquer le déneigement du chemin. Les toits des maisons disparaissaient sous une épaisseur impressionnante de blanc. Bien sûr qu’ils vont résister a dit Paul, comme pour s'en convaincre, voilà deux cents hivers qu'ils supportent ça. 
Il tombait, cette fois, en rangs serrés, des flocons gros comme des gaufres. Ils sont rentrés s’abriter. Après avoir englouti une omelette aux cèpes ramassés en automne par Antoine et Violette qui, eux vivaient ici à demeure. Ils les avaient  sortis de bocaux rangés sur des étagères à la cave, ils se sont couchés devant le feu flambant. Ils ont un peu lu et se sont parlés longtemps avant de s'endormir l'un dans l'odeur de l'autre. C’est en plein sommeil qu'en un fracas du diable, les toits, épuisés d'avoir résisté au poids de neige fraîche, se sont effondrés sur eux. 
C'est arrivé tellement vite qu'ils ne se sont même pas réveillés.

Au tout petit matin, ils n’ont pas vu, non plus, tremblantes  au loin, les lumières frontales des premiers sauveteurs, montant péniblement dans l'épaisseur blanche, vers le hameau désormais dévasté...


13 commentaires:

Anonyme a dit…

J'adore : ils ont"fait l'amour et des pâtes au jambon cru. Ils étaient vivants" Oui c'est ça aussi être vivants. Mais j'adore le choix. Parce que faire l'amour et des pâtes à la carbonara c'est tout de suite moins chic et moins poétique, c'est pas la même ambiance musicale pourrait-on dire.Un côté popu qui met du gras dans la phrase.Tout de suite on imagine aune autre scène d'amour. L'excès et la vulgarité sont évités car on ne peut pas mettre de l'huile de palme dans les pâtes.sans la neige on imaginerait l'île de Ré ou un film de Claude Sautet.J'ai bien aimé aussi le rythme du début.
Papy

chri a dit…

@ Papy Content que vous ayez aimé le rythme... du début...

Pour le jambon cru c'est logique, dans les chalets, il y a toujours un jambon cru de l'hiver dernier enveloppé dans un torchon et pendu à la cave...
PS A l'ile de Ré on ne peut que très rarement se prendre un toit sur le coin de la figure...

Anonyme a dit…

C'est bien pourquoi j'ai précisé " sans la neige". D'ailleurs bientôt il n'y aura plus que de la neige artificielle. Surtout avec Wauquier.
Ici on cueille encore des tomates et des fraises. Inédit.

Papy

Célestine ☆ a dit…

J'aime beaucoup, Chri.
Bravo pour ton talent de conteur.
¸¸.•*¨*• ☆

chri a dit…

@ Papy: Des fraises??? Ici, nous les sucrons...

@ Célestine: Merci Célestine.

Anonyme a dit…

Quand on sucre les fraises, c'est que les carottes sont cuites, n'est-ce pas? A moins que ce soit seulement la fin des haricots.


Papy

Ps : Les lumières au loin c'est mieux.

chri a dit…

@ Papy Oui oui c'est mieux, je trouve!

M a dit…

M'émeut encore ! Normal pour le rythme, parce qu'à la fin... hein !

chri a dit…

@ M Oui, la fin Bam! Content que tu soyes émue!

Brigitte a dit…

C'est comme toujours bien raconté . Ce sont bien parlés auprès du feu ... fait l'amour et des pâtes au jambon cru et c'était bien !Je reste sur cette image là

chri a dit…

@ Brigitte Merci, ils auraient aimé, en rester là, aussi... Du reste, c'est ce qu'ils ont fait!

odile b. a dit…

Chriscot le spécialiste des "chutes".
Après l'automne ronflant des cinq sens, l'hiver crépitant devant le feu de cheminée... Avec les confitures, l'omelette aux cèpes, l'amour et les pâtes au jambon cru, ils ont vécu des moments doux ces deux-là, bien au chaud sous le manteau de neige... Le plus beau des réveillons qui soit ! La chute de la charpente croulant sous le linceul arrive comme un point d'orgue. On les retrouva tous-les-deux-Zendormis-Zenlacés-Zennivrés-Zet-heureux. Une partition savamment orchestrée.
Le talent du conteur !

chri a dit…

@ Odile Je ne vois votre commentaire qu'aujourd'hui!!! Merci merci à vous de lire, déjà et des gentillesses écrites!

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