31 janvier 2018

Dans l'après.

Ils y sont arrivés en fin de matinée, ils ont garé la voiture dans la pente de l’étroit chemin, ils ont fermé les portes et vérifié qu’elle ne gênait pas, puis ils sont descendus vers la rivière. Ils n’avaient pris qu’une grande serviette de bain et le peu qu’ils avaient acheté pour un rapide pique nique. Il faut dire qu’ils n’arrivaient plus à manger depuis un ou deux jours. Depuis qu’ils savaient tous les deux qu’à chaque minute ils s’approchaient du moment de leur séparation.
Il faisait une chaleur de juillet, dans le sud. L’air était de plomb, les cigales s’en donnaient à cœur joie, le chemin était pour l’instant désert mais il ne tarderait pas à être envahi, le coin était prisé paraît-il. Le chemin caillouteux descendait vers une rivière pas très  large, trois pas d’homme pressé, mais d’un vert amande et d’une transparence étonnante. Elle était aussi fraîche qu’une rivière peut l’être même au cœur d’un été de feu. Elle courait vivement guidée par des rives accueillantes et ombragées. On venait ici pour se tremper, pour s’ensiester gentiment sur ses berges de mousse douce, pour s’alléger du poids de la chaleur accablante qui faisait vibrer le ciel. On venait ici pour oublier les ennuis du moment, comme pour renouveler ses écailles, faire peau neuve.
Les deux qui venaient de garer la petite voiture rouge, ceux qui, maintenant, marchaient au plein milieu du chemin étaient silencieux. À dire vrai, ils étaient partagés entre le bonheur et la tristesse ce qui n’est pas si facile à vivre. Le bonheur d’être encore ensemble, pour quelques heures, la tristesse de devoir se séparer à la fin du jour. Ils voulaient cependant profiter de leur après-midi. Pleinement, entièrement, absolument mais quelque chose leur disait qu’ils n’y arriveraient pas. Ils n’avaient pas tort, malgré la fraîcheur de l’eau, malgré les caresses assidues du courant, malgré la beauté de l’endroit, ils étaient déjà dans l’après. Dans l’un sans l’autre qui se profilait sombrement. Et ça leur était insupportable. Au fond, ils savaient que cette séparation n’était pas pour quelques jours, ni même quelques mois. Ils avaient compris qu’elle serait définitive et que leur fragile union ne survivrait pas au retour à la « vraie » vie. Ils se donnaient encore la main mais comme des naufragés s’accrochent à des bouées qu’ils savaient  crevées.
Et puis, le soir venant, l’ombre des saules s’épaississant, il a fallu remonter le chemin. Ils sont arrivés près du rouge de la voiture.
Une vitre arrière avait été brisée, leurs sacs de voyage qui étaient restés dans le coffre avaient disparu. Ils étaient au bout de leur route. Nus.
Leurs deux vies étaient comme la vitre arrière de la voiture : brisée, éparpillée en dix mille morceaux.

Alors de peur, de colère de tristesse et de dégoût, elle s’est laissée prendre par de longs sanglots en refusant l’enveloppe de ses bras.








2 commentaires:

Tomtom a dit…

Mais c'est superbe. Cette description d'un dernier instant joyeux mais triste avant la séparation définitive, cette métaphore de fin (deux êtres forcés à se mettre brutalement/rester à nu). Enfin si mon interprétation est "bonne".

chri a dit…

@ Tomtom Latomate Merci! Oui oui vous voyez juste!

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