29 janvier 2018

Les dix couleurs du lac.

La veille du deuxième jour, ensemble, ils ont décidé de monter voir le Lac des neuf couleurs. 
Ils l’avaient choisi comme destination d'abord pour son nom, ensuite parce qu’ils n’en étaient pas si loin et aussi parce qu’on leur avait parlé de l’endroit comme on décrit un Caravage à un aveugle. 
Ils se sont mis d'accord assez vite d'autant qu'ils étaient d'accord sur à peu près tout, ils n'étaient en équipe que depuis très peu. En fin d’après midi, ils ont préparé leurs sacs, ils ont emmené une tente, on ne sait jamais, puis ils sont montés en voiture jusqu’à Saint Paul sur le torrent où ils ont acheté de quoi se nourrir à la seule épicerie, boulangerie, boucherie, charcuterie, mercerie du village. Un hyper marché en beaucoup plus petit. Et puis, ils sont montés à pieds pour s’échauffer les jambes jusqu’au refuge où ils avaient décidé de dormir avant d'en partir au petit matin s’éveillant. En quittant Saint Paul, ils avaient franchi le Pont du Chatelet, un doigt tendu au-dessus d’un torrent entre deux rochers abrupts, puis ils étaient montés au hameau d’où ils partiraient le lendemain à l’aube. Arrivés à la vieille bâtisse qui sentait le feu de sarments, l'abbé Pierre et la soupe chaude, ils ont monté une tente dans le pré tout près et puis ils ont passé un long moment à regarder le soleil disparaître derrière la pointe de l’Aigle. Ils ne se disaient rien, ils regardaient autour d’eux et se regardaient et cet aller retour leur suffisait. Deux benêts. Deux ravis. Deux en amour.
La nuit venant, ils sont entrés dans la salle commune descendre un ou deux bols de soupe de chou au lard fumé à devenir à moitié végétalien. La nuit était noire quand ils ont tiré sur la fermeture à glissière de la tente. Le froid qui était tombé et l’humide qui montait du torrent grondant s’étaient posés sur leurs épaules. Elle avait frissonné, il lui avait passé sa veste, elle lui avait souri. Ils étaient comme deux imbéciles, définitivement heureux.
Ils n’avaient pas mis très longtemps à s’endormir. S’endort-on plus vite quand on ne se couche pas seul ? Une trace archaïque, un restant de l’âge des cavernes ? Rahan, le pauvre et solitaire Rahan, lui, devait souffrir de ça s’était-il dit bêtement avant de sombrer. Sa main dans les siennes. Son corps à lui autour du sien à elle. Ils s'étaient bien débrouillés avec les duvets en les réunissant pour n'en faire qu'un. Ils n'ont fait qu'un corps.
Ils n’avaient pas eu besoin de réveil pour l’être. Une lueur, le chant de quelques oiseaux, quelque chose dans l’air, un appel, les avait tiré gentiment de leurs deux sommeils pourtant si profonds. Se réveillerait-on mieux quand on ne dort pas seul ? Qu'en aurait pensé Rahan... s'était il dit en souriant.
Ils s’étaient habillés en riant à cause des contorsions dans l'étroit de la tente. Ainsi, une journée nouvelle commençait comme l’autre avait fini. Ils avaient laissé la tente montée pour y dormir une fois encore, le soir, au retour. Il avait fait chauffer de l’eau dans une gamelle noircie, culottée, pour un thé et un café, elle avait tranché deux planches de pain dans la miche qu’ils avaient engloutie assis sur une des tables du refuge qui commençait lui aussi à s’animer. Puis ils avaient bouclé leurs sacs à dos.
Le jour se levait.
Le rose bleuissait, le vent de la veille avait chassé tous un à un les nuages et c’est un bleu vibrant qui a accompagné leurs premiers pas. Les premières heures le chemin montait gentiment comme pour une mise en train, un échauffement. Ils avanceraient au milieu des cris des marmottes, surveillés par les vols de choucas jusqu’au refuge du Chambeyron où ils feraient une courte halte. Ils étaient partis pour plusieurs heures de marche, qui les feraient côtoyer ou longer trois lacs. Le Lac long, le Noir et celui de l’Etoile pour arriver à leur but, celui des Neuf couleurs. Là-haut, ils furent soufflés, des couleurs il n'en manquait pas une. Un bijou, une perle, plutôt, de lac d’altitude. Ils posèrent leurs sacs et s'assirent sur une herbe mousseuse dans un des abris de pierre, construits là pour bivouaquer. Ils s’installèrent un peu en hauteur pour mieux LE voir, lui et tout le reste? Ils le  regardèrent en silence en grignotant des fruits secs et en buvant de l'eau de source. Il y a parfois des instants où les mots n’ajoutent pas à grand chose, et même ils  encombrent. Dans ces moments, il faut savoir ne pas s’en servir. Alors, ils se sont tus avec application. Ils se sont un petit peu embrassés mais pas trop, le paysage était si intimidant qu'ils se tenaient à carreaux.
Puis, ils se sont décidés à revenir. Ils s’arrachèrent de sa beauté.

Sur le retour, gagné par la fatigue, philosophe à deux roubles, il se dirait qu’au fond, c'est peut être avec les mollets du coeur qu’on se fabrique des souvenirs pour plus tard, comme des lumières avec pour les jours sans…
Malgré leurs ampoules aux pieds, ils sont arrivés alors que la nuit était déjà bien noire. Ils s'en foutaient pas mal, conscients d'avoir ajouté une couleur au lac.


Pour ces deux là, une autre lumière était, maintenant, en eux...



3 commentaires:

odile b. a dit…

S'enivrer de Beauté, de lumière, de splendeurs pour conserver intactes, en soi, les couleurs et les mi-teintes, pour se repasser le film, encore et encore, "quand vous serez bien vieille, le soir à la chandelle"... Privilégier, bien sûr, les "mollets" du cœur et des yeux et sans oublier d'entretenir... ceux du cerveau, pour le jour où ceux des jambes viendraient à ramollir...

chri a dit…

@ Odile C'est tout à fait etzactement ça!!!

chri a dit…

Jacqueline Oustalniol Il a vraiment gardé toutes ses couleurs qui se méritaient... Cette nouvelle est plus fidèle que n’importe quel appareil photo qui ne fixe pas les sentiments !

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