09 janvier 2018

D'un autre monde.

J’avais fini de travailler un peu plus tôt que d’habitude. Je faisais partie des trop rares  qui avaient encore  gardé le leur.
Une journée éprouvante pour les nerfs comme pas mal d'autres surtout depuis le début de cette crise qui, décidément n'en finissait pas de frapper à grand coups de poings et toujours sur les plus faibles d'entre nous. L'avidité, la cupidité, la rapacité de ceux qui s'étaient enfermés à double tour dans la salle des commandes, nous avaient conduit là où nous en étions et pour les déloger de là-haut, il allait falloir s'employer. Eux continuaient d'amasser pendant qu'en bas, les pays étaient à cris et à larmes.
J’étais sorti et avant de monter dans ma bagnole, j’avais levé les yeux au ciel. Pas un nuage. Un immense à plat bleu. Aucune contrariété aucun empêchement. Un vertige de paix et d'illusion. La dépression qui nous avait arrosé toute la nuit avait laissé sur les trottoirs des flaques grandes comme le Lac de Genève. Pour avoir plu, il avait plu. Une mer verticale comme disait l’autre. La terre d’ordinaire si sèche semblait gorgée d’eau comme une éponge sale et des torrents de boues maintenant séchées traversaient les avenues en pente. On entendait partout chanter les rigoles d’évacuation les plaques d’égouts étaient soulevées et en passant sur les ponts, on jetait un œil à toute cette terre liquide qui lentement dévalait. Il en était tombé une bien bonne.
Et puis, au matin, la pluie avait cessé net, le vent s’était levé. Il avait soufflé toute la matinée comme une balayeuse géante. Imprévisible, il avait callé. Comme il était venu ? D’un coup. Comme une promesse de menteur.
Les températures mises à mal pendant l’épisode pluvieux avaient, alors regrimpé en flèche. Il faisait doux. Le chaud s’était amené par les épaules et avait enroulé toute la nuque, puis il était descendu le long du dos, s’était appesanti sur les lombaires qu’il avait longuement enveloppées. Cette sensation très agréable d’une chaleur qui apaise. Je l’ai retrouvée dans l’habitacle chauffé à blanc depuis le matin.
J’avais roulé pendant quelques kilomètres et j’étais allé m’installer à la terrasse d’un café plein Ouest inondée de ce soleil déclinant d’automne qu’on avait cru définitivement perdu. Fin Octobre, dans le pays c’était la bascule. Finies les longues soirées ensoleillées, l'autre là, le chaud se couchait de plus en plus vite, comme s’il se mettait à craindre le froid des débuts de soirée. Un beau matin, nous le savions tous, nous allions nous réveiller et ce serait l’hiver. Mordant, vif et pinçant. Terne, gris et gelant. En cette fin d’après midi là, il n’y avait pas grand monde dans les rues, personne, en tous les cas pour marcher vite les épaules courbées. Non,  les gens avançaient en lenteur et se regardaient puis se saluaient d’un geste, d’un sourire. Ils se disaient, en se parlant même sans se connaître : Il en a fait une belle de chavane cette nuit vous avez entendu ça ?  Ils se parlaient de la pluie et du beau temps vite revenu. Il était difficile de penser que la majorité d'entre eux en pinçaient pour l'exclusion et le rejet, et pourtant... Deux chiens en liberté se baladaient, un la truffe joyeuse courait après l'autre le cul accueillant. La pharmacienne en blouse blanche, un arrosoir à la main s'occupait de ses deux bacs dans lesquels tentaient de pousser de malingres cyprès. Avec ce qu'il était tombé cette nuit, elle allait tout simplement les noyer. D'une fenêtre pendait une couette à grosses fleurs mauves. On peut dormir encore avec ça au-dessus? Un gamin revenait de la boulangerie une chocolatine à la bouche. Personne ne la lui avait arrachée. Deux touristes à la peau rose en habits d'été suivaient chacun une grosse glace à trois boules vertes et roses. Certainement des anglais.
J’avais commandé un truc à boire, frais de préférence. Un thé glacé sans sucre. Je vieillissais, sans doute. J’avais acheté le journal et je l'ai parcouru en entier. De la première à la dernière page. De Charybde en Scylla. J’avais tout lu des  nouvelles qui venaient d’ailleurs, qui disaient toutes ces furieuses folies meurtrières et ces violences et ces acharnements et ces drames et ces catastrophes et cette souffrance, partout aux dix coins de la planète… À part cette place, il n'y avait guère d'endroit qui soit un peu paisible, sans la menace d'aucune bombe, d'aucun attentat, d'aucune répression sanglante.

Alors que des larmes me montaient aux yeux, alors que mon cœur commençait à se serrer dans l'étroit de sa poitrine, au souffle, désormais, plus court, j’ai replié le journal et masqué ses désespérantes nouvelles. D’une des fenêtres grandes ouvertes de la placette les premières notes de la chanson d’un vieux groupe de rock français, me sont parvenues… Ils tentaient un retour...
Ici, dans ce village, à l'abri et à leur insu, tous ceux qui passaient sur la place se sont mis à rêver avec eux.
Quant à moi, j'étais putain partant.

8 commentaires:

M a dit…

Est-ce à dire qu'il devient de plus en plus difficile de rêver ?

chri a dit…

@ M Heu... Oui un peu, je trouve...

Tilia a dit…


Les choses étant ce qu'elles sont, on peut seulement rêver du jour où la musique, ou l'art en général, remplacera la religion.
Sans le joug des religions du livre, le monde se porterait mieux, les gens seraient plus libres, et donc plus heureux...

chri a dit…

@ Tilia L'art doit beaucoup aux religions... Mais l'idée d'un monde sans elles est une idée séduisante!

odile b. a dit…

La musique, le rêve, l'évasion...
Par la porte ou par la fenêtre, il nous faut RÊ-VER... C'est VI-TAL !
"Les rêves fournissent la nourriture de l'âme" nous a enseigné Saint-Ex.

Pendant cinq semaines, à cheval entre novembre et décembre, bravant la poisse, la grisaille et le froid, suivre le sillage des grues cendrées, m'a dessaoulée du marasme ambiant.
Arrivés en masse de la Scandinavie et des Pays Baltes, ces grands oiseaux migrateurs font une pause dans les Landes de Gascogne depuis début octobre pour... "hiverner" (plus de 15 000 adultes et petits de l'année sur la Réserve Naturelle d'Arjuzanx***). Les grues cendrées repartiront fin février / début mars regagner leur pays pour la nidification.
Spectacle extraordinaire et impressionnant, matin et soir, que ces grands vols en V, avec force "Gru-Gru-Gru" tonitruants, qui nous laissent au sol, petits humains, bouche bée, les yeux au ciel, vacillant sur nos courtes pattes... Léonard de Vinci nous avait prévenus : "Dès lors que vous aurez goûté au vol, vous marcherez à jamais sur terre les yeux levés vers le ciel" (et... tant pis pour le torticolis !).
Les kilomètres de photos, vont me rassasier pour un an et conserver intacte, l'envie d'aller les retrouver... là-bas ou ailleurs.
***
http://www.reserve-arjuzanx.fr/
http://www.parc-landes-de-gascogne.fr/content/download/2226/16641/file/BROCHURE%20GRUES%202017-2018.pdf
http://www.oiseaux.net/oiseaux/photos/grue.cendree.3.html
http://www.oiseaux.net/oiseaux/grue.cendree.html

PS
J'ai rattrapé le retard et dégusté le petit matin sur la Sorgue.

chri a dit…

@ Odile A chaque fois que vous venez et dites, c'est un bonheur Odile...
Merci d'être passée. Belle année à vous.

Brigitte a dit…

C'est bien joliment décrit Odile ,merci pour ce court voyage au pays des grues cendrées.
Le rêve quel qu'il soit fait partie intégrante de la vie ... Enfin, je rêve toujours d'un monde meilleur .
Bonne fin de dimanche et belle semaine

chri a dit…

@ Brigitte Merci à vous! Mes vœux en retour.

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