02 janvier 2018

Plus dure...

Dimanche 29 décembre 2013. Massif des Alpes.


Le type casqué de rouge qui, en passant sur une pierre, vient,  imperceptiblement de vaciller puis de perdre l’équilibre, tout en douceur,  presque au ralenti a, dans sa vie,  passé plus de temps au-delà de trois cent kilomètres heures que tous les types skiant sur cette piste bleue plutôt  facile d’une station en vogue.
Il était là, debout, il glissait gentiment dans la pente, il s’était à peine aperçu qu’il n’avait pas suivi le lit de la piste, qu’il était entre deux bras de celle-ci, au beau milieu d’un champ de rochers sur une portion qui n’était pas aménagée. On ne pouvait cependant pas parler vraiment de hors piste cela aurait été très exagéré. C’était un entre deux. Ce que sa vie allait devenir. Il attendait que les amis avec qui il skiait le rejoignent. L’un d’entre eux avait eu un ennui avec une de ses fixations au moment d’attaquer la descente, juste à la sortie des oeufs. Rien de grave, il avait réparé sur place. Le temps était beau ce jour là sur les Alpes, la neige en abondance, les pistes bien damées, c’est qu’on avait mis le paquet pour les vacanciers de Noël,  la fin de l’année s’amenait à grands pas, on était à deux jours du changement. Dans cette station huppée française, comme dans tout le pays, on avait la tête à la préparation de la fête de fin d’année.
Le type casqué ne regardait pas devant lui à l’instant où c’est arrivé, il regardait vers le haut pour savoir si ses amis arrivaient enfin. Il ne vit qu’à la dernière seconde le rocher là droit devant lui. Il a bien tenté de l’éviter mais en essayant, il a perdu l’équilibre. Là, il tombait.
Ce gars là c’était un immense champion du pilotage automobile, c’est à dire que sa vie à lui était d’enfoncer son corps dans un minuscule espace au beau milieu d’un engin redoutable et qu’il roulait, les fesses par terre, au beau milieu d’une horde d’autres fous furieux comme lui, à des centimètres les uns des autres, à plus de trois cent kilomètres heures sur des circuits fermés pour arriver le premier après un certain nombre de tours. Ils étaient assis tous autant qu’ils étaient dans un dragon de métal d’une énergie phénoménale. Ils se frôlaient, parfois se touchaient, ils passait à des millimètres des murs d’enceinte, chevauchaient des  vibreurs, arrivaient à trois de front dans des virages en épingles, se dépassaient jusqu’à la prochaine fois. C’était un de  ces gars qui savent ce que danger veut dire. Un sentiment qu’aucun autre qu’eux ne pouvait avoir. Il fallait faire partie de la confrérie pour savoir. N’importe lequel d’entre nous ne pourrait dompter ces engins plus de dix secondes tant leur puissance et leur impatience étaient grandes. Il fallait être de la famille, du lot, il fallait avoir fait ça depuis tout jeune. Le type casqué en train de tomber à douze images secondes en était une de ses plus grandes pointures. On ne comptait plus les courses qu’il  avait gagnées. Désormais, depuis qu’il avait arrêté à cause de l’âge, entier, sans trop de dégâts physiques, il partageait son temps entre la Suisse où il avait une maison et le monde où il était chez lui. Il profitait. Il vivait à soixante, soixante dix. Comme tout le monde, il skiait à Noël, se baignait en Juillet, se montrait sur tous les circuits où il jouissait encore d’une aura méritée.
Dans la chute, sa tête venait de frapper le rocher devant lui, sur le casque une caméra pour se filmer, comme tout le monde. Elle a explosé sur la pierre et sa tête avec. C’était fait, en heurtant le roc, le pilote venait de basculer dans le monde de ceux qui n’avancent plus, dans celui de ceux qui sont immobiles, en attente. Lui qui, toute sa vie, avait traqué le moindre dixième de seconde entrait dans le monde de ceux pour qui le temps s’arrête, entre deux eaux, entre deux états : plus vraiment vivant, pas encore mort. Pour lui, désormais, le temps avait disparu. Il n’existait plus que pour ses amis et proches.


Pour combien de temps ?


8 commentaires:

Tilia a dit…

Une chute qui a mis fin à sa carrière, c'est évident.
Du coup son souvenir s'estompe dans la mémoire de bien des gens.
Pourtant il est bien vivant, mais aussi, bien diminué...

L'ironie de son sort ressort bien de votre récit.

chri a dit…

@ Tilia Merci, Tilia. C'est un tel drame cet accident. Et combien d'autres familles sont touchées ainsi?

Pastelle a dit…

Une histoire tellement triste... Très émouvante ta manière de la raconter.

chri a dit…

@ Pastelle Je suis bien d'accord sur la tristesse de l'affaire! Merci à toi! Tous mes vœux pour toi et ceux que tu aimes.

Vu par Doume a dit…

bien bel hommage à un gars qui avait "tout" et puis ... à croire que l'adage... mais bonne et heureuse année à vous !
Doume

chri a dit…

@ Doume! Merci à vous Doume! Belle année à vous aussi

Brigitte a dit…

En effet, qui sait, pour combien de temps cet entre deux peut durer ?
Touts mes vœux pour cette année 2018 :paix amour et sérénité

chri a dit…

@ Brigitte Merci à toi! Tous mes voeux aussi en retour, belle année à venir.

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