13 mars 2018

La dentelle des noms.

À quelques battements d’ailes de la maison, il y a une contrée quasiment miraculeuse :
On la nomme les Dentelles de Montmirail. Elles forment un grand arc montagneux qui s'étend de l'Ouvèze au Mont Ventoux. Elle doit sans doute son nom au fait qu’elle est assez découpée mais aussi percée ici et là de trouées dues au mistral essentiellement. Et cet endroit semble magique pas seulement parce que c’est un haut lieu de belles  balades. Mais aussi et surtout parce que c’est un régal absolu de la langue, de la richesse sans fin des noms donnés à ce qui y pousse, y grandit, y prospère et y vit. On dirait que tout ce qui a du génie pour nommer s’est donné rendez vous dans ces cinq mille hectares de terres et de montagnes.
Jugez donc :
Dans les dentelles, déjà nommer ce lieu « dentelles » suffirait. Hé bien non, on y a ajouté : de Montmirail… Si il y existe plusieurs sites remarquables : Les Dentelles Sarrasines et le Grand Montmirail, la crête de la Salle, la crête du Cayron et la crête Saint-Amand, le col d’Alsau et le col du Cayron, la grotte d’Ambrosi, le rocher du Midi (belvédère). On peut aussi y dormir dans la Chambre du Turc... On y trouve également, des communes dont les noms font voyage : Crestet, la Roque-Alric, Lafare, Sablet, Seguret, Suzette, Le Barroux…
Mais on y marche dans les ruisseaux qui s’appellent la Salette, le vallat,  le Rioullas, le Brégoux, le Vallat de la Tuillière, le Gourédon, La Limade, Le Lauchun, le Trignon, le Sublon, le Groseau, la Riaille de Suzette…
Cerises sur les gâteaux, on peut y cueillir et là, les nommeurs ont exprimé tout leur talent: les cytises argentées, la catananche ou cupidone bleue, la doradille de Petrarque, le narcisse douteux, la gentiane de Koch, le grémil pourpre bleu,  la brunelle à grandes fleurs, la serratule des teinturiers,  l’aphylante de Montpellier, l’hélianthème des Appenins, le pistachier lentisque, l’herbe à Buffon, la tulipe des forêts à fleurs jaunes, la gagée des près, le genèvrier de Phénicie,  la globulaire, le silène attrape-mouches, le millet printanier, la saxifrage continentale, Le mélampyre des bois, la laîche digitée, la gesse noire, l’ophrys de la Drôme, l’orchis militaire sans parler du thym sauvage, de la sarriette,  pèbre d'ail ou de la magnifique ornithogale à ombelle dite Etoile de Bethléem ou encore Dame de onze heures parce qu'elle s'ouvre au midi et qui est sensée soigner les peines et les chagrins…
Comme si cela n’était pas suffisant, on peut aussi, en levant les yeux le soir y apercevoir le petit Murin, ainsi que son ami le Murin à oreilles échancrées, également nommé Murin émarginé ou Vespetillion à oreilles échancrées, mais pour les voir, ceux là, il faut une bonne vision nocturne. Le jour, y volent les circaètes Jean–le-blanc, les bondrées apivores, l’aigle de Bonelli,  la fauvette pitchou, le merle bleu, les fauvettes passerinette, le tichodrome échelette, le pipit des arbres, l’agrion de Mercure. Il faut baisser le regard très bas pour apercevoir le psammodrome d’Edwards, la couleuvre à échelons... 
Je ne sais pas pour vous, mais pour moi, cette lecture du nom des choses me  baigne dans une joie profonde.
Brice Parain, un ami de Camus a écrit : Mal nommer un objet c'est ajouter au malheur de ce monde. 

J’en connais, vers les Dentelles, qui se sont décarcassés pour apporter des tombereaux de bonheur à ce tout joli monde là.


6 commentaires:

Célestine ☆ a dit…

C'est beau ton texte Chri !
j'ai adoré...
¸¸.•*¨*• ☆

chri a dit…

Merci Célestine.

odile b. a dit…

Ah, il me semblait bien avoir lu chez vous un billet avec une avalanche de mots comme ça. Je me souviens, maintenant, de celui-ci, joli. Merci de l'avoir retranscrit ici.
À la suite de l'ami de Camus qui écrit : "Mal nommer un objet c'est ajouter au malheur de ce monde", je suis totalement d'accord pour reconnaître l'importance de savoir bien nommer les choses, les plantes, les animaux, comme les humains, chacun ayant son identité propre qui mérite d'être retenue et bien nommée. On apprend cela aux petits de la Maternelle. Et quand les noms, comme ici, "font dans la dentelle" quel plaisir, quelle merveille !
Les mots, les noms de lieux, de plantes, comme les noms de familles, ont toujours une histoire, et ce qui me fait aimer les mots, les gros, les p'tits, c'est la curiosité et le plaisir de retrouver l'origine et le chemin qui les a formés. 
Curieuse "de nature" et... de La Nature, j'ai toujours préféré la petite histoire des fleurs et des plantes, leurs "petits noms" avec, en filigrane pour chacune, son histoire, son origine, ses légendes, son utilité, ses propriétés gustatives, ses vertus médicinales. Des mots du terroir, beaucoup plus parlants, plus accessibles, plus amusants et croustillants que les noms savants et scientifiques en latin, utiles, sans doute, pour les besoins de la "classification universelle", mais plutôt "rasoirs" pour moi. Ma petite enfance à la campagne m'a offert le grand privilège de connaître  la quasi-totalité des fleurs des haies et des fossés. J'ai touché, senti et goûté à tout sans jamais m'empoisonner. Je faisais quand même très attention, en cueillant l'herbe pour les lapins, à ne pas y mettre un seul brin de "mouron rouge"... cette fleur minuscule en étoile d'un orange si vif et attirant... elle avait beau être jolie, je n'avais pas du tout envie que les lapins meurent...
Les recherches généalogiques ouvrent des puits de découvertes sur l'origine des noms et des lieux et cet aspect-là est fascinant aussi, comme éclairage.
Pour revenir à ce beau parler Provençaou, les noms chantent, en plus... Les fables de La Fontaine en parler Vendéen recellent aussi des trésors de mots qui sonnent juste et parlent instantanément.
Vous aviez, aussi, fait une rencontre passionnante avec un amoureux de la Nature, du côté des Dentelles de Montmirail ou de Vénasque, je ne sais plus, qui vous avait donné une leçon sur les baies du genévrier, mais je ne me souviens plus très bien...

Il vient, ce printemps. Les couleurs sortent et les jonquilles traversent les feuilles mortes dans les bois. Que vivent les mots contre les maux :-)
Bon printemps à vous aussi, nez au vent !

chri a dit…

@ Odile Merci pour tous vos mots.

Tilia a dit…

Emportés par l'élan poétique, voila-t-y pas que le lézard psammodrome d'Edwards et la couleuvre à échelons volent. Un miracle à Montmirail :-)

Mon préféré dans tout ça, c'est le petit Murin. Ainsi que son copain le Murin à oreilles échancrées aussi appelé Murin émarginé ou Vespertilion à oreilles échancrées. Mais pour les apercevoir, ceux là, il faut lever les yeux après le coucher du soleil et avoir une bonne vision nocturne.

chri a dit…

@ Tilia C'est corrigé!!! Merci Tilia!

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