07 mai 2018

Sur le chemin de Saint Jacques.

Parler à personne, au début ça repose, puis on s'y fait et ça finit par bien peser.
Il y a bien eu ces deux sœurs, Leen et Nienke, deux hollandaises qui, au printemps de la première année passaient par là en venant du Nord, soit disant sur la route de Compostelle.  Compostelle avait bon dos. Il faut dire qu’elles se baladaient sacs sur le dos, à pied mais sans carte ni gps. Comment avaient-elles atterri en haut? Le mystère était complet, ce qu'on a pu débrouiller, elles et moi, c'est qu'elles s’étaient paumées quelque part, entre le départ et ici mais l’important c’est le chemin disaient-elles avec un accent à couper au couteau. Elles sont d'abord restées une nuit qui est  vite devenue dès le lendemain quelques semaines, deux ou trois, je ne m'en souviens plus, je n'ai pas tenu le compte… 
Elles étaient fabriquées à la frisonne : Immenses, charpentées, blondes, solides, musclées, de grands yeux bleus et un large sourire toujours accroché à leur visage. Pas grand chose ne leur faisait peur, pas grand chose ne pouvait s’attaquer à leur sourire, c’est plutôt celui-là qui emportait le morceau. Elles étaient du genre enthousiastes, balèzes comme pas deux pour descendre une bouteille de blanc ou quelques bières, raffolaient du soleil d’ici et avaient un sacré coup de fourchette. Dès qu’il se montrait, elles en faisaient autant. Et, ma foi ce n’était pas désagréable. Comme elles voulaient aider en échange d’un endroit  où dormir et de quoi manger, j’ai sorti les balais et les serpillères et je leur ai montré, justement, la grande salle. Elles ont éclaté de rire : Nous ce qu’on veut c’est monter des murs pas passer le balai ont-elles baragouiné. Vaincu par leur rire, je leur ai confié la bétonnière et ce qui va avec. Je leur ai montré le mur Nord de  la grange et son toit de tuiles rondes qui commençait à s’effondrer. Elles s’y sont mis avec ardeur. Elles maniaient cet engin bien mieux que moi et pour les murs, elles étaient imbattables. Je les regardais faire de loin. Elles chantaient, l’une en donnant à bouffer à la bétonneuse qui tournait sans répit, l’autre en alignant les pierres. De temps en temps, elles changeaient de tâche mais elles gardaient leur humeur. Elles avaient l’air heureux et le boulot avançait si bien que j’ai été à court de ciment assez vite. J'ai dû descendre refaire le plein. 
Je les ai emmenées. C’était le 27 Avril, je m’en souviens encore et ceux d’en bas aussi. Il s’en est raconté quand on a déboulé mes arpettes et moi dans le magasin de matériaux. Elles s’étaient habillées en orange des pieds à la tête et durant tout le trajet, elles avaient levé les coudes à tours de bras. Le jour du Roi m’ont-elles dit. Tu parles, le jour de l’alcool, oui.  Elles m’ont fait acheter ce qu’il fallait pour la charpente des remises, on va s’y mettre après les murs de la grange. En bas,  ils n’avaient, sans doute, jamais vu pareil équipage. Je dois dire que j’étais plutôt fier avec mes deux beautés mastoques. J’en ai profité pour faire un tour de ville avec elles dans le dos. Un tour des bars, en vrai. Après un passage remarqué au Bar Central où je me suis rendu compte qu’elles descendaient les bières comme elles montaient les murs, on a laissé la ville derrière nous. J’avais à peine passé le panneau qu’elles dormaient effondrées à l’arrière, leurs deux queues de cheval claires sur le gris des sacs de ciment… 
Evidemment,  je suis tombé éperdument amoureux. Des deux. Mais pas en même temps. Un jour l’une, un jour l’autre. Elles n’en ont jamais rien su. Enfin, elles ont fait comme si elles n’en avaient rien su. Et puis la grange et son toit à nouveau comme neufs, au début de Septembre, elles ont endossé leurs sacs et repris leur route soit disant vers Saint Jacques. 
M’est avis qu’elles se sont arrêtées à la première plage venue.

Elles ont levé le camp, comme elles étaient arrivées, en marchant, des ampoules aux mains en plus.



4 commentaires:

Anonyme a dit…

Personnages atypiques. J'aime bien. Ce ne sont pas Les Passantes, mais les Traversantes :)
Papy

chri a dit…

@ Papy Ah merci Papy! Oui, elles ont la pêche ses copines n'est-ce-pas?

Anonyme a dit…

Oui, il en a de la chance ! Il aurait pu croiser des beautés formatées en papier glacé ! :)

Papy

chri a dit…

@ Papy Si ça avait été le cas, il n'aurait rien eu à écrire. :-)

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