03 juillet 2018

Comme...

Il y a tant de mains pour faire ce monde, si peu pour le contempler. Julien Gracq.
              
Comme tu n'aimes pas rester immobile à attendre que les heures filent sans qu'il ne se passe rien... Comme tu aimes bouger parce qu'ainsi tu te sens davantage vivant... Comme tu aimes aller à la rencontre des choses, des paysages et des gens...  Comme tu aimes l'eau pour les bienfaits qu'elle apporte et les merveilles qu'elle donne à voir et à sentir... Comme tu préfères te baigner que nager... Comme tu n'es pas regardant sur le chemin à faire pour la trouver, tu iras...
Elle se rencontre au moment où elle passe sur un petit pont de pierre large comme une main. Juste après un hameau de quelques maisons de pierres.  La voiture garée dans les feuillus pour la protéger du chaud plombant, les épaules alourdies d'un sac avec, dedans, des bouteilles pour la soif et de quoi manger contre la faim, une paire d'yeux en bon état de voir, une paire de chaussures en bon état de marche, elle s'écoule et t'attend.
Bien sûr, il y en aura d'autres avec toi qui en auront entendu parler et qui seront venus lui rendre visite, mais ils ne s'éloignent pas du Pont. Toi, oui.
Alors, tu avanceras dans son lit en regrettant presque d'en froisser les draps. De la fraîcheur jusqu'à mi-mollet, parfois jusqu'à mi-cuisse, souvent jusqu'à mi-ventre. Quand les vasques seront trop tentantes, tu y plongeras en nageant quelques brassées, dans d'autres tu t'assiéras, juste ça, et tu te verras posé dans le mitan du courant, les ondes s'écoulant autour de toi comme des caresses légères et puis tu continueras à monter vers là-haut, vers d'où elle vient. Tu passeras en baissant la tête entre des murs de roches qu'elle aura creusées juste pour t'être agréable, pour te donner de l'ombre et du frais. Tu y sentiras les truites te passer entre les jambes, tu y verras les points noirs agités des têtards nouveaux-nés prometteurs de belles musiques à venir ou de taches vertes sautillant à ton approche pour un peu plus tard dans la saison. Tu seras surpris, un peu, parce que ses pierres ne glissent pas, elles sont juste confortables à tes pas.
Une fois arrivé à l'endroit choisi, tu te poseras sur une large plate chauffée à blanc, pour le repos mais surtout pour le plaisir, tu t'y endormiras peut-être quelques minutes, bercé par le chant de la course d'eau vive entre les roches dévalées du dessus. 
Et puis tu redescendras, apaisé, serein, émerveillé. Un joli sourire au cœur.
Voilà, tu auras passé cette journée de début juin dans le Toulourenc, une petite rivière au pied du Mont Ventoux que tu peux toujours aller saluer avant de rentrer chez toi si tu as encore un peu chaud parce qu'au sommet, à deux kilomètres en hauteur de la mer, il y fait toujours frais quel que soit le plomb qui coule autour. Et si tu peux t'arranger pour faire cette virée en compagnie de ton fils que tu n'as pas vu depuis six mois, à cause de son désir d'alizés, alors, tu te sentiras comme un aigle de Shaolin planant au-dessus de la plaine des ennuis, des manques, des douleurs, des peines, des absences et des renoncements. Tout aurait été parfait si tu avais su convaincre ta fille préférée de venir avec vous, mais tu n'as pas su le faire. Et puis, parce que tu es  comme ça, tu te diras mais sans le dire, qu'il serait terrible que tes arrières-petits-enfants ne puissent connaître un tel endroit et n'aient plus, pour patauger, que de l'eau en boîte...
Toi, tu seras absolument réconcilié  avec l'idée finalement si simple de vivre. Et, comme ce jour scellera définitivement ta chance, sur le retour, sous le couvert d'un bois de pins maritimes, à la canopée large comme un parasol de géant, tu entendras, dans l'air entièdi, chanter tes premières cigales...






4 commentaires:

Christine a dit…

Je me sens en familiarité avec ce texte. Sans doute grâce à tous ceux que tu as écrits et que je connais - comment dire ?- un peu . Bravo ! Toujours cette élégante faculté à parler du Sud ! À donner des envies à crever d’y foncer pour se plonger dans les eaux cristallines, fraîches et vivantes de ton pays !

chri a dit…

@ Christine Merci à toi!

Brigitte a dit…

J'y étais et il faisait bon !

chri a dit…

@ Brigitte Ah toi aussi!

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