05 janvier 2019

Reiki, qui?

"Qu’est-ce-que tu fous ? T’appuies pas ?"
J’avais le doigt sur la sonnette, depuis quelques lurettes mais je ne bougeais pas d’un index, j’attendais qu’il se passe quelque chose. 
Elle est revenue à la charge:
"Allez appuie on va se geler les fesses là."
Normalement on ne devrait pas avoir à le faire, j’ai dit. J’ai tout bien lu sur le net, mettre le doigt au-dessus devrait suffire à la faire sonner.
Au lieu d’une approbation légitime, j’ai juste eu droit à un: 
"Ce que tu peux être con quand tu t’y mets." Ce qui n’était pas faux même si ça ne m’a pas ravi. La plaque brillante à gauche de la sonnette indiquait : Yolande Goudda Énergéticienne. Spécialiste. Diplomée de Reiki.
Spécialiste de quoi n’était pas expliqué sur la plaque.
Un mal de dos de chien ou plutôt un mal de chien de dos me coupait en deux depuis plusieurs semaines. J’avais fait appel à tous et dépensé une petite fortune: Ostéopathe, chiropracteur, acupuncteur, sorcier, rebouteux, ma tante, rien n’y avait fait. J’avais une pointe de lance pimentée dans le bas du dos et elle y restait. Le jour et surtout la nuit. Si vous n’avez jamais dormi avec une  flèche d’acier figée en vous, essayez et venez me raconter vos doux rêves, qu’on rigole. Je ne dormais plus que par séquences ultras brêves. J’étais bon pour la transat Jacques Vabre. Et toujours cette terrible douleur à chaque mouvement. Aussi quand elle m’avait parlé de reiki j’avais tendu l’oreille comme un canasson aguiché. C’était la première fois que j’entendais parler de ce truc. J’ai d’abord pensé à une façon de cuire les poteries en disant si c’est bon pour les pots ça peut l’être pour les dos. Mais le raku n’avait rien à voir là-dedans. Reiki, raku… 
Et pourtant c'était bien japonais. Eux, ils ont le chic pour ce genre de truc. En vrai, ils ont le chic pour tout. Ils prennent leur temps, ils ne sont pas comme nous pressés d'en finir. Je les ai vu faire des omelettes cubiques! Tu leur donnes une feuille de papier A4, ils t'en font un troupeau d'éléphant, deux feuilles de thé, un peu d'eau chaude et tu as une cérémonie, trois glaïeuls et tu admires une sculpture. J'aimais leur rigueur intense, raffinée alors pourquoi pas le Reiki? J’avais fait la bêtise d’aller lire sur internet ce qui se disait sur la reikologie. Misère. À mi-chemin entre le gourouisme et l’illusionisme. L’imposition des mains ! Le dernier qui avait fait ça chez nous avait fini les bras en croix. La circulation des énergies ! Tu crois vraiment que je dois faire appel à ça ? J’avais dit « ça » comme on manipule avec des pincettes aux longs manches en évitant d’avoir les doigts qui sentent. Son argument avait été imparable : Tu as tout essayé, rien n’a fait, pourquoi pas « ça » comme tu dis. Tu as raison, « ça » peut faire comme le reste : rien. En tous les cas « ça » peut ne pas aggraver la situation. Il n’y a ni manipulation ni contact. J’appelle. J’avais eu un rendez vous pour deux jours plus tard. Et là, nous étions devant chez la fameuse Yolande. Fameuse c’est son site qui le disait. Elle en avait guéri des paquets de quidams si tu lisais jusqu’au bout.
"Je te laisse, je vais faire une course et je reviens te prendre après ta séance. " 
Et elle avait disparu. J’ai fini par appuyer sur la sonnette d’un doigt volontaire mais inquiet. La porte s’est ouverte. Je suis entré. La salle d’attente était à droite. J’ai poussé la porte. Un bouddha géant en terre,  des piaillements d’oiseaux exotiques et une musique indienne m’ont accueilli. En revanche, il n’y avait pas de chaise mais des futons à même le sol. Yoyo testerait aussi notre souplesse? Quand on est plié en huit à cause du dos, chez Yoyo, on reste debout. Des bâtons d’encens au benjoin empestaient la pièce. On y était, jusqu’au bout, je me suis dit. Peu de temps après, une force de la nature brune  en gandoura bleue profond des panchos de laine aux pieds est entrée, les mollets poilus comme des coiffes de Welsh Guard. Ça m'a étonné de la part de quelqu'un que j'imaginais volontiers anti-fourrure. Elle m’a regardé de haut en bas comme on regarde la Vénus de Milo et puis elle a fait demi-tour.
J’ai suivi Yolande. Elle était comment dire ? Massive, solide et charpentée. Elle avait la ligne mais la deuxième ligne. Grande large et costaude. Un joli visage d’après mon souvenir, là je la voyais de dos et les murs du couloir n’en menaient pas large. J’ai regardé ses mains. Dix francforts, cinq  au bout de chaque poignet. Pour l’imposition des phalanges, elle devait couvrir une surface conséquente, un bonus dans sa branche. Elle m’a fait allonger sur le dos sur la table de massage, trouée vers la tête. Elle m’a demandé ce qui m’amenait. Mon dos, j’ai dit. Mon dos, j’ai une baïonnette dans le creux des reins et ça me fait souffrir. Tu m’étonnes a fait Yolande. Détendez vous elle a rajouté. Alors, en fermant les yeux, elle a commencé. Elle passait ses mains à cinq centimètres de ma peau, les Francfort grandes ouvertes. Au début je l’ai regardée faire et puis, une fois sur le ventre, la tête dans le trou de la table, l'énergie a tellement bien circulé qu'elle a foutu le camp: je me suis endormi en bavant. 
Elle m’a réveillé et m’a dit que normalement elle avait fait ce qui devait être fait. J’étais bien content. J'avais un peu dormi mais toujours aussi mal. Je me suis rhabillé avec difficulté, et au moment de payer, oui j'ai été surpris. Elle m'a tendu un morceau de papier imprimé sur lequel il y avait une liste de légumes frais de fruits frais, de fruits secs, de riz et le tout faisait environ soixante euros. Pas d'argent entre nous elle a dit, mais que du bio! Revenez plus tard, vous m'apportez ce qui est sur la liste et nous serons quittes. En ce moment je manque de fruits secs, elle a précisé. Elle se faisait payer selon ses besoins et elle ne perdait pas le Nord. C'est les impôts qui vont faire la gueule, j'ai pensé, mais ce n'était pas mes affaires. Elle a poursuivi: reposez vous quelques jours, votre douleur devrait passer et elle m’a tiré vers la porte. Je suis revenu le lendemain déposer mon cageot plein. 
Deux jours après j’en étais au même point.
Je tournais en rond plié en deux dans la baraque en chouinant :
Et ma lance, hein qui va m'en débarasser vraiment du feu qui me ronge ?

C'est à cet instant qu'avec sa petite voix douce et gentiment moqueuse, elle a proposé: Alors, là où tu en es, il ne te reste plus qu'à essayer la bouche d'une Sandy.







6 commentaires:

M a dit…

Que c'est bon d'en rire !

chri a dit…

@M Celle-là je te la dois!

Tilia a dit…

Et la morale de l'histoire, c'est qu'avec le reiki tu raques autant que chez n'importe quel(le) docteur(e) spécialisé(e). Sauf que là, ce n'est pas pris en charge par la sécu et tu l'as toujours dans le.. dos, la lance.
Bon courage et meilleure chance si jamais ça vous reprend

chri a dit…

@ Tilia Merci mais depuis septembre je suis épargné... Je me demande bien pourquoi...

Brigitte a dit…

Alors si tu es épargné tant mieux et pourvu que cela dure ! Les émotions jouent aussi un grand rôle sur la santé et les douleurs . Et pas toujours évident de décrypter cela …
Belle fin de semaine

chri a dit…

@ Brigitte Merci, merci!!!

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