04 juillet 2019

Pas cher payé

                           À la faveur d’un nid de poule carabiné, accueillir avec bonheur l’irruption d’une phrase qu’on rêvait d’écrire depuis des semaines, s’arrêter devant le passage bondissant de la fourrure rousse d’un écureuil traversant le chemin sous ses pas, faire toujours le même parcours parce que justement il n’est jamais le même, les lumières changent, les bruits changent, les couleurs changent, les odeurs sont à chaque fois nouvelles et surprenantes comme dans la vie de couple l’autre n’y est jamais le même, les sentiments qu'on lui porte non plus, on ne l'aime jamais avec la même force, on peut certains matins le détester à lui vouloir du mal et le soir lui tomber dans les bras comme dans un refuge accueillant, l'amour c'est vivant, ça varie, ça ondule, ça secoue, ça transporte, ça s'ausculte et c’est ce qui rend la durée plus intense, faire une petit pause au frais d’un avant bras de la rivière cavalant, surprendre le vol bleu électrique d’un martin pêcheur qu’on aura dérangé, assister au spectacle d’une truite longue comme une cuisse, en attente dans le milieu du courant, se rendre compte amusé que sous l'effet des endorphines les vieilles douleurs de la cheville gauche du genou droit et du bas du dos disparaissent peu à peu, être accompagné du vol tranquille mais concentré d’une buse en chasse au dessus du doré des blés, jeter un oeil à droite à la colline de Thouzon et son château branlant posé dessus comme un noyau de cerise sur un gâteau sec, déplacer du milieu du chemin au bas côté la coquille caramel grosse comme un poing d'un escargot de Bourgogne et lui dire: ne reste pas là, avec tout le chemin que tu as parcouru, ce serait bête de finir écrasé, ici, se sentir une seconde saint François d'Assise et puis vite penser aux granulés bleus balancés dans les pieds naissants du basilic pour dégommer les limaces qui me les bouffent, ça équilibre, engloutir une bouchée entière d’été au pied du figuier du troisième kilomètre, apercevoir l’intense bleu d’un champ de lavande derrière le vert profond de la grande haie de cyprès, contempler la présence d’un troupeau de chêvres, de son odeur et surtout de la joie d’une bande de cabris bondissant comme des balles qui jouent à  se donner des coups de têtes pour de faux avec des poses de kékés des bas quartiers, écouter avec attention le lancinant et répétitif coucou du coucou, prendre un bain chaud de chants de cigales amoureuses sous les pins de la haute pinède, admirer le vol tremblant d’une alouette, regarder en avançant le Ventoux là bas, dans le fond, et son toupet de nuages façon chantilly, annonciateurs d’orages, attraper au passage un brin de liane, tirer dessus et en libérer le cerisier envahi, éviter les insectes traversant vite fait le bitume en quasi fusion, parler à un chien qui aboie derrière la clôture autant pour dire bonjour que pour prévenir : ne pense même pas à franchir la clôture, commencer à organiser son affaire et se dire dans un sourire que cette fois on tient un bon bout, juste après, penser que seul on est bien mais que ce ne serait pas plus mal de la partager, cette marche, croquer dans l’orange tiède du fruit tombé par terre sous l’abricotier du huitième kilomètre, se dire qu’on y est presque et prolonger d’encore mille mètres pour être bien certain de la fin de sa page, entendre le jacassement agressif de pies et espérer qu’elles se disent des choses essentielles sur la marche du monde, qu'il vaille la peine de faire tout ce barouf, qu'elles s'en racontent sur  tout ce qu'il reste encore à faire pour que, demain, des vols d'oiseaux le parcourent encore, le monde,  s'apercevoir que le corps désormais en déficit d'endorphine les douleurs du début repointent leurs museaux, entendre la voix synthétique et pourtant semble-il joyeuse du portable annoncer : dix kilomètres, mille deux cent kilos calories brûlées, , se dire à haute voix: yes, moins une figue et un abricot, il faut tout compter, maintenant se presser de revenir, pousser le portail, entrer, ouvrir la porte du frigo, descendre une bouteille d’eau fraîche à même le goulot, monter au bureau s’y asseoir sans prendre de douche, ruisseler des avants bras et tenter de mettre en phrases qui tiennent la route pour quelles étranges raisons on s’en va chaque jour faire son tour, presque toujours le même, dans sa campagne, le matin juste avant que s'impose à tous la dictature sans pitié de la Grande Canicule.
Mille deux cents kilocalories pour une page, au fond, ce n'est pas cher payé.




4 commentaires:

Brigitte a dit…

Une jolie balade ou je t'ai accompagné !La nature est merveilleuse ,il suffit juste que l'on sache la regarder...Elle est changeante ,jamais la même, parfois surprenante . C'est pareil pour moi au fil de mes marches . Bon week-end

chri a dit…

@ Brigitte Merci à toi. Bonnes marches.

Tilia a dit…

Voilà qui est fort bien, je dirais même que c'est parfait, ou presque.. Oui, un détail m'a fait tiquer : les granulés bleus.
Vous devriez vous mettre en quête d'un crapaud qui veuille bien rester dans votre jardin pour faire le travail aussi bien que le produit ferreux sans son inconvénient.
Car, toute médaille a son revers : "à force d’en appliquer souvent, année après année, au même endroit, le fer peut s’accumuler dans le sol et aura alors des effets négatifs sur la croissance des plantes". Jdçjdr ;-)

Autre solution, cultiver votre basilic en jardinière hors-sol, comme les fraises de Gally ;-)

chri a dit…

@ Tilia Pour les bleus, je suis d'accord avec vous, c'est mal.

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