18 juillet 2019

Je me souviens


Je me souviens du jeu de jambes et du revers de Miroslav Mécir. Il ne donnait jamais l'impression de courir. Il ne donnait jamais l'impression de frapper. Ses adversaires ne savaient jamais où allaient atterrir ses balles.
Je me souviens de mon premier disque, on me l’avait rapporté des Etats Unis. C’était Bridge over trouble water de Simon et Garfunkel.
Je me souviens du circuit de voitures de course miniatures dans le grenier de Guy Claude en Belgique.
Je me souviens qu’elle était toujours de notre côté. Plutôt une vieille grande soeur qu’une grand-mère.
Je me souviens d’un petit tricycle rouge en métal.
Je me souviens du bac à sable en forme de bateau dans le tout petit square près de la Grande Mosquée de Paris.
Je me souviens que chaque semaine j’attendais avec impatience la livraison du journal Pilote auquel j’étais abonné.
Je me souviens de la première fois où j’ai mis les pieds sur l’île d’Oléron.
Je me souviens qu’à Noël ma marraine m’offrait le livre de l’année du Reader’s Digest.
Je me souviens de la première fois et de la seule, où au Lycée, j’ai répondu à une question en disant qu’en Inde les gens vivaient castrés. Mortifié de honte.
Je me souviens de la voix de crécelle des frères Gibb des Bee Gees dans "I started a joke".
Je me souviens que dans certains cinémas de Paris, il n’est pas rare de trembler sur son siège quand, en dessous, un métro passe.
Je me souviens du petit court de tennis en terre battue près du Pont du Petit Parc à Saint Maur.
Je me souviens du nom du chalet que mes parents avaient loué avec des amis, un été à Val d’Isère: Les Airelles.
Je me souviens des escaliers descendant à la plage d’Houlgate et de la grande maison de vacances des Mercier.
Je me souviens que mon grand père détestait perdre aux boules et qu’il avait la colère facile. 
Je me souviens qu'on disait de moi c'est lui tout craché. C'était aussi mon parrain.
Je me souviens qu’il faisait croire qu’une banane sortait de son aisselle et que cela nous faisait beaucoup rire.
Je me souviens de l’odeur du quartier où mes grands parents avaient loué une maison à Saint Gilles Croix de Vie. Ça sentait le poisson séché.
Je me souviens qu’au cabanon je n’étais, tout l’été, vêtu que d’un short et d’une paire de sandales en lanières de cuir.
Je me souviens de la très haute échelle métallique pour monter tout en haut du bassin d'arrosage rond et de son eau noire, là-haut.
Je me souviens de la nuit du 21 Juillet 69. On allait du cabanon à l'extérieur pour voir si on ne les apercevait pas, là-haut.
Je me souviens de ce blouson blanc à peine rapporté du Japon que j'avais oublié sur un banc du square de la Place des Marronniers.
Je me souviens de la finesse de la lame du couteau à force d’avoir été aiguisé qui servait à mon grand-père pour égorger les poulets et peler les lapins du dimanche.
Je me souviens du S.A.C. : Service d’Action Civique et de la tuerie d’Auriol qu’il avait été soupçonné d’avoir commis. Puisqu’il avait commise.
Je me souviens chez les louveteaux d’Akéla la cheftaine. C’était une vieille, elle devait avoir au moins quinze ans.
Je me souviens de la montée vers Clans et de la place du village et de sa fraicheur, le soir.
Je me souviens de nos balades avec six enfants et une chienne noire si heureuse dans la campagne auxoise.
Je me souviens des salades, des laitues, rangées en cagettes, chargées dans la deux chevaux commerciale et livrées avec un grand-père dans le vieil Antibes.
Je me souviens que le soir des résultats des élections présidentielles de 81 nous avons cru, avec effroi, voir le haut du crâne de Giscard D’Estaing apparaître.
Je me souviens de la maison d’Arzacq Arraziguet, Pyrénées Atlantiques, de sa petite terrasse sur le devant, de ses quatre grandes chambres à l’étage du poêle à bois dans la cuisine et de son atelier interdit d'accès.
Je me souviens très précisément de la douceur de la température dans la cour silencieuse de La Pitié Salpétrière la nuit du jeudi 28 Mars 1985.
Je me souviens qu’elle était tout pour moi. Pas la seule, mais tout.
Je me souviens d’avoir trouvé que l’arrière de la traction avant de mon grand-père était incroyablement spacieux.
Je me souviens d’un spectacle du chanteur Renaud au Grand Rex et de son arbre géant sur la scène.
Je me souviens d’une tristesse après un match de coupe du monde de football France Allemagne.
Je me souviens du chocolat au lait chaud. Sans passer par le casserole, chaud de la chaleur du pis qu’on allait chercher à la ferme d’à côté
Je me souviens des parties de pétanque en nocturne sur le terrain éclairé le long de la maison.
Je me souviens de l’odeur moite et tiède des immenses serres de roses en fleurs.
Je me souviens de la Celtique qu’elle allumait et se collait dans le coin de la bouche pour faire sa vaisselle et qu’à cet instant, il fallait dégager de sa cuisine.
Je me souviens du premier fast food de Paris à l’angle de Saint Michel et Saint Germain.
Je me souviens d’une visite au musée de la mode et d’une exposition Shisheido.
Je me souviens de sa Renault Gordini, de sa MG coupé verte et de son Opel manta.
Je me souviens d’une longue balade à pied sur les berges de la Seine vers Chessy lors d'un week-end excessivement pluvieux. Tellement qu'il a fini par pleuvoir à l'intérieur.
Je me souviens que la douche du cabanon était une lessiveuse peinte en noir mat et montée sur une structure en bois.
Je me souviens de l’attentat de la rue des Rosiers, de celui du métro Saint Michel, des pleurs, des cris, des morts et des blessés.
Je me souviens du long couloir enfumé du Bar Le temps perdu juste en face du Lycéeet toutes les heures qu’on y a passées à refaire le monde. On a échoué, c'est un Mac Do aujourd'hui. Il y avait aussi celui de La Croix souris mais on ne le fréquentait pas, celui-là. Il existe encore.
Je me souviens d’un figuier dans le fond de la campagne. On pouvait accéder à la première grosse branche, s’y allonger, cueillir les figues sans bouger et les manger sur place.
Je me souviens de son désir. Comme il faisait naître le mien.
Je me souviens de Ferreux sous Quincey de son bar, de ses blancs limés et de la petite largeur transparente de la rivière  Ardusson.
Je me souviens de L’Auberge du Cygne de la Croix à Nogent sur Seine et des repas que nous y avons partagés, en bande.
Je me souviens du square Henri IV et des projecteurs éblouissants des bateaux-mouches.
Je me souviens combien j’aimais la regarder. Juste la regarder. Je la trouvais si belle. Et marcher à côté d’elle.
Je me souviens d’avoir visitéle journal l’Équipe et son imprimerie qui était au même endroit que la rédaction.
Je me souviens de la couleur de la peinture de ce couloir de la maternité Esquirol de Saint Maurice ce samedi 7 Aout 1982.
Je me souviens des pleurs d’une amie sur le parking d’un cinéma d’une ville naissante à la sortie du film Série Noire avec Patrick Dewaere. Bouleversés.
Je me souviens de la bouffée de chaleur ressentie sur le haut de la passerelle de l’avion dans la nuit de Fort de France.
Je me souviens d’un moulin en Normandie, d’un court de tennis et d’une rivièreàtruites pêchéespar la fenêtredu séjour.
Je me souviens du jardinet de Chilly Mazarin et de sa toute petite maison branlante poséedessus. Au bout du jardin le bruit lancinant du passage sur l’autoroute A6.
Je me souviens de tout le chagrin que j’ai pu lui faire.
Je me souviens que j’avais la collection complète du journal Pilote et que j’étais abonné, j’attendais chaque semaine avec impatience sa livraison.
Je me souviens des bouses de vache à même la rue de la vieille ville après le passage du troupeau deux fois par jour. Et des mouches qui suivaient.
Je me souviens de l’instant où elle a attrapé ma main pour courir plus vite sur une aire de supermarché.
Je me souviens de l’intensité de son regard quand elle a croqué dans une tartine de confiture de groseille grande comme une assiette.
Je me souviens du train à vapeur qui passait près de chez un ami. Quand nous entendions la locomotive arriver nous courrions sur la passerelle pour être enveloppés par la fumée blanche.
Je me souviens de Monsieur et Madame Haudricourt. Lui directeur de l’école, elle institutrice. Deux vraies peaux de vache. Les deux. Je me souviens que sa spécialité, à lui, c’était de tirer vers le haut, sur les cheveux fins des tempes jusqu’à ce qu’on soit sur la pointe des pieds et là, tombait la double gifle simultanée, cinglante. Des deux mains.
Je me souviens qu’on avait tiré sur le Président Kennedy et qu’il en était mort. Et nous tristes.
Je me souviens du chat siamois Jojo et de la jolie Elsie qui étaient des usines à câlins.
Je me souviens que je me demandais qui pouvait bien être à la radio cet Emile dans le jeu d'Emile Franc.
Je me souviens des encriers remplis chaque matin en haut à gauche des bureaux pentus.
Je me souviens de mon pull de louveteau bleu marine en laine avec ses trois galons de sizenier. Et de tous les badges le long de la manche gauche.
Je me souviens des bocaux de verre pleins de sucres candy chez le marchand de bonbons du boulevard de Créteil.
Je me souviens du caniche noir qui venait à ma rencontre quand je revenais de l'école et de la fête qu'il me faisait.
Je me souviens qu’on jouait aux osselets assis par terre dans le préau et que les places étaient chères pour avoir le carrelage qui glisse et pas le goudron rugueux.
Je me souviens de la moiteur odorante dans les longues serres d’œillets Tangerine.
Je me souviens de l’odeur de lessive de l’aronde commerciale du droguiste qui montait péniblement le chemin des Âmes du purgatoire une fois par semaine en klaxonnant. Quand j’étais là, ma grand-mère lui achetait un paquet par semaine de Bonux. Elle dépliait un journal et vidait la poudre pour trouver le cadeau.
Je me souviens de la piscine des Zalewski qui servait aussi de bassin d’arrosage.
Je me souviens que la DS du Général de Gaulle avait été prise pour cible dans un attentat et je me demandais qui pouvait bien être ce petit Clamart.
Je me souviens de mon ami Saka Becher. Nous rentrions ensemble de l’école et durant tout le trajet nous jouions aux billes dans la poussière du caniveau.
Je me souviens d'un chien qui s'appelait Tabac. Parce qu'il était marron?
Je me souviens de la blouse grise de Monsieur Gosset instituteur à l’école Carnot, quartier d’Adamville à Saint-Maur des Fossés.
Je me souviens du boxer de mon grand-père, Mickey, qui mordait au bras celui qui faisait mine de lever la main sur moi.
Je me souviens de Monsieur Christian Dorothé un professeur de français du CES sur la chaise duquel nous mettions des punaises. Nous l'avions punaisé,  il nous avait puni.
Je me souviens des soirées athlétisme du Stade Chéron à Saint Maur Des Fossés de l'odeur d'herbe coupée  et de la rivalité entre Michel Bernard et Michel Jazy.
Je me souviens des martinets pendus en grappes vendus par ma grand-mère dans son magasin rue Monge.
Je me souviens que je croyais que l'insulte suprême était "laborieuse" et qu'une borieuse était vraiment une personne épouvantable.
Je me souviens des pans bagnats de dix heures partagés avec l’ouvrier agricole Jeannot qui était mon colosse ami.
Je me souviens du ciné-club de Maisons Alfort où j’allais voir des films polonais en noir et blanc sous titrés, pour être, un peu plus, avec elle.
Je me souviens du regard de Jeanne Falconnetti dans le Jeannne d'Arc de Dreyer.
Je me souviens de la fanfare de la piste aux étoiles, du costume blanc  et des cernes sous les yeux de Roger Lanzac.
Je me souviens de l’escalier en colimaçon pour monter à l’infirmerie de l’école.
Je me souviens de la librairie marchand de bonbons juste en face de l’école. On y achetait aussi des billes.
Je me souviens de la ligne de métro Châtelet, Pont Marie, Sully Morland, Jussieu qui allait de Louvre à Monge et qui passait sous la Seine.
Je me souviens du cinéma et des bains douches municipaux de la rue Monge où je suis allé avec mon grand-père.
Je me souviens de l’anneau de métal à décrocher qui donnait un tour gratuit au manège du jardin des Tuileries.
Je me souviens du billard français  du bar du Pont de pierre où nous allions jouer en faisant bien gaffe d'éviter l'accroc.
Je me souviens qu’au Printemps sur les trottoirs en terre on attrapait des hannetons qu’on mettait dans des boites d’allumettes.
Je me souviens d’un match de hand-ball à Falaise. Nous y étions allés dans la DS d’un de nos pères. Nous en étions revenus en trombe.
Je me souviens des départs en 4 chevaux le soir et des réveils au petit matin dans les rougeurs de l’Estérel.
Je me souviens qu’il m’arrivait en rentrant de l’école primaire de passer par la charcuterie et d’acheter des tranches de saucisson à l’ail comme j’aurais acheté des roudoudous.
Je me souviens du torrent de sang qui s’écoulait en mer quand à l’abattoir de La Fontonne on tuait les bêtes. L'endroit devenait alors très poissonneux et puant.
Je me souviens du gris Coubertin avec ses briques rouges à l’extérieur.
Je me souviens de la piscine et du terrain de tennis au sous sol de la rue Eblé, des casiers en bois avec des trous d’aération en haut et de l’odeur des vestiaires de la salle d’Armes au dernier étage.
Je me souviens des carcasses de viande dans toutes les boucheries du bout de la rue Saint Honoré vers les halles et le va et vient incessant des camions.
Je me souviens du cinéma Eldorado près de la gare de Saint Maur Le Parc où l’on pouvait fumer. Dans la gare ET le cinéma.
Je me souviens que j’aimais rester à l’étude de l’école pour la grande récréation entre seize heures trente et dix sept heures.
Je me souviens du goût un peu âcre des feuilles d’oseille dans le jardin potager de Rosny sous Bois.
Je me souviens que nous avions répété un spectacle avec Pierre Jolivet. Je me souviens d'un sketch où il était question d'amour l'un plus que l'autre qui finissait par un affrontement. On ne l’a jamais joué.
Je me souviens du repas de communion solennelle dans un restaurant des bords de marne et de la montre que j’y avais reçue. Je l’ai toujours mais elle a perdu ses aiguilles et je ne porte plus de montre.
Je me souviens de tous ces après-midis dans sa chambre, elle n'habitait qu'à deux pas du lycée.
Je me souviens des lanières des patins à roulettes qui tenaient mal sur les pavés de la Cour carré du Louvre, d'avant la pyramide.
Je me souviens de l’odeur du crottin de cheval venue de la caserne des gardes républicains de la Place Monge.
Je me souviens de Mademoiselle Lerner notre professeur de français qui, pendant ses cours a suivi, inquiète, à l’aide d’un petit transistor l’évolution de la guerre du Kippour. Mais sans jamais nous en parler.
Je me souviens que j’aimais les jours d’élection. Le lendemain il n’y avait pas d’école à cause de la désinfection. Désinfectent-ils encore les locaux, aujourd'hui?
Je me souviens que « je me souviens » est la devise du Québec.

Je me souviens d’avoir vu deux fois dans un théâtre parisien Samy Frey, pédalant sur une bicyclette jouer la pièce "Je me souviens" de Georges Perec…

4 commentaires:

Tilia a dit…

Moi aussi je me souviens de Roger Lanzac et de ses cernes, quand je vois ce portrait :-)

chri a dit…

@ Tilia Oui Roger La piste aux étoiles... C'est dire...

Brigitte a dit…

De chouettes souvenirs et surtout dans l'ile d'Oléron ou j'allais avec mes parents et retrouvais chaque année la même bande copains !

chri a dit…

@ Brigitte Ah toi aussi Oléron!

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