16 septembre 2021

Dures au mâle

 Sur le coup, le type qui venait de voir son bras partir loin devant lui n’en a pas cru ses yeux.

On peut comprendre. Ce ne sont pas des choses qui arrivent tous les jours. En principe la vie nous met à l’abri de ce type de péripétie plutôt douloureuse à moins d’être garçon boucher, tueur en série ou soldat en temps de guerre, on n’est que rarement préparé à ce genre d’événement et il faut, sans doute une bonne dose de sang froid pour, à cet instant précis, ne pas paniquer, garder la tête et son sang froid. Vous remarquerez qu’il n’est pas encore ici question de douleur. Pour qui a vu quelques films de cinématographe ou lu quelques livres sur les conflits armés de par le monde, sur la capacité infinie des hommes à se battre, s’éparpiller, se trancher, s’exploser, se couper en morceaux, nous savons tous très bien que l'arrachage executé,  ce n’est pas la douleur qui vient en premier. Ce serait une histoire d’adrénaline libérée dans l’organisme qui annihilerait pour un temps, pour un temps seulement, la souffrance juste après une blessure fût-elle d’importance. Il y a toute une littérature là-dessus comme si les gars qui filment ou écrivent avaient fait des stages de troisième cycle dans les tranchées de quatorze, enfin dans ce genre d’endroit où les membres se séparent les uns des autres pour une raison externe, pour une lame bien aiguisée, pour une machette affutée. À cet instant, disent-ils la douleur, bien élevée, polie, respectueuse laisse d’abord toute la place à l’incrédulité. On ne peut pas admettre, croire, envisager qu’une partie de nous le soit, justement. Dans ces moments particuliers, la souffance sait un peu se tenir, elle ne ramène pas tout à elle, elle ouvre les portes et laisse entrer : Faites faites, viendra mon tour lance-t-elle à la cantonnade.

Et puis, c’est son heure, son moment de gloire, son entrée dans la lumière. Alors elle s’en donne à cœur joie. La personne à qui vient d’arriver cette terrible mésaventure se met à hurler de toute sa voix, avec de l’air poussé par ses deux poumons à condition bien entendu que ceux ci soient encore intacts ce qui serait quand même, au vu des circonstances, LA  bonne nouvelle de la soirée. Il n’a QUE le bras arraché. Y-a-t-il de quoi en faire tout ce plat ? Mon gaillard joli,  soit raisonnable, vois les choses d’un bon œil, il t’en reste un. Donc tout ne va pas si mal que tu le hurles. S’il te plait, épargne nos oreilles ne soit pas  cet égoïste insensé qui attire l’attention de tout le monde avec ses petits bobos. Si tu penses être le seul sur cette terre à avoir mal mon pauvre bonhomme, tu te trompes gravement. Et lui, évidemment de hurler de plus belle parce qu’en plus il veut être plaint. L’homme n’est pas dur au mal. La femme oui, elle sait ce que souffrir vraiment veut dire. L’homme pas trop. Un éternuement et voilà la tuberculose, une bouffée de chaleur c’est  une fière aphteuse, une tristesse passagère, dépression profonde et une légère coupurette au doigt devient un membre arraché.

L’homme, le mâle ne sait pas se taire devant le mal. Il n’a pas eu l’habitude, il ne lui a pas été confronté régulièrement mois après mois, années après années. Il souffre une fois de temps en temps, le malheureux.

Alors il appelle, convoque, implore toutes les femmes du coin et surtout sa mère. Il est au bord de l’agonie, il va décéder c’est sûr, ce ne peut être autrement.

Mais non, Bichon chéri, tu n’as pas eu le bras arraché, tu t’es juste coupé le bout du doigt avec l’opinel à bout rond de ton fils. Tu devrais t’en remettre, Poussin mignon. Regarde, ça ne saigne déjà plus. Maman va te mettre un pansement, une jolie poupée au doigt. 

Une poupée ? Dit-il dans un sanglot long. Suis pas une fille.

Ah ça non, tu n'en es pas une, personne ne peut en douter mon chérinounet.




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