27 septembre 2021

En un éclair

Tout ça a commencé par la menace d’un orage d’une violence qu’on n’avait pas  connue depuis belle lurette par ici. 

C'était un matin de fin Septembre ou bien de début d’Octobre, on n’était plus certain de la date exacte, ce qu’on pouvait dire c’est que c’était un dimanche, le jour de grand marché, ça oui on s’en souvenait mais on ne saurait plus dire l’heure précise tant cette matinée avait tout bouleversé. Pourtant, l’aube montée lentement dans une brume douce avait été toute paisible, le jour s’était levé laissant entrevoir un ciel d’un bleu banal courant, habituel pour cette fin d’été. Et puis, en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, il s’était assombri.  Du bleu il avait viré au noir pendant presque le temps d’une seule inspiration. Avant cela, il  n’y avait pourtant pas eu la moindre brise comme si les nuages, venus d’ailleurs, avaient grossi d’un coup, comme s’ils s’étaient nourris de leur propre colère, comme s’ils avaient enflé sous l'effet d'un souffle affolant. Malgré cette menace subite, malgré le ciel assombri, malgré les nuages noirs qui grossissaient comme une vilaine boursouflure, comme un panier d'affreux champignons, je n’avais pas dérogé à l’habitude. Je m’étais habillé de bonne heure en croisant les doigts pour que le ciel ne me déverse pas de suite sa rougne sur les épaules. J’étais sorti et j’avais fait route vers le marché. Au vu des menaces annoncées j’avais emporté avec moi le parapluie des jours mauvais, le grand, celui qui pouvait couvrir deux personnes facile. Qu’est ce qu’on va prendre se répétaient les gens en marchant vers les allées déjà pleines de monde. Les familles de vacanciers qui avaient dû rentrer pour la  rentrée des classes avaient fait place aux retraités qui eux avaient tout leur temps et on se disait que l’Europe entière était descendue dans le coin. Belges, hollandais, suisses, anglais tout ce beau monde goûtait les couleurs, les odeurs qui se baladaient un peu partout comme des nappes de couleurs vives. Ils avaient presque tous enfilé des coupe vents imperméables ça ajoutait aux couleurs pétantes. Quelques gouttes avaient commencé à tomber mais rien d’inquiétant, rien qui ordonnât de se mettre à l’abri. quelques mains s'étaient posées en rempart au dessus de quelques mises en plis mais on pouvait encore déambuler dans les allées bien que la menace se précisait. Du ciel dévalaient des grondements sourds qui couvraient les bruits d’en bas. À chaque roulement, les têtes se levaient pour tenter de voir d’où ça allait venir parce que ça allait venir. Qu’est ce qu’on va prendre… Chacun en était maintenant persuadé. Le ciel n'avait pas démenti. En levant la tête, moi comme les autres, je n’ai plus regardé devant et c’est là que je l’ai heurtée. Son panier, déjà bien rempli s’est déversé sur le trottoir. Je me suis confondu en excuses et je l’ai aidée à ramasser courgettes, tomates, salades et haricots verts désormais en vrac sur le bitume de la place. Tout autour les jambes faisaient des écarts pour ne pas écraser les légumes répandus. Elle je ne l’avais pas encore vue vraiment, je l’avais juste entre aperçue vaguement… C'était trop. J’avais saisi que ses cheveux étaient dressés en un chignon approximatif monté à la va vite, qu’elle avait au poignet gauche un ensemble brillant de joncs thibétains, qu'elle portait une robe noire légère de fin d’été et d’un gilet en mailles fines couleur camel avec aux pieds des ballerines de danse caramel à petits talons. En attrapant un oignon qui roulait encore sur les gravillons je me suis dit :  Bon Dieu ce que ses chevilles sont fines. 

Et puis je l’ai vue, elle, enfin j’ai vu son sourire qui me disait ce n’est pas grave mais vous auriez pu regarder devant vous. J’avais envie de m’enfoncer dans le sol de la place. Nous étions tous les deux accroupis à remplir à nouveau son panier d’osier et nos regards se sont croisés.

Alors, du plus profond du noir  des éclairs éblouissants ont parcouru les masses boursouflées et sous les terribles grondements la terre s’est mise à trembler. Un éclair a transpercé le ciel au dessus de la place en zébrant l’air. Puis la pluie s’est déversée sur nos têtes ébahies en trombes énervées.

J’étais trempé, j'avais un genou à terre, les jeux étaient faits, j'étais plié, vaincu… 

J’étais amoureux... 

Misère, le seul vrai coup de foudre c'est la vieille antenne télé rateau qui l'a reçu. Vers dix heures dix. Eparpillée façon plage de sable, l'antenne. Mais à chaque chose malheur est bon, ainsi les tourterelles auront fini de s'y poser dessus, elles cesseront de m'arroser le perron de fiente juste dessous, quand ce n'est pas les épaules lorsqu'on rentre et elles ne me casseront plus les oreilles avec leurs ridicules roucoulades obsessionnelles et entêtantes. Exit les tourterelles.

Il pleuvait tellement que je n'y suis même pas allé à ce marché du dimanche. Au lieu de ça, j'ai passé une bonne partie de la matinée à quatre pattes dans l'entrée, une serpillière à la main à éponger la flotte qui s'insinuait sous la porte d'entrée à chaque bourrasque.

Vite dimanche prochain, d'ici là, le temps et ma vie se seront peut-être remis au bleu. 

Les amoureux sont en vie, eux




2 commentaires:

Tilia a dit…

L'amour, l'amour, toujours l'amour !
Chri, vous êtes amoureux ! Définitivement ;-)

chri a dit…

@ Tilia Je crois que j'aimerais ça!

Publications les plus consultées