06 octobre 2013

La sale vague...


Lui était parti bosser, elle ne travaillait pas le mardi matin.
Déjà, ils avaient chacun un travail ce qui en cette période était un luxe. Depuis plus d’un an que l’autre était le chef, contrairement à ce qui était prévu, tout le monde avait maintenant bien compris que le changement ne serait pas pour de suite…
C'est une peur bleue qui régnait dans le pays. On avait tous les jetons, la trouille flottait dans l’air à chaque carrefour… C’est aussi à cause d’elle que les gens étaient tendus. Quand tu avais un boulot tu vivais dans la peur de le perdre quand tu n’en avais plus tu avais la pétoche de ne jamais en retrouver. Un peu partout, dans les rues, on se mettait à dégainer pour un oui, pour un bien et ici où là, des grandes gueules commençaient à l’ouvrir plus fort que les autres en réclamant qu’on remonte les échafauds… Même sans le vouloir vraiment, on se mettait tous à se durcir, à se raidir et pour tout dire à devenir très cons. C’est dire si l’époque était reposante...
La plupart se regardait en chien de faïence, chacun était un ennemi potentiel, alors comme de tous temps, on commençait à se tourner vers ceux qu’il était le plus facile de montrer du doigt et on en venait à les regarder salement de travers. Les plus exposés, les moins comme nous, les moins faciles à défendre… Une misérable poignée de gens qui n’allaient pas tarder à porter sur leurs épaules dépenaillées tous les crimes du monde.  D'où ils venaient, on leur jetait des haches, ici on les lapidait. Ils étaient encore mieux ici...
À se demander si un jour on apprendrait quelque chose. Quelle jolie bande de crétins nous faisions…
Ah, il fallait les entendre les hurleurs… La plupart de leurs amis avaient mis de côté de quoi faire largement tourner la machine, les amis de leurs amis s’en mettaient plein les poches et ils dégoisaient à longueur de temps pour deux malheureuses poules volées. On les voyait en photos dans les pages centrales des magazines barboter dans des piscines de nababs et de marchands d'armes véreux, bruncher en famille dans des châteaux d’opulences, dîner dans des restaurants de rois, s’offrir des vacances de luxe dans des hôtels du même nom et ils passaient leur temps à jeter des pierres sur de pauvres gens vivants à douze dans deux malheureuses caravanes en carton. Et les autres en place qui, au lieu de clouer aux portes du silence tout ces criards, ce qu’ils étaient censés faire, hurlaient avec les loups en leurs emboitant le pas … Et quel pas… Une honte…
En vrai, ils étaient tous prêts à tout pour garder leurs places au soleil. Quitte à ce que tous, on  finisse par en baver des ronds de chapeaux…
Bref, la veille au soir ils n’avaient pas passé une très bonne soirée. Ils ne s’étaient pas vraiment disputés non, c’était pire, ils ne s’étaient rien dits ou presque. Ils avaient mangé ensemble, chacun devant son assiette, ils avaient regardé une connerie à la télé et puis ils étaient allés se coucher.
Ça faisait plusieurs semaines que c’était comme ça. Comme si le courant ne passait plus, comme si le canal avait été asséché, comme si le vent était tombé. Ils ne vivaient plus ensemble, ils cohabitaient.
Ils étaient malheureux chacun de leur côté. Elle, elle voulait mettre ça sur le dos de la période, lui… ne pensait rien. Ou plutôt n’en disait rien. Mais elle le connaissait, elle savait que c’est ce qu’il savait le mieux faire. Se taire et attendre que ça passe.
Elle ne l’a pas entendu partir. Quand elle est sortie de son deuxième sommeil, il n’était déjà plus là. Elle en a presque été soulagée. C’était si lourd entre eux deux désormais. Une fois qu’elle a débarrassé la table des restes du petit déjeuner, elle s’est collée sous la douche et elle a vidé le ballon d’eau chaude. Après s’être enduite de cette crème venue d'ailleurs, elle aussi, celle qui hydrate en laissant une odeur douceâtre, elle s’est habillée avec ce qui lui est tombé sous la main. Et puis, emportée par on ne sait quel élan, elle s’est vue faire une chose dont elle ne se pensait pas capable. Puisqu'elle était dans l'armoire,  elle s’est mise à lui faire les poches. Elle aurait presque aimé trouver quelque chose qui explique ses silences, elle aurait presque préféré trouver un indice de quoi que ce soit qui soit une réponse à toute cette tension qu’elle éprouvait, qui la minait. Vrai que depuis quelques mois il rentrait de plus en plus tard, vrai qu’il était devenu distant, taiseux, sans trop de gestes de tendresse, vrai qu’il semblait ne plus la voir, qu’elle avait l’impression d’être devenue transparente, vrai qu’elle se disait qu’il était en train de la retourner comme une bouteille et de la vider de son sens et de ses émotions… Alors, oui, elle aurait presque aimé trouver une carte, une adresse, un mot, un prénom, un numéro de téléphone griffonné à la hâte et plié en huit, un signe contre quoi ou contre qui lutter. Elle a tout farfouillé. Elle a tout visité. Elle a fait chacun des fonds de poche de chaque costume, de chaque pantalon, de chaque chemise.
Elle n’a mis l’œil sur rien. Elle était effondrée :
___ C’est bien la preuve qu’il y a quelque chose s’est-elle dit.
Elle en a été dévastée, anéantie.
Quand la machine se met en route, il est presque impossible de l’arrêter. C’était fait, elle venait de démarrer dans un fracas insupportable. Pour tenter de s’en défaire, elle est sortie marcher. Elle a enfilé une veste par dessus son malheur et elle a claqué la porte derrière elle.
Elle est allée là où elle aimait. Au tout bord de l'eau, sur le blond de Grand-plage.
Entière à ses émotions, elle n’a pas dû voir la vague s'amener, elle a dû se la prendre en pleine face, elle a sans doute été déséquilibrée, elle est tombée et le reflux l'a emportée. Elle a sans doute essayé de se rattraper au bord, mais elle n’a pas pu et personne ne l’a entendue crier… Non, non, elle ne se voulait pas de mal, elle aimait la vie... 
Elle a été rendue deux jours après pleine d’eau, d'algues brunes et de saloperies.
C’est un flic qui, à la fin de l’enquête a trouvé la formule la plus proche de la vérité. 
Il a laissé tomber :
« Elle voulait juste changer d’air et elle a fini par prendre l’eau… »
Que ça ne nous arrive pas, à nous.




17 commentaires:

Brigitte a dit…

Lorsque le doute s'installe ... Il ne faut pas le laisser là .
Cela doit vite devenir invivable .
Allez bon dimanche ,il faut profiter encore un peu du beau soleil .

véronique a dit…

comme quoi ! quelle injustice la vie ...

chri a dit…

@ Brigitte On profite, on profite...

@ Véronique: Heu...

M a dit…

C'est la théorie de l'entonnoir ? Ou alors la démonstration comme quoi dans tout nombril (du monde, de la société jusqu'au particulier) il y a quelques recoins pas très nets....

chri a dit…

@ M Ou la vague qu'on risque de se prendre en pleine poire l'année prochaine si ça continue...

Tilia a dit…

Le bouillon, ça fait déjà un bon bout de temps qu'on est dedans et que l'eau continue à chauffer. Pour l'instant le bain est encore à température à peu près supportable, mais bientôt il sera trop tard pour sauter de la marmite, on sera tous cuits.
"Nous vivons une époque merveilleuse" comme dit Philippe Meyer qui cause dans le poste (de radio, pas de télé). Et la marmite a plusieurs pieds...

M a dit…

J'avais compris et j'ai bien peur que ce ne soit pas si vague que ça ...

chri a dit…

@ Tilia Oui, vous aussi, hein?

@m Je sais que tu vous avais compris et pas vague, non, pas vague!

Anonyme a dit…

Alors tu penses que tout ça ce "n'est qu'un accident" ? Les gens qui deviennent cons, l'indifférence, le doute ? Tiens, c'est étrange ... Moi, je crois que j'aurais plutôt dit que c'est à cause de l'inattention à ce (ceux) qui nous entoure(nt)

Laurence a dit…

Mince, celle qui vient de mettre le commentaire, c'est moi, c'est Laurence, quoi :)

chri a dit…

@ Laurence Ah non, je crois que je pense que l'accident n'est pas encore arrivé...

Anonyme a dit…

quand on met la même barque sur les mêmes courants, elle finit toujours sur les mêmes brisants. forcément.
Marie.

chri a dit…

@ Marie CQFD.

odile b. a dit…

Le vague à l'âme
La vagabonde vogue vers le vaguemestre

chri a dit…

@ Odile: La vague à lame!

odile b. a dit…

Vous me la coupez !... :-)

chri a dit…

@ Odile Excuses demandées!

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