25 mai 2014

Un parfait crime.

« Parfait : Tel qu’on ne puisse rien concevoir de meilleur. »
Le Petit Robert.
                  Après la chaleur torride des heures pleines, le jour s’éteignait tendrement dans une tiédeur rosée. Il l’avait passé, marchant le long du fleuve coupant la ville en deux, flânant à la fraîcheur des ponts qui l’enjambaient. Il l’avait passé seul, dans l’ignorance absolue des autres, uniquement concentré sur le soir à venir.
Et ce soir, enfin, était là. Il en avait attendu chaque minute, chaque seconde et maintenant la ville était comme ces lampes dont on baisse l’intensité en gardant le doigt sur l’interrupteur, les rumeurs de la ville tranchée s’estompaient à mesure que le noir montait. Tout ici s’acheminait vers ce qu’on nomme un beau soir d’été.
Dans l’air vacillant de demi mesure, le temps semblait allonger ses jambes sous la ville partagée. Lui, il attendait que la nuit  comme une caresse définitive s’y pelotonne avant de se remettre en route. Ce serait aux alentours de minuit, c’était en général vers ces heures là que ça se passait. Son corps qui avait été tout le jour tendu comme un fil d’équilibriste, noué comme un vieux chêne, douloureux commençait à se relâcher. Il sentait peu à peu le calme l’investir et se disait que c’était une bonne chose pour la suite.
La sueur qui l’avait inondé commençait à sécher laissant des auréoles animales sur ses vêtements légers. Il décida de passer chez lui avant, pour se doucher mais aussi s’étourdir du silence de l’appartement vide. Il en profita pour vider une bouteille d’eau plate pour se nettoyer aussi l’intérieur. Il s’était allongé, nu sur le lit mais un doute comme un courant d’air glacé avait pointé le bout de son museau chafouin. Alors pour l’effacer, il s’était vite relevé. Non, non, tout allait bien se passer, c’était imparable.  Il avait mangé, un peu et s’était rhabillé, il avait éteint les lumières et s’était retrouvé dans la rue, dans le noir de la rue paisible comme un Bouddha sous lexomil.
Il irait à pieds pour que le trajet fasse partie de l’affaire. Il irait à pieds pour avoir le temps de se répéter les phrases qu’il dirait comme un acteur ressasse son texte. Tous les mots qu’il dirait auraient une importance terrible. Il lui faudrait être convaincant, surtout ne pas effrayer voire davantage séduire ou charmer. Un mot qui claudique et tout serait à reprendre du début. Il savait leur force, leur poids de pandore. C’était sans doute pour cela que d’ordinaire il parlait peu. Un geste on pouvait le maquiller, mais le mot lui supportait très mal le mascara. C’est en pensant à tout cela qu’il s’aperçut qu’il y était.
Enfin soulagé depuis qu’il avait pris la décision. Il y pensait depuis plusieurs semaines, il y réfléchissait depuis des mois. Fidèle à cette phrase : L’angoisse vient du oui ou du non, la paix du peut-être, il se sentait enfin en paix. Ca avait commencé par un concours de nouvelles dont le thème était le crime parfait. Il s’était convaincu d’y participer alors il avait cherché, pensé son affaire comme pas deux. Puis il avait trouvé et très vite s’était imposée l’idée de commettre au lieu d’écrire. Et rien n’était venu le dissuader comme s’il s’agissait d’une évidence. Ecrire n’est pas vivre. Il valait mieux faire. Alors, il allait. Il s’arrangerait après avec ce fardeau là. Il était habitué aux fardeaux, un de plus ne changerait pas grand-chose. Et c’était ce soir. Là, dans quelques minutes. Tout était prêt en lui. Il ne tremblait pas. Avant de composer le code permettant à la porte de s’ouvrir, il resta quelques minutes encore sur le trottoir opposé pour goûter un peu du frais qui maintenant descendait des toits. Il leva les yeux et s’émerveilla des brillances qui saupoudraient le Ciel. Décidément, la nuit s’annonçait parfaite, elle aussi.
Il composa le code et se souvint de la première fois où il avait appuyé sur les touches. Bientôt l’anniversaire. Elle lui avait laissé ses clés mais sans le code...Puis lui avait donné les deux, peu de temps après leur rencontre. Tout s’était passé très vite. Elle l’appelait, il venait s’il pouvait. Il avait préféré que ça se passe comme ça. Il n’avait pas souhaité habiter avec elle. Ce soir elle n’avait pas appelé. Elle ne savait pas qu’il viendrait. Heureusement, il aurait sans doute renoncé à son projet. Il entra et sans allumer la minuterie, monta comme un chat au quatrième. Au troisième il ralentit et pensa même à redescendre mais il tint bon. Il était déterminé, sûr de lui, enfin. La clé venait de tourner dans la serrure sans faire aucun bruit. Il avait poussé la porte et s’était laissé envelopper par le parfum connu. Elle était là et le noir de l’appartement lui dit qu’elle y dormait. Il avait refermé la porte avec lenteur et après avoir attendu que ses yeux s’habituent à l’obscurité, il s’était avancé vers la chambre. Il la devina allongée sur le ventre juste recouverte d’un drap, un bras enfoui sous l’oreiller. Dans un silence dense, il s’approcha du lit, s’assit sur le rebord et lui caressa l’épaule. Elle grogna doucement puis comme si elle reconnaissait la main qui la touchait, sans ouvrir les yeux, elle dit :
___ Qu’est ce que tu fais là ?
C’était maintenant que tout se jouait. Le plus calmement du monde, il dit dans un souffle:
___ L’enfant que je te refuse depuis quelques temps, si tu le veux encore, je suis venu te le faire...
Il y eut un long silence ensommeillé, sans tourner la tête, elle dit:
___ Maintenant ?
___ Oui maintenant...
___ C’est comme une urgence, alors ?
___ Oui, c’en serait une...
Elle l’attira d’une main vers elle.
 ___ Alors, Viens.
       C’est ainsi que cette nuit là, ces deux là, mirent toutes les chances de leur côté pour tenter d’avoir un enfant.

Au fond, y avait-il de crime plus parfait que celui là, et on n’en sera jamais ni accusé, ni puni, au contraire... 
Un crime magique  et commun même si on ne pourra jamais être certain d'en vivre, un jour, la tragique fin.





6 commentaires:

M a dit…

En termes de psychanalyse, le résultat sera servi et salé !

chri a dit…

@ M Et salé, oui :-)

Brigitte a dit…

Et j'ai cru dans les premières lignes à une histoire romantique !!!
Elle me fait plutôt froid
dans le dos !!!

chri a dit…

@ Brigitte Encore une fois c'était bien parti et pis ça finit de traviole!

Anonyme a dit…

mon ordinateur me fait des caprices, mais j'ai réussi ce matin à rattraper mon retard de lecture chez toi, ouf.
Marie.

chri a dit…

@ Marie Ouf...

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