30 novembre 2014

Celle de 18h45.

Pour les impromptus littéraires de la semaine. Le texte devait débuter par: Il/elle prenait comme moi le/la 18h45.

Elle, elle prenait comme moi la 18h45.
Je l’avais repérée à plusieurs reprises quand elle montait avant tout le monde sur la passerelle de son allure conquérante et dédaigneuse.
La navette du soir pour Moranion, un des deux milles cinq cent vingt sept satellites mis en orbite autour de la terre à partir des années 2033 tant l’air  y était devenu irrespirable et le climat perturbé.  Chaque nation avait donné comme noms à ces entités de survies des noms de célébrités vaines qui avaient sévis dans les dernières décennies où la terre avait été vivable. Si l’on peut dire, elles avaient contribué, elles  aussi, chacune à sa manière, à rendre l’air irrespirable. Pour la France, on trouvait Nabilon, Estrosion, Heurtefion, Sarkozion et pour d’autres c’était Kardashion, Hiltion, Ronaldion, Poutinion etc
Seuls quelques escadrons de soldats gardaient les condamnés par la justice restés confinés à demeure sur terre. Les autres remontaient  tous les soirs grâce à des navettes supersoniques… Les autres, enfin ce qu’il en restait entre les inondations, les passages fréquents des cyclones, les pluies diluviennes, la montée des eaux, les tempêtes de sable, de neige, les maladies pulmonaires, l’expansion des virus, les guerres fratricides, religieuses, les dégradations génétiques dues à tout ce qui avait créé ce merdier et qu’on avait laissé faire. Cela allait de l’utilisation des pesticides et à la généralisation des OGM en passant par l’augmentation du taux de CO2 et autre couche d’ozone. Désormais nous étions dans une fange noire et il n’y avait aucune perspective d’éclaircissement. Malgré ses défauts et ses inconvénients, l’air artificiel des satellites était préférable à celui qu’on ne pouvait plus respirer « en bas ».
Ainsi, nous étions une petite centaine à embarquer tous les soirs sur la 18h45, il y en avait toutes les dix minutes, pour passer la nuit dans nos unités collectives, viables, respiratoires (les UCVR) et nous redescendions le matin pour nos professions respectives.
Je l’avais repérée à plusieurs reprises quand elle montait avant tout le monde sur la passerelle de son allure conquérante. Elle était magnifiquement belle. Si droite, si majestueuse que ce devait en être une.
Las, je n’aurais aucune chance de quoi que ce soit avec ce type de femme, nous ne faisions pas partie de la même caste. Oui, si on avait aboli les nationalités, on avait réintroduit le principe des classes sociales pour que ce soit moins le bazar. Il y en avait trois : Les dirigeantes et donc riches, les besogneuses et donc juste au dessus du seuil de pauvreté et la réserve. Les pauvres en attente des miettes. Chacun sa caste et plus de mélanges, ainsi, là-haut on respirait mieux et on y voyait plus clair… Nous étions devenus une espèce dégénérée où seuls les gagnants, les gros bras, les puissants, les winners avaient le vent en poupe, les autres n'avaient qu'à bien se tenir, leur avenir ne serait pas rose. Les bancals, les timides, les fragiles, les sensibles, les rêveurs, les poètes, les contemplatifs, les penseurs, même, allaient devoir filer doux.
Et cette nouvelle cuisine avait commencé bien avant 2033.

Elle, j’avais pu voir qu’elle avait un passe pour TOUTES les navettes et qu’elle embarquait en premier dans la 18h45, c’est dire la hauteur de son rang, c'est dire mon impossibilité à l'atteindre…
Je devais sans doute m'estimer heureux de monter dans la même navette qu'elle et surtout d'avoir encore le droit de respirer le même air qu'elle.
Ça ne tarderait pas à changer.


2 commentaires:

chri a dit…

Jacqueline Oustalniol: J'ai lu j'ai adoré.

chri a dit…

@ Jacqueline Ben heureusement que tu es là!

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