05 décembre 2014

Un thé au gingembre.

"Mieux vaut un mauvais thé au gingembre qu'un bon tétanos."
Mon cousin Paul (qui est un rigolo).

J’avais du mal avec une phrase, j’avais beau me la rouler en bouche, dans un sens puis dans l’autre, je n’arrivais pas à m’en satisfaire, mes oreilles ne s'en contentaient pas. 
J’ai reculé pour mieux y revenir. Quand ça m’arrivait, quand une phrase résistait, quand elle se cabrait comme un cheval apeuré, si je n’étais pas de ceux qui renoncent, contrairement à la vie, je n’étais pas non plus de ceux qui raccourcissent la longe. Au contraire, je lâchais tout mais j’y revenais autant de fois qu’il était nécessaire, jusqu’à ce que je sois content. Pas un petit peu content, non. Ravi, joyeux, enthousiaste, même de la tournure, de la musique, de l’énergie des mots entre eux. Il ne faut pas non plus trop exagérer, un tel entrain, une telle exaltation étaient plutôt rare.
Là, j’ai battu en retraite.
Je suis allé me préparer un thé au gingembre de chez eux. Je n'ai pas eu voix au chapitre pour leur nom. Un thé au gingembre ? Et pourquoi donc au gingembre ? Un thé tout court pourrait te suffire, non ? Je me suis dit. Mais j'aime ça, voilà tout, je me suis répondu, agacé. 
Il se trouve qu’il était au gingembre et vachement bon.
Pendant que l’eau bouillonnait à grosses bulles en chauffant, je me suis regardé deux secondes. Le chat m’avait suivi dans les escaliers, en me filant entre les pattes et manquant de ma faire tomber. Il devait penser qu’il était grand temps qu’une pluie de croquettes s’abatte dans sa gamelle. Il avait tort. S’il croyait qu’il allait passer tous les mois d’hiver à bouffer il se mettait les griffes dans l’œil. Cette fois, ce qu’il a gagné c’est que je l’ai foutu dehors avec une poussette bienveillante, mais ferme, d’un pied sur son si petit cul rose, réticent. Et qu’il fasse un froid de magret ne m’a pas arrêté. Va prendre l’air frais, petit noir, et reviens quand tu seras affamé. J’ai vite refermé la porte fenêtre. Dehors, l’hiver avait déballé tout son attirail ou presque. Il ne manquait que la neige et les bourrasques. Pour le reste tout y était. La pluie en rideaux épais, un vent musclé et ce froid qui avait débarqué du Haut Nord. Dans l’air, une odeur de steppe et de sapins mouillés. La météo nous en promettait pour quelques jours, encore. J’allais devoir rentrer vite fait le pot de bougainvillée et les bananiers que j’avais seulement recouverts d’un voile blanc d’hivernage. Vues les températures annoncées, les couvrir ne suffirait pas. On frôlait la non assistance. À travers la vitre, j’ai regardé le chat à l’abri sous la table bâchée. Lui me regardait de travers, en biais, comme si j’avais commis un crime de lèse majesté, il semblait outré et pour tout dire rechignait, avec dédain, à s’engager sur le carrelage trempé de la terrasse. Je m’en suis foutu, c’était son problème. Aucune compassion. S'en faisait-il pour moi?
J’ai versé l’eau brûlante dans la théière dans laquelle  j’avais mis la petite boule noircie pleine des brins de thé et des pépites de gingembre séchées et j’ai refermé le couvercle. Les premières fumées annonçaient de bons signes. 
J’allais vivre un moment agréable. 
Surtout que celui-là de thé était un thé de compète. Je le commandais sur internet, on n'en trouvait pas dans le coin et la maison, si ancienne, avait son savoir faire, qui remontait à bien avant l’invention d’internet. Mais, là haut, dans leurs vieux bureaux, ils avaient su se mettre à la page. On vivait désormais dans un monde merveilleux où tout se commandait sur la toile, en deux clics… 
À l'exception d'une denrée: une personne avec qui partager… ce qu’on commandait. J’ai sorti, d’une commode, ma plus belle tasse, il le fallait pour accueillir cette potion magique et je me suis assis dans le canapé. J’ai renoncé très vite à allumer un feu dans la cheminée… Une histoire de flemme et de partage, aussi. En descendant la première gorgée, je ne pus m’empêcher de penser qu'elle avait, malgré son nom, le goût un peu amer de la rupture. Je me suis souvenu que C.E. en buvait de pleines bassines. Elle avait fini par dégotter une jolie théière de trois litres qui, tout au long de la journée se remplissait au fur et à mesure qu’elle se vidait. Son thé devenait comme une soupe ancienne qui mijote dans un faitout culotté. Je me suis rappelé B. qui ne buvait pas de café à cause de la caféine mais qui descendait sa tasse à la bergamote toutes les heures, j’ai pensé avec tendresse à M. qui ne faisait rien, pas même se mettre à l'alcool, sans en boire un, du genre russe, et à F. en perfusions, oui à C. aussi qui elle fabriquait elle-même ses sachets avec de la gaze stérile… Mais  quel curieux miracle faisait-il du thé un breuvage de filles et de libraires ?
Je m’y étais mis à partir du moment où M. n’est plus venue chez moi. Comme j’avais un peu de mal à me faire à l’idée qu’elle ne viendrait plus, en vrai j'avais souffert, d’une certaine manière, m’en préparer un me liait encore un peu à elle. Et puis, j’ai fini par aimer vraiment ça. Mon versant fille nostalgique qui est remonté ?
Ainsi fait, de mes amours défuntes, je n’ai gardé que celui du thé.
De tout ce qui avait été, de tous ces mots prononcés, de ces regards échangés, de ces instants partagés, de ces émotions ressenties, de ces troubles, de ces étreintes, de ces craintes et de ces élans, il ne me restait plus que ça : un liquide teinté fumant dans une tasse de porcelaine. Un bien peu, vaguement dérisoire.
Mais ça, il n’y avait que moi qui pouvait l’arrêter. J’étais le seul à pouvoir y mettre un terme, pas besoin qu'une autre s'en charge, je ne me sentais pas le cœur attaché. Serré, oui mais pas attaché.

C’est après la troisième gorgée que la phrase m’est arrivée dans sa mélodie séduisante.

Il était temps, la théière se vidait à pleines tasses.



14 commentaires:

Tilia a dit…

"Mariage" le thé.. quelle ironie ;-)

chri a dit…

@ Tilia Ah vous l'avez vu! Comme je suis content!

odile b. a dit…

"Beauté divine
Quand j'te vois j'me débine.
Beauté fatale
Quand j'te vois j'me cavale"
...
C'est dit, on le sait : rien ne vaut "LA Première Gorgée"... :)
M'enfin, sans lunettes, je lis aussi, sur l'étiquette, ce choix pour
la "Quali-Thé-Mariage-Frères"...
:D
Connaissant, de surcroît, les vertus aphrodisiaques du gingembre ajouté, au train où la théière est liquidée, l'effet "Première Gorgée" devrait remonter en surface vite fait... :)))
Bon week-end au chaud !!!

chri a dit…

@ Odile Pas dehors, alors parce que pour le chaud c'est mieux dedans. Pas chez vous?

Anonyme a dit…

battre en retraite, à ton âge, c'est prématuré !
Marie.

chri a dit…

@ Marie Pas sur :-)

M (...P) a dit…

Moi je dis que trouver la muse à l'heure du thé / âtre froid, vide et triste, fallait le faire !

chri a dit…

@ M (...P) Tant qu'elle est là, elle :-)

Brigitte a dit…

Qualité supérieure "pour le mariage "???
Ah bon !!!
On se met au thé dans cartaines conditions, mais on reviens vite au café ...
Allez bonne semaine Chri.
Chez moi v'la le soleil et c'est bon !
Faut faire ses preuves maintenant pour poster un com !

chri a dit…

@ Brigitte Merci de vos voeux de bonne semaine...
Pour les preuves à donner, je n'y suis pour rien, j'ai au contraire viré les commandes mais Blogger n'en fait qu'à sa tête... Et me l'impose à moi aussi! GRRR

Anonyme a dit…

suis bienheureuse de la sobriété de mes ex, douze bières par jour pour écrire, c'eut été trop...:)
Lou

chri a dit…

@ Lou Douze bières par jour? Comprends pas votre commentaire. Et je suis à jeun.

Anonyme a dit…

Rien...j'ai juste transposé :)
(moi même des fois, j'ai du mal à me suivre :)
Lou

chri a dit…

@ Lou Je renonce... La bergamote peut-être? Vous l'aimez à la bergamote?

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