17 janvier 2016

Pourquoi elles et pas moi?

Elle avait beau réfléchir, elle ne comprenait pas. À chaque fois qu’elle y pensait, elle finissait presque toujours par se dire : Je ne comprends pas.
Elle essayait de se consoler en se disant que c’était quand même difficile à comprendre : Quoi, comment une fille comme moi, n’arrive pas à trouver un type gentil avec qui vivre. Quand je dis une fille comme moi, n’allez pas croire que je me crois sortie de la cuisse de l’autre, là. Mais je me connais un peu, ça m'a coûté assez cher, je vois les autres, je les regarde, elles m'intéressent et je sais que je ne suis pas inadaptée au point de ne pas me trouver un type gentil avec qui vivre. Et je dis bien vivre. Habiter le même endroit, sous le même toit, je ne parle pas forcément de dormir dans le même lit tous les soirs. Juste habiter avec lui, partager le quotidien, faire des choses ensemble. Manger aux mêmes heures, assis à la même table, se demander le soir qui prend la douche en premier, est-ce que tu as des trucs à laver, je fais une machine, on pensera à acheter du sopalin, il n’en reste plus qu’un rouleau, as-tu fait le plein de la voiture, hier la réserve clignotait quand je suis rentrée… Enfin des questions qui se posent à propos de choses de la vie réelle, de celles qu’on évoque ensemble, quand on habite sous la même maison. Dis, demain soir je n’ai pas très envie de sortir on pourra annuler ? Comment peux-tu savoir, ce soir, que demain soir tu n’auras pas envie de sortir ? Et non on ne peut pas annuler, on a déjà annulé une fois, ils vont finir par se fâcher si on continue. Ce serait bien. Ce serait bien quoi ? Qu’ils se fâchent ? Des amis comme eux on n’en a pas douze donc il vaut mieux qu’on les garde, ceux là. Bien sur, ils sont un peu lourds parfois mais crois moi, ils nous ont bien aidé… Ne serait-ce qu'à ne pas devenir comme eux et s'engueuler en public par exemple... Mais il y a un match demain soir, un que j’aimerais voir. Hé bien tu le regarderas en rentrant, pour une fois, tu n’en mourras pas. Et puis si ça se trouve, tu vas passer une très jolie soirée… Allez viens, s'il me plait. Bon je viens mais ce n’est que pour être avec toi, alors... Tu es un amour.
C’est certain tout ça lui était absolument étranger. Quand elle rentrait le soir, elle donnait des croquettes au petit noir qui lui tournait entre les jambes parce qu’il réclamait, qu’il avait faim, pas parce qu’il était content de la voir. Elle n’était pas dupe, non plus. Et puis, c’en était fini de sa vie sociale qui se bornait à dire à un chat : Voilà, voilà ça vient t’es chiant, tu pourrais y mettre les formes. Plus une parole à un autre jusqu’au lendemain. Ensuite, si l’envie, la fatigue de la journée, son souhait de se débarrasser des toxines du jour, sa volonté de se changer ne l’obligeait pas à passer sous la douche, elle n’y allait pas, voilà tout. Elle ne devait sentir bon pour personne d’autre qu’elle même. Tout ce qu’elle faisait de l’ordre du domestique elle ne l’accomplissait que pour elle-même et elle ne comprenait pas pourquoi elle. Pourquoi moi ? Disait-elle souvent.
Je ne suis pas moche à ce point là ? Je ne suis pas stupide à ce point là ? Je ne suis pas chiante à ce point là ? Je ne suis pas exigeante au point de n’en pas trouver UN seul, quand même. Il fallait croire que si.  Elle en voyait bien certaines  dans la rue,  le sourire un peu niais,  bras dessus bras dessous avec des types vaguement quelconque. Oui, sans doute, mais avec un gars au bras. Elle se demandait bien, parfois mais celle là qu’est ce qu’elle a de plus que moi, elle, là, qui passe ? Comment fait-elle ? Pourquoi pas moi ? Oui, même avec ce type là, il a l’air plutôt gentil, celui-là.
Bien sur, il y avait cet amant qui venait la voir de temps à autres… Remarque il ne lui avait pas menti, jamais, il lui avait toujours dit qu’elle ne serait jamais qu’une parallèle, une merveilleuse parallèle, même avait-il cru bon d'ajouter… Le jour où je m’attache, je me détache avait-il poursuivi tout fier de son mot. Elle avait pensé : Cause toujours. Et puis, elle n’avait jamais changé de trajectoire, elle était restée une parallèle. Une de celles qui ne se rencontrent jamais.
Juste un qui me parle gentiment, qui soit prévenant mais indépendant, qui ne soit pas le petit garçon à sa maman, qui partage les tâches, qui soit foutu de s’habiller seul, de faire un menu et pas qu’un, qui sache où se rangent les couverts, qui puisse changer les draps sans qu’on lui dise, repasser, même vite fait ses chemises, choisir un vin, décider d’un soir pour sortir, téléphoner à la compagnie pour des billets de train, changer le sac poubelle, ne pas oublier d’en remettre un neuf, aller voir un film polonais en noir et blanc sans souffler, passer l’aspirateur, payer le gaz avant la date limite, connaître ma date d’anniversaire, qui soit capable d’entrer chez un fleuriste sans occasion, savoir quel jour nous nous sommes rencontrés, le temps qu’il faisait ce jour là, savoir quel métier je fais et où je travaille… Et quelques autres trucs qui pourraient facilement me revenir si je me mettais à y réfléchir un petit peu…
Un peu de prévenance, de bienveillance, d'attention, de finesse, de drôlerie et de douceur mais dans certaines circonstances suivez mon regard, je ne suis pas contre un peu de poigne, un soupçon d'intelligence, un brin de curiosité, quelqu'un capable de prendre des décisions, d'étarquer une balancine aux petits oignons, qui ne soit pas engoncé dans ses rituels mais presque débarrassé des fantômes de son enfance, qui peut réparer un robinet qui fuit, cueillir un bouquet de fleurs des champs qui se tienne, repeindre une pièce en deux jours, monter une armoire suédoise sans trop jurer et préparer un tajine de poulet pour six sans lire la recette c'est trop demander?
Enfin quoi, est-ce-que oui ou non, je réclame la lune ?

Je vais finir par croire que oui se disait-elle, des débuts de larmes aux coins de ses deux yeux.

20 commentaires:

Brigitte a dit…

Il arrive parfois un jour sans que personne ne l'attende ...Et puis il lui arrive de repartir sur la pointe des pieds mais j'ignore totalement pourquoi !
Si si !
Bon Dimanche

chri a dit…

@ Brigitte Merci à vous de cette sentence optimiste (j'entends "il" comme un "truc" positif!) et bon dimanchaussi.

M a dit…

Ben oui quoi, pourquoi pas eux ? Mmm ?

chri a dit…

@ M Si je savais! :-)

Brigitte a dit…

Oui tu as raison, je suis de nature optimiste et positive !

Belle semaine

chri a dit…

@ Brigitte Tu sais ce qu'on dit des optimistes? Que ce sont des pessimistes qui n'ont pas toutes les informations. :-)

Nathalie H.D. a dit…

Eh ben oui ma chérie tu réclames la lune. Parce que l'homme en vrai, il a des limites : il y a des chances pour qu'il sache réparer un robinet qui fuit, passer l'aspirateur, penser au sopalin et te cueillir un bouquet de fleurs des champs MAIS il oubliera ton anniversaire et le seul plat qu'il sache cuisiner c'est les spaghetti bolo.

Ou bien il t'emmènera voir des films polonais en noir et blanc et adorera disséquer le film avec toi après, se souviendra comme si c'était hier de votre première rencontre, saura choisir un vin et t'acheter une robe qui te va comme un gant MAIS il oubliera régulièrement de payer les factures et n'aura jamais monté une étagère Ikea de sa vie.

Ou bien il aura toutes les qualités que tu cherches MAIS il n'aimera pas les chats.

Bref, vivre avec quelqu'un c'est accepter les compromis. On peut les accepter ou préférer vivre seul.

Quand je vivais seule et que je cherchais à rencontrer quelqu'un "je cherche quelqu'un dont les goûts et les défauts sont compatibles avec les miens".


Nathalie H.D. a dit…

Bon cela dit, j'ai commenté le fond mais il faut surtout que je te parle de la forme : j'ai adoré ton texte. Il est remarquablement écrit et j'y retrouve avec joie ta patte.

Douce-amère comme souvent, mais très très plaisante à lire.

chri a dit…

@ Nathalie


Un humain, quoi! :-)

Nathalie H.D. a dit…

Je corrige ma phrase ci-dessus dont il manquait une partie :

Je voulais dire:
Quand je vivais seule et que je cherchais à rencontrer quelqu'un, je disais souvent "je cherche quelqu'un dont les goûts et les défauts sont compatibles avec les miens".

chri a dit…

@ Nathalie Merci pour "la forme" Je trouve aussi qu'elle cherche la lune!

Nathalie H.D. a dit…

Et j'ai oublié de te dire que j'adore ton portrait de profil. Il est très beau. Ca me donne envie de me remettre à peindre.

chri a dit…

@ Nathalie C'est beau n'est-ce-pas? C'est un Soutine. Une merveille de portrait!

Brigitte a dit…

Ecoute Chri c'est possible, puisque je n'écoute plus les infos et puis qu'ensuite, je me fous de ce que l'on dit des optimistes !!! Voilà !
Bon mais c'est vrai qu'il est difficile de trouver la bonne personne...

chri a dit…

@ Brigitte Je ne voulais qu'être souriant...

Brigitte a dit…

Mais tu es souriant et moi aussi. C'était juste pour dire !

chri a dit…

@ Brigitte Alors tout va bien! :-)

Pastelle a dit…

C'est très curieux j'ai l'impression d'avoir déjà commenté ce texte un jour. Réminiscence d'une autre vie ou a t-il déjà été publié ?

chri a dit…

@ Pastelle Non vous n'avez pas la berlue, il a déjà été publié mais comme je les "retravaille" tout le temps, je les reposte. Enfin, seulement mes préférés...

Pastelle a dit…

Je préfère ça. Me voilà rassurée. Quoiqu'une autre vie, ça aurait été intéressant aussi. :)

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