20 janvier 2016

Toute ma vie j'ai rêvé...

L’autre jour, à la fontaine de Saint Didier, quand je suis arrivé venant de Venasque (je venais bien de là, je ne l’ai pas écrit pour faire sourire) en sueur, il y avait un type qui s’aspergeait. En posant ma bicyclette contre les pierres, j’ai vu  qu’il avait le même âge que moi, à peu de choses près et très vite, on est allé au cœur des choses. Surtout lui! Ce qu’on appelle une sympathie de mollets? En deux temps, trois ablutions il m’a presque tout raconté de sa vie. Et ceci cela, si je fais une sortie par jour de cent bornes, c’est pour ne plus rester à la maison tu comprends, oui, il me tutoyait sans me connaître, tu comprends, ma femme, elle m’emmerde! Elle est chiante, alors comme ça pendant les quatre heures où je roule, je ne l’entends  pas et quand je rentre, la sieste est légitimée, je vais dormir deux heures et ça m'assure six heures de paix dans une journée! Six heures plus huit de nuit, je peux tenir. Ça fait vingt cinq ans qu’elle me pourrit la vie, elle a commencé au tout début,  dès notre rencontre, j'aurais dû me méfier, mais tu sais ce que c'est, on  se pense très fort, on croit qu'on va les changer… etc etc
Tout ça semblait lui faire un bien fou et je me voyais déjà lui demander une petite centaine  d'euros pour la consultation. Chic! Voilà une balade qui pourrait me rapporter gros que je me disais, pendant qu'il se soulageait le cœur.
C’est là qu’il m’a demandé tout à trac: Et toi? Du côté de l’amour? T'en es où?
Ah! Parce que toi, là, tu viens de me parler d’amour? J’ai pensé, mais je ne lui ai rien dit, son quotidien avait l’air d'être assez douloureux comme ça. Je n’ai une vocation ni d’huile, ni de brasier. Sa question m’a laissé sans voix. Comme il m’avait tout déballé de sa vie, je me sentais  un tantinet redevable. Alors, après un temps, des mots me sont venus:
Oh! Moi, du côté de l’amour, c’est un peu compliqué... Ça c’était pour gagner du temps. J’ai continué: mon ambition elle se rétrécit de jour en jour! Mais je ne renonce pas! Je vis seul mais je me verrais bien me mettre à la colle avec une gentille hôtesse de l’air qui aurait encore quelques pays à découvrir. Mais peut-être pas vivre avec elle, je n’en ai plus la force. Ça fait tellement longtemps que ça ne m’est pas arrivé de vivre avec un humain que je ne crois plus en être capable! Je tolère à peine les pies qui jacassent dans le jardin! Je verrais bien une camaraderie amoureuse, voyez? Enfin, tu vois? Comme je me connais, je finirai évidemment par tomber amoureux et je serai, bien sûr très triste le jour où nous nous quitterons, mais bon. J’espère le moins possible. Enfin je veux dire que j’espère être le moins triste possible, le jour où il me faudra dégager du paysage. J’aimerais, si ce n’est pas trop demander qu’elle soit encore jolie, je préfère côtoyer les jolies femmes... Ne me demande pas pourquoi. Je m’y suis habitué, sans doute. J’aimerais quand même qu’elle soit basée à Marignane, pour partir loin, c’est plus proche de la maison et puis en tant qu’hôtesse, elle a accès au parking du personnel. C'est plus pratique et moins cher quand on prend l'avion.
J’aimerais, si ce n’est pas exagérer, qu’elle aime le confort, à mon âge le camping et les hôtels d’arrière cour, merci, autant rester chez soi, les fesses dans son canapé confortable, devant la chaîne Planète… J’ai pas raison? Mais aussi il faudrait qu’elle soit un peu cultivée. Profonde et légère. Qu’elle ne fréquente pas que les magasins de vêtements ou les restaurants mais aussi  les salles de spectacle ou de concerts. Je n'aimerais pas trop qu'elle soit sectaire comme une dingue de free jazz, une cintrée de Chopin, une folle de Cure, merci bien... Et qu'elle ne pratique pas que la lecture des étiquettes ou des menus mais aussi celle de quelques  livres, tu vois?  Je veux bien, quand elle revient de ses longues rotations, oui, parce que j’aimerais qu’elle travaille encore, qu’elle ne soit pas tout le temps chez elle, que je profite du silence de son jardin et de la beauté de son mas… Je lui ferai volontiers un peu de cuisine et lui nettoierai sa piscine pendant ses absences. Je peux même aller jusqu’à l’entretien de ses vignes, l'hiver. Il faudrait juste que je puisse me mettre à mi-temps pour l’avoir... Le temps!  J’accepterais une compensation financière...
Sur ma lancée, j'ai continué...
Je ne la souhaiterais pas fanatique du trekking ou folle de randonnée. Je ne suis pas contre l’idée de marcher un peu de temps en temps, mais pas tous les dimanches, à heures fixes, dans ces clubs comme il y a à tous les coins de rue. Ils se retrouvent à cinquante, équipés pour traverser dix Atacama et vas-y que je cause et que je cause et que je n'en finis pas de causer pendant les deux trois heures de balade... Tout ce bazar pour montrer sa toute dernière gourde, se plaindre de la vie qui est difficile et de ses douleurs dans la nuque... Merci bien! Très peu pour moi! J'aime bien les marches à quelques uns, dans le silence et le partage... Je n’aimerais pas, non plus, qu’elle ait trop d’enfants, pour éviter les repas de famille qui n’en finissent pas. Ni trop de petits enfants parce que là, finis les noëls à l'autre bout du monde… Enfin, tu vois, quoi.
Alors c’est pour ça que tous les dimanches, ou presque, après le marché de L’Isle, je file à Marignane. L'aéroport du coin. Je m’en vais traîner par-là-bas. Pour forcer un peu le destin? J’y arrive en fin de matinée, je tourne et je vire, je regarde un peu les avions décoller au-dessus de l’étang de Berre ou atterrir en venant de la mer, pas loin. Je bois un coup ou deux, je fais les boutiques, surtout celles de parfum. Là, je souris à une ou deux que je trouve jolie et qui achète un flacon pour sa maman, son amant, son frère, enfin qui achète un flacon. Quand vient l’heure de manger je m’attable près des vitres qui donnent une vue sur la piste et je mange en rêvant à des pays  où il fait toujours beau, où tous les jours sont chauds, où l'on passe sa vie à jouer, sans songer à l'école, en pleine liberté, pour rêver . Et puis au soir tombé, je me rentre... Il était atterré...
Ah! Pendant qu'on y est, j'aimerais aussi qu'elle soit douce mais pas gnangnan, sensuelle mais pas délurée, fidèle mais pas collante, légère mais pas écervelée, drôle et profonde, gaie mais pas rigolarde, intelligente mais pas cérébrale... Je n’ai pas encore rencontré la perle, mais ça viendra, je le sais, je le sens. Un jour, moi aussi, je serai du bon côté du manche. Un jour, moi aussi, je ferai le tour de la bagnole pour ouvrir la porte. Un jour, je suivrai le nuage léger d'un parfum délicat. Un jour, une main bienveillante et caresseuse se posera sur ma nuque et y restera, un peu… Attentive.
Voilà où j’en suis mon gars. Rien de très folichon. Tu te fais une idée?
Je vois très bien! Et ça ne me semble pas gagné si tu veux mon avis... Mais dis moi? Pourquoi une hôtesse de l'air?
Oh, ça c'est simple: Elles sont habituées à sourire, elles ont des billets  d'avion gratuits et surtout, surtout, elles savent s'y prendre avec les vieux emmerdeurs!
Il avait les larmes aux yeux. En remontant sur son engin, il m’a juste lâché:
Je ne sais pas lequel des deux est le plus à plaindre!
Moi non plus, j’ai répondu...

En vrai, je le savais, mais je voulais dire comme lui, pour adoucir son retour...



9 commentaires:

Pastelle a dit…

Saisissante retranscription de deux mondes, deux conceptions, deux vies...

chri a dit…

@ Merci Pastelle!

véronique a dit…

ça doit bien exister une perle pareille, mais j'ai bien peur que ce soit compliqué quand même ....
ça existe aussi au masculin ? :o)

chri a dit…

@ Véronique


Un steward, alors...

véronique a dit…

steward .... moins sûre !

chri a dit…

Y en a des beaux!!!

véronique a dit…

beaucoup sont, comment dire ....

chri a dit…

@ Beaucoup, mais pas tous.

véronique a dit…

:o)

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