11 août 2017

P.O.G.

Je lui en voulais quand même pas mal. 
Pas un signe, pas un petit bonjour, durant toute l’année, il a fallu qu’il recommence à se manifester dès les premiers jours des vacances. Que cela arrive pendant la période de boulot ne faisait pas moins souffrir mais là, on pouvait s’arrêter, on pouvait donc y trouver un vague réconfort. En été, non. On en bavait et c'était tout. Dès lors, il ne m’a plus lâché. Malgré deux séances chez mon ostéopathe préféré, en passant, il me doit sa piscine celui-là, rien n’y a fait. Il ne voulait pas me ficher la paix. Il s’agrippait à mes malheureuses lombaires comme une arapède à son rocher, comme une sale idée dans la tête d’un xénophobe. J’avais même tenté le mépris mais sans plus de résultat. J’avais mal au dos un point c’est tout. Un point bien ciblé, dans le bas, à gauche qui m’envoyait des décharges électriques quand je le sollicitais et qui me semblait un opinel planté là entre la trois et la quatre et oublié de tous, sauf de moi, bien entendu. Je ne m’empêchais de rien, j’avais bien des difficultés à enfourcher ma moto, un John Wayne en rééduc, je ne nageais pas mais me trempais, je ne marchais pas mais j’avançais à mon rythme, je faisais tout mais au ralenti, je me déplaçais en douze images secondes. Je pensais pareil. Ce dont j’étais le plus heureux, enfin façon de parler, était de n’enquiquiner personne d’autre avec ça. Personne d’autre que moi, même si parfois je me laissais aller à penser, j’en étais intimement persuadé, qu’une petite plaintounette sur une épaule amie m’aurait  soulagé et fait un bien fou. Et puis, un jour, en surfant à deux à l’heure sur le net, j’ai vu passer un reportage à propos d’une chamane vivant, soit disant dans un tepee, pas très loin de chez moi, au pied d’un mont connu dans le coin comme le loup blanc, qui, la chamane, garantissait de soulager, en quelques séances, tous les maux articulaires, lombaires et même cérébraux les jours de grande forme.
D’après le reportage, le journaliste avait dû avoir droit à quelques séances gratuites si vous voulez mon avis, elle était aussi originale qu’efficace. Elle tenait son savoir d’une dizaine d’années passée à Watonga dans une tribu Comanche auprès d’un sorcier réputé. Expérience qu’elle avait enrichie d’une autre dizaine d’année passée en Chine où elle avait appris à faire sécher puis infuser les plantes, les insectes et les crapauds…
D’après les images, c’était une jolie petite vieille aux yeux noirs malicieux, mince comme une corde à grimper, les cheveux longs, libres et gris avec des bras noueux finis par des mains de maçon. Elle était  habillée d’un vieux jean et d’une tunique en daim, ornée de colliers de toutes sortes, les pieds nus. Encore une qui prospère des malheurs des gens, je me suis dit, persifleur. Elle vivait sous une tente indienne mais elle avait un zéro six… J’ai attendu deux trois jours que mon dos se fasse pas oublier et pour finir, j’ai appelé, vaincu.
Je suis tombé sur une musique sirupeuse s'écoulant d’une flûte de pan. Un savant mélange de Pérou et de musique indienne relative comme sur les marchés du dimanche. Exactement ce que je redoutais. Et puis sa voix. Posée, sereine, claire, grave, envoûtante. Sa voix me disant de laisser mon numéro parce qu'elle était en rendez vous. Je l’ai laissé, elle m’a rappelé le soir même et après avoir échangé quelques mots, nous avons pris rendez vous pour la semaine suivante. C’est que je suis très occupée, m’a-t-elle dit. Puis elle m’a expliqué comment monter chez elle. 
À partir du dernier village sur la route du mont c’était facile mais il ne fallait pas louper l’embranchement avec un petit chemin de terre. Vous trouverez si vous êtes motivé avait elle ajouté.
Quand je prends rendez vous avec l’ostéopathe, j’ai très souvent moins mal en raccrochant. Là, rien du tout. La douleur ne m’a pas quitté. Y aller guéri m’aurait contrarié. Je ne monterai donc pas là-haut pour rien.
Le jour est enfin venu. Je suis parti de chez moi avec une marge de psychopathe, j’avais de quoi faire trois fois le trajet mais je voulais mettre tous les atouts de mon côté. Je n’ai pas manqué l’embranchement, j'y suis resté un long moment, ni la grille ouverte, ni le chemin de pierre assez roulant, ni le TePee flambant neuf, en peau de vache, qui avait plutôt fière allure posé dans le haut du champ d’herbe sèche. Comme on était au sommet d'une colline, de l'autre côté, la vue devait y être magnifique. Certains avaient de ces bureaux... Le chemin lui continuait sur la droite et semblait mener vers le sombre d’une bâtisse dont on devinait les tuiles anciennes des toits. Je n’osai penser à la taille de la piscine dont j’allais certainement contribuer à payer le changement du robot…
Elle était debout à l’entrée de la tente comme pour m’attendre.
Vous êtes en avance, c’est bien, vous devez souffrir a-t-elle soufflé. Elle m’a tendu sa main de marin et m’a proposé d’entrer. À l’intérieur c’était comme dans un tee pee. Flottait dans l’air une entêtante odeur d’encens. C’était spartiate mais on marchait sur un vaste tapis Kiwara en laine, tissé à la main, épais comme une mousse des bois, qui devait coûter des paires de bras, et on posait ses fesses, douloureuses pour ce qui était des miennes, dans des fauteuils Butterfly Knoll en cuir à plus de mille sept cent euros l’un... Au centre, d'une large vasque au dessin élégant en métal rouillé du Cèdre Rouge, montait d'un petit feu, une fumée claire à forte senteur d'armoise brûlée. Dans le fond, une armoire ancienne vitrée,  pleine de bocaux emplis d'herbes, de poudres et d'autres trucs impossible à reconnaître.
D’entrée, dès les premières secondes,  elle m’a affublé d’un nom de totem, la coutume, un usage en tribu m’a-t-elle dit. Ce qui m'a surpris et que je n'avais pas perçu au téléphone c'est son accent. Il était très prononcé et je ne me souvenais pas avoir lu quelque part que les comanches avaient l'accent belge... 
Elle a continué: On donne un nom qui correspond à ce qu'on perçoit de l'autre, à ce qui le caractérisera le mieux, à ce qui lui sera le plus fidèle. J’avais de suite rêvé à Aigle Souriant, Loutre Agile ou Fouine Curieuse, j'ai été vite déçu. Ici, pour moi, vous serez P.O.G. P.O.G.? J'ai dit, étonné, inquiet. Oui, Petit Ours Gros m’a-t-elle envoyé dans un sourire. Si elle n’était pas d’une délicatesse folle, au moins elle voyait clair et n'y allait pas par quatre chemins. Comme gifler une chamane portait malheur et une vieille dame ça ne se faisait pas, je n’ai pas bronché mais j’avais reçu le coup en pleine face. Juste sur l'arrête centrale du nez. Il fallait bien que ça m’arrive un jour, j'ai grincé dans ma barbe.

J’aime autant dire que ce n’était pas avec ça que Placebo allait débarquer, j’aurais plutôt, depuis cette minute, une petite douleur naissante, mais à droite, cette fois…








13 commentaires:

Brigitte a dit…

Ahhh j'attends le suite avec impatience et intérêt puisses-tu avoir été soulagé ... Mais par contre pourquoi en as-tu plein le dos ?
Bon week-end

chri a dit…

@ Brigitte Pour pouvoir écrire, sans doute! :-)

Anonyme a dit…

Et les jours suivants ?
courage
Lou

chri a dit…

@ Lou Même pas mal...

Anonyme a dit…

Pourquoi Ours ?

:)
Papy











chri a dit…

@ Papy: Ah Ah Ah!

M a dit…

Plains toi ! Ç'eut pu être PCB !

chri a dit…

@ M Allez dis moi PCB, je sens que ça va m'amuser... -)

chri a dit…

@ M Je préfère même ne pas faire de propositions...

M a dit…

Ben moi non plus ! Un coup de griffes pourrait partir !

chri a dit…

@ M Les indices, c'est pire!!! :-)

M a dit…

Si j'avais voulu donner un indice je n'aurais pas parlé de griffe ! Allez, histoire de voir à quel point IL peut devenir irascible : Petit Canard Boiteux ? En même temps je ne suis pas chamane, j'y connais rien hein !

chri a dit…

@ M oui ben PCB POG même combat! 😩

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