14 août 2017

Haut perché.

Ce n'est surement pas de briller qui nous empêchera de tomber. 
Pierre Lapointe. Chanteur Québecquois.

Il était resté de longues minutes assis sur le bleu électrique du tartan tout neuf, une serviette sur la tête. 
Après ce que lui avait soufflé son entraineur, sa décision était prise mais il avait encore besoin de se concentrer sur son possible dernier saut. Dans quelques secondes il devrait se lever, s’emparer de son engin, ils avaient opté pour une perche un peu plus dure que la précédente, donc plus délicate à manier mais qui renverrait une énergie plus grande. C’était sa préférée, celle à laquelle il devait l’or des Jeux, l’année passé. Avec elle, pendant ce magnifique concours final des Olympiques, il avait battu ce qui se faisait de mieux au monde et le record, en plus. Un an déjà…
En vrai, s’il avait su ce qui s’est passé après, cette médaille, il ne l’aurait pas gagnée. Il pouvait dire, maintenant, qu’il l’avait payée très cher cette victoire. Et elle n’y était pour rien, tout était de sa faute à lui. Après le podium, il avait perdu la raison, comme si une escouade de diables s’était emparée de lui. Les jours suivants, les semaines suivantes, il avait fait tout et n’importe quoi. Comme un adolescent explosé, il était devenu inaccessible, imbuvable. Ses proches ne le reconnaissaient pas et pas un n’a été capable de mettre un frein à ses bêtises. Il était parti en vrille et ça avait duré trois bons mois. Il était sorti, beaucoup, il avait bu, beaucoup, il avait régalé tout le monde, beaucoup dépensé, il avait testé beaucoup de substances, il les avait toutes essayées. Il était devenu en quelques mois l’ombre pâle du champion qu’il avait été. Un boxeur en pleine descente. La Motta des sautoirs. Il s’était payé de quinze ans de privations, de disciplines, de rigueur et de privation. Il avait tout envoyé promené et, à la fin du bout, c’est lui qui était allé se faire voir. Un petit matin en rentrant de virée une fois de plus vaguement saoul, il avait trouvé son appartement vide. Sa femme était partie leur enfant sous le bras. Elle l’en avait menacé plusieurs fois si les choses ne changeaient pas. Elles n’avaient pas évoluées. Pour couronner le tout, ne voulant plus être associés au désastre, un à un ses sponsors l'avaient lâché. Il avait touché des dix doigts l’idée que le succès peut causer davantage de dégâts que l’échec. Il l’avait vérifié, cruellement. De très près, la vie lui avait botté le derrière, il en avait encore les fesses rouges. Alors il n’avait plus eu que le choix entre continuer à s’enfoncer ou revenir. Heureusement pour lui, il avait opté pour la deuxième voie et il avait repris le chemin du stade et de l’entraînement. Sous certaines conditions, son entraineur aussi l'avait repris. Et ça avait payé. Il avait retrouvé son niveau au prix d'un travail acharné. Il en était là, ce soir. Après neuf mois d’une rigueur retrouvée, il n'était qu'à UN saut d’une médaille en or.
Il était maintenant temps de se mettre en bout de piste, d’attendre un signe de son entraineur, de laisser son cerveau sous la serviette et de se mettre à courir. Il lui restait un essai à cette hauteur. Le bulgare, lui, avait déjà échoué à son premier. Il avait tout emporté en montant puis était retombé comme une flaque dans les tapis, le regard noir. Maintenant, c’était l’or ou rien. S’il échouait, le concours était fini. S’il passait, il se retrouvait seul premier. Et l’autre avait encore deux essais mais avec ce qu’il avait montré sur le saut précédent il faisait plus peine que peur. Son engin posé sur une épaule, il a demandé à la foule de l’encourager en frappant ses deux mains en rythme au dessus de sa tête. Elle a répondu avec entrain. Il en a souri. Elle était avec lui, il sentait son souffle dans sa nuque.
Il a levé son engin droit au-dessus de sa tête et il a attaqué la première des vingt foulées. Bonne course, ample, je me sens bien il s’est dit. Il a planté sa perche dans le butoir. Longtemps que je ne l’ai pas si bien chopé celui-là. Pour une fois qu'il me parait large.
Il a plié la perche, tiré sur les bras et il s’est renversé les pieds sont montés droit au ciel. La vache ça n’a jamais si bien fusé. C’est super, tout va bien…
Il s’est retourné, calmement, il était un bon demi-mètre dessus la barre. Ne pas lâcher trop tôt, pousser encore un peu sur la perche, penser à finir le saut. Il était entièrement passé. Il allait réussir. Dans le temps de suspension, il a revu l’année qu’il venait de vivre. Plus jamais ça. Il ne s’accordait aucune confiance pour résister à nouveau. En redescendant, alors que le saut était une magnifique réussite, il a regardé intensément la barre puis il l'a poussée avec son index  afin qu’elle tombe…
Pas grand monde n’a pu comprendre son geste parce que là-haut, sur les sommets, si très  peu y accèdent, encore moins en reviennent…

Le champion si haut perché, lui, ce soir là, n’avait trouvé qu'une pichenette de l'index pour rester parmi les humains.



2 commentaires:

M a dit…

Ils sont trempés dans quoi ces athlètes magnifiques ? Certains ressemblent à une des perséides comme MJ Perec, c'est vrai que ce doit être difficile toute cette pression qu'on leur met, qu'ils se mettent aussi eux même pour une bolée d'endorphines et une autre d'adrénaline. Pour l'amour du sport, pour celui de la compétition, pour le tutoiement avec les sommets... Attention, pas de négatif dans ce com !
Je retiens que c'est l'index qu'il utilise et surtout quelle maitrise de soi dans cette micro nanoseconde !!!

chri a dit…

@ M Hé oui, l'adrénaline... pour qu'elle revienne!
Hé oui, comme un grand, il s'est mis à l'index tout seul, par lui même!
Doivent quand même le payer cher, le "petit" Meyer plutôt que le sommet avait l'air d'avoir bien touché le fond...

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