17 novembre 2017

T'es chiant.

Je n’arrivais pas à croire qu’elle ait pu avoir une telle idée. 
Surtout sans me demander mon avis. Savait-elle que j’aurais refusé tout net si elle m’avait prévenu ? Je déteste qu’on m’oblige. Si on devait m’enlever un bras, il faudrait me jurer que je peux le garder. Était-elle devenue subitement cinglée ? Quelle mouche avait bien pu la piquer ? Comment ne s’était-elle pas arrêtée  en route en se disant que, simplement, cela ne se faisait pas ? La ligne me semblait pourtant claire, évidente, tracée, nette. Même entre deux personnes si souvent complices, si proches, si liées.
J’ai su ce qu’elle avait fait quand j’ai reçu une convocation à la première séance. Je ne sais encore pas ce qui lui a pris ! En avait-elle assez de me voir déambuler dans le salon, plié en deux, en vieillard, une main sur les reins comme une femme enceinte désormais sans eaux? Etait-elle fatiguée qu’il me faille la demi-heure bien tapée pour grimper d’un malheureux étage ? Que je me réjouisse à admirer les publicités pour les monte-escaliers, les baignoires sécurisées  et les douches à portes? Pensait-elle avec cette inscription m’éloigner de la maison au moins une heure ? Hors de sa vue ? Avait-elle encore un soupçon de rancœur à cause de ma réflexion acide sur sa nouvelle coupe de cheveux du mois passé ? Le saurai-je vraiment un jour ? Ce qui était certain c’est que depuis plusieurs semaines, déjà j’avais droit à des : t’es chiant  envoyés dans un souffle long. Le message avait fini par passer, je l’étais devenu.
Si fait, j’étais convoqué pour le lendemain. J’avais la journée pour en apprendre un peu. Alors quand j’ai su que cette pratique, brûlait autant de calories que de faire du surf et à peu près autant que de faire une descente à ski, malgré mes réticences légitimes, j’ai souri. L’océan houleux et la montagne  enneigée à portée de salon. Hum alléchant.  Financièrement déjà, on était gagnant, vu le prix d’un vieux survêtement comparé à celui d’un séjour dans les landes ou  en station. Oui parce qu’il fallait s’habiller en clochard pour être à son aise. C’était dit dans toutes les présentations du Taï chi chuan ou, tenez vous bien en français ça signifie  Boxe de la polarité suprême (les bi polaires taï taï ? T’es chiant !) C’est un art martial au service de l’harmonie universelle des polarités Yin le négatif et Yang le positif, un savant rééquilibrage des énergies pour une plus grande vitalité. Une alternative douce à la morosité molle ?
Ainsi donc, elle trouvait que j’étais devenu mou. Mou du genou ? De l’âme, du corps entier si ça se trouve. En gros, dans sa lubie, pas mal de choses se passaient dans la respiration et les postures et leurs enchainements. Ça semblait d’une simplicité évidente et c’était donc extrêmement complexe. Comme la plupart des arts et philosophies venues d’Asie. Ils avaient eu plusieurs millénaires pour peaufiner le bazar. Ce qui m’avait le plus réjoui c’était, bien sûr les noms des postures à enchaîner. La ferme et la basse–cour étaient convoquées. Il fallait ouvrir puis repousser le singe, brosser le genou, séparer la crinière du cheval, mouvoir les mains comme des nuages, que  le coq d’or se tienne sur une patte, donner un coup de talon, saisir la queue de l’oiseau, se croiser les mains et fermer le tout.
Et ranger la planche après l’avoir rincée.
Cette fois j’étais vaincu ! J’apercevais déjà la crinière flamboyante du héron, la queue tortueuse du serpent, ou les oreilles effarouchées du lapin nain. Je voyais venir le chi comme une sorte de colonne verticale d’oxygène cosmique me ramonant le corps de la narine jusqu’à l’Achille tendon où je ressentais, depuis peu, une légère pointe douloureuse mais qui n’allait pas tarder, grâce au Taï Chi,  à disparaître corps et bien.
La remercierai-je jamais assez ? Deviendrai-je pour elle, enfin, un peu moins chiant ? Regrimperai-je dans son estime ? Regagnerai-je sa considération ?

C’était mal me connaître, tête de pioche, fâché d’avoir été inscrit sans que j’en sache rien, pour me venger, j’ai filé au Centre Gagarine dont on m’avait rebattu les oreilles, en me vantant les nombreux mérites de la pimpante et pulpeuse prof brésilienne de capoeïra.




8 commentaires:

Anonyme a dit…

Il est sans doute chiant,mais elle aussi.Je vois le genre. C'est genre :"mange moins de fromage, fais-toi de la truite fumée bio avec du fenouil ou de la mache! Ou bien choucroute et cornichons." J'en ai connu une qui avait même imposé du Bion 3 Senior et avait fait livrer sans prévenir un fauteuil Ikéa pour être bien installée avec chien et chats et du foin pour son mulet dans le jardin ! Là c'est vraiment le pompon !
Toutes des chipies je te dis !

Papy René

chri a dit…

@ Papy Dieu m'préserve!

Brigitte a dit…

Il est chiant peut-être, mais de la à l'inscrire pour un cours sans lui demander son avis !Bah elle aurait bien du se douter qu'il n'irait pas ...
Et pis c'est tout . Non mais elle doit être chiante aussi ...

chri a dit…

@ Brigitte Ne serait-on pas toujours le chiant de quelqu'un.e?

M a dit…

Elle accepte les équerres, la pulpeuse ?

chri a dit…

@ M Bien longtemps que perso je ne les tiens plus, les équerres! Mais parle-t-on des mêmes?

M a dit…

Je ne sais pas ! Moi quand j'ai mal au dos, quand je mets une plombe pour monter une volée d'escaliers j'ai parfois l'impression d'en être une ! Loin de celle des gymnastes !

chri a dit…

@M Donc c'est quand tu n'est pas d'équerre que tu en es une?
Allez comprendre...

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