01 mars 2018

Le portillon... du Chili.

Il était une fois, au fond d'un jardin clos, un portillon de bois qui n'allait pas tarder à être repeint.
___Pa où tu vas comme ça, si tôt, avec ce petit pot de peinture bleue ?
___Je vais redonner des couleurs à la petite barrière, ma jolie Valentine, tu sais le portillon du fond du jardin…
___Ah oui, celui que vous disez... 
___Vous dites!
___ ... avoir ramené du Chili! Tu le peins encore ? Mais, tu l’as déjà bleui cette année celui que je n’ai pas le droit de franchir !
___ Deux fois l’an, Ma douce, deux fois l’an comme depuis… longtemps.
___ Et pourquoi je n’ai pas le droit d’aller au-delà?
___ Ma belle, je te l’ai expliqué cent fois, je vais le faire une cent unième. Au-delà, c’est le monde jolie Valentine. Pour l’instant, le jardin est assez grand, même pour une petite fille, mais tu n’as pas encore assez de forces en toi pour qu’on te laisse t’en aller le voir, le monde. Le monde, vois-tu, il faut être un peu armé, un peu solide, un peu musclée, pour s’y coltiner, s’y frotter, le parcourir. Disons qu’ici, dans le clos de cette maison et de son jardin, en attendant, tu façonnes tes armes, tu apprends leur maniement, tu te solidifie et je te  voudrais la plus forte possible. Mais tu l’auras, un jour, l’autorisation de le franchir, tu le passeras un jour, ce portillon bleu que je vais repeindre comme chaque année. Seulement, le temps n’est pas venu. Il est encore beaucoup trop tôt pour toi.
___ Et je le saurais quand que je pourrais? 
___Quand le moment sera venu, nous le saurons tous. Et toi ET nous, ce jour là, la question ne se posera même plus. Je crois même qu’il s’ouvrira tout seul à ton approche!
___ Mais si jamais je le passais quand même pendant que vous n’êtes pas là avec M’an, qu’est ce que vous feriez?
Après un long silence :
___ D’abord, j’éprouverais, nous éprouverions tous beaucoup d’inquiétude parce que nous aurions très peur qu’il t’arrive quelque chose d’irréparable, que la violence du monde te saute à la figure et te marque à jamais, qu’elle te cause un mal irréparable dont tu pourrais souffrir trop longtemps… Ensuite, nous serions profondément déçus de n’avoir pas été capables de bien te faire comprendre pourquoi il te fallait attendre que le moment soit venu. Si nous n’avions pas réussi à nous faire entendre, nous n’aurions pas été à la hauteur de notre tâche, nous n’aurions pas fait ce que nous avions à faire, la seule chose du reste que nous te devons, vraiment : La protection. Nous n’aurions pas su te protéger.  De toi-même. Oui, oui nous serions très peinés. Ce serait terrible !
___ Mais dis, Pa chéri, le monde n’est pas seulement cette horreur dont tu parles ? Parce que si c’est ça, je reste là, moi ! 
___ Non, non, rassure-toi, douce Valentine, il est d’une beauté magnifique mais il y a tant de dangers, il vaut mieux être prévenu… Il est tout sauf rose.
___ Il semble important pour vous, ce si petit portillon. 
___ Et pour toi aussi, Ma Belle Impatiente. Comme d’autres l’ont fait  avant nous… Et puis aussi, peut-être pour qu’il serve, un beau jour à ceux dont tu finiras bien par avoir la charge, qui sait ? Le jour où tu pourras aller voir de l’autre côté. Et ce jour là, il faut qu’il soit flamboyant !
Après un moment :
___ Mais tu sais que, déjà maintenant, j’ai très envie de l’ouvrir?
___ Je sais Valentine, je me doute bien… Le temps viendra, t'inquiète...
 ___Tu me donnes un pinceau ? Je peux t’aider? Je veux peindre, moi aussi.
___ Tu vois, ça commence déjà...


C’est ainsi que dans le jour débutant, le monde qui passait sur la grand route a pu voir,  près du mur Nord Ouest d’un vaste jardin, un père et sa fille, chacun d’un côté, l’homme à l’extérieur, les deux genoux perdus dans le vert de l’herbe humide et grasse, heureux, bien qu’un peu gênés par l’ombre grandissante des arbres morts, couvrir d’une couche  bleue le bois moulu d’un vieux portillon… 
Soit disant du Chili...




10 commentaires:

M a dit…

C'est pour mieux te protéger, mon enfant ! Valentine pour une mission peinture (du monde ?), tu fais fort Pa !!!

chri a dit…

@ M C'est un peu leur travail aux pères.

odile b. a dit…

Tout un symbole, la barrière... 
L'entrée, la porte ou le portail, la haie verte, le muret ou le grand mur de façade en disent long, souvent, sur la personnalité des propriétaires du jardin et de la maison... 
Soit croquignolette, avec barrière de guingois et une pancarte "Bienvenue", agrémentée d'une capucine dessinée au pinceau et d'une clochette... soit un immense portail, muni d'un digicode avec la plaque "Chien Méchant", le tout complété par des tessons de bouteuilles couronnant le sommet des hauts murs de clôture... 
Le GranPa, pinceau à la main, va plus loin dans le discours et se transforme en Monsieur Seguin pour tenter de raisonner Blanquette éprise de liberté... Même peinte et repeinte, pimpante en bleu de chez Valentine, de Lectoure, ou "soit-disant du Chili", une barrière ne peut être admise que si son utilité, sa raison d'être, sont bien comprises.
Au Jardin d'Enfants (comme à l'EPHAD...), la sécurité prime et le fonctionnement doit être irréprochable. Il faut beaucoup de savoir-faire pour poser judicieusement des barrières, et, en même temps, beaucoup de savoir-dire pour en expliquer clairement, simplement et habilement les raisons... 
Assurément, les mots justes sont toujours des portes ouvertes...

Une fois encore, "Il faudra leur dire"... 
https://youtu.be/DgkWgsog6Y4

Anonyme a dit…

"soi-disant" sans le t, je crois.

odile b. a dit…

EHPAD et non EPHAD

chri a dit…

@ Odile Votre phrase si juste : les mots justes sont toujours des portes ouvertes... Fait écho à celle de Camus qui écrivait mal nommer les choses c'est ajouter aux malheurs du monde...
Quel plaisir d'être lu par vous.
Merci.

odile b. a dit…

Merci du merci ! Plaisir partagé ;-)
Vous avez dû, si ma mémoire est bonne, écrire un jour un joli billet sur l'art de bien nommer les choses de la nature, les plantes. Je crois que tout partait d'une discussion avec un vrai de la montagne, un fana de plantes sauvages, qui vous avait scotché par son savoir... 
Où le retrouver ? 

chri a dit…

@Odile, je ne suis pas chez moi cette semaine... Je vous l'envoie dès que je rentre, samedi.

Brigitte a dit…

Une jolie histoire ,il vaut mieux en effet savoir ce qu'il y a derrière !
Belle semaine

chri a dit…

@ Brigitte: Merci! Oui, c'est mieux!

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