03 mars 2019

Zoé, notre puce (Portraits de fille 5)

Alors, elle c’était un amour. 
Mais un vrai amour pas un de ces trucs dont on dit que c’est un amour et puis en grattant un peu, on se rend vite compte qu’on s’est trompé dans les grandes largeurs. Non, pas un de ces arrangements à la petite semaine là. Elle c’était un amour profond, intègre, entier. Et pourtant, tout avait plutôt mal commencé entre elle et nous. Elle nous était arrivée par surprise, en dix minutes, montre en main, lors d’une visite de contrôle. Elle n’avait pas crié. Elle s’était juste amenée et c’était comme si elle nous avait dit : Ben voilà, je suis là, ne m’attendez plus, prenez moi comme je viens. Bien sûr qu’on l’a prise, vous auriez fait quoi, vous ? 
On a senti très vite qu’elle n’allait pas nous faciliter la vie, qu’on allait en baver, mais on s’en foutait un peu, on était prêt à tout. On faisait bien! Il faut dire qu’on est allé de surprises en découvertes, d’étonnements en coups de théâtre. Ça pour une vie rangée on repassera ! Rangée du calme oui mais du reste pas vraiment. Elle, c’était le genre à dormir le jour et hurler la nuit jusqu’à trois ans environ... Le style à ne se nourrir qu’au biberon jusqu’à quatre ans et refuser tout le solide excepté ses six tétines... Ne pas en perdre une… La punk de la crèche. Elle a su lire à cinq ans, mais jamais la bibliothèque rose, que des magasines de Heavy Metal… Ecouter du Hard Rock à six ans même en voiture… Surtout en voiture pendant les longs trajets… Brûler, à sept ans, Ken dans le four de la cuisine… Il  n’avait pas été gentil avec Barbie… Planter pour les semer des fourchettes dans le jardin et surveiller ses cultures avec attention… Tondre le chat pour qu’il n’ait pas trop chaud l’été… En dehors de ça, elle avait pratiqué, le rugby, la boxe et le violoncelle entre sept et onze ans. Au début, je l’accompagnais à reculons et puis, avec le temps… Le plus amusant étaient les jours où le cours de violoncelle suivait de près le rugby… Elle allait jouer couverte de boue, en tenue. On avait bien essayé de négocier un passage par la douche mais on n’avait pas insisté longtemps… On avait obtenu quand même qu’elle enlève ses crampons. Jusqu’à douze ans on lui avait donné un prénom et puis le jour de son anniversaire, on lui avait proposé d’en changer si celui dont on se servait ne lui convenait pas, elle avait demandé à réfléchir. Quelques jours après, au beau milieu du repas elle avait balancé : Maintenant, à partir d’aujourd’hui, je m’appelle Zoé. Cherchez pas à comprendre. On n’avait pas cherché. Quand on lui demandait ce qu’elle voulait faire plus tard, elle répondait invariablement : vétérinaire à cheval… Ah pour soigner les chevaux ? On faisait, C’est bien, c’est joli un cheval. « Meuh non c’est un vétérinaire qui se déplace à cheval, c’est ça que je veux être… Ou violoncelliste d’avion… J’hésite…» Elle le sera sûrement. Un des deux ou autre chose. Déjà qu’elle est quelqu’un… On n’a aucun doute là-dessus…Tout ça pour dire que quand elle ne voulait pas, elle ne faisait pas. Et ce qu’elle voulait, elle l’obtenait. 
C’était finalement assez simple. Tant que sa vie n’était pas en danger nous avions fini par admettre que notre prunelle, notre trésor, notre petite puce, était singulière, juste singulière mais aimer son enfant c’est admettre ce qu’il est ce qu’il devient, non ? Et, c’est pour cela que ce dimanche matin, alors qu’elle jouait de la basse dans sa chambre, avec l’ampli dans le rouge, quand je l’ai appelée, sur son portable, à cause qu’elle n’entendait pas quand on frappait à sa porte et que je lui ai dit: 
___ On monte à Saint Ouen, aux puces, tu viens avec nous ? Je n’ai pas été étonné de sa réponse:
___ Dites, vous m’avez bien regardé ? Est-ce-que j’ai une tête à farfouiller, le dimanche matin, avec mes darons, les mains dans la poussière et les vieilleries ?
Sur le marché des puces, nous, on n’avait pas à se plaindre, on en avait trouvé une précieuse…

2 commentaires:

Pastelle a dit…

Un numéro rare dirait on.
Mais une note pleine d'amour et de sourires, que du plaisir à lire...

Francine a dit…

Alors ça oui un sacré numéro !! Ou plutôt, un numéro sacré, un hors série, une édition spéciale !! Qu’est ce que ça regonfle le moral un vétérinaire un cheval !

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