09 novembre 2019

Ma championne

J’étais seul dans la salle d’attente et, au lieu de me réjouir, mon pessimisme légendaire l’a emporté : Je me suis dit que ce n’était pas bon signe. Je n’avais pas une grande confiance en l’être humain mais s’il n’y en avait ni dans une salle de restaurant, ni chez un médecin, je pensais, tant qu’il était encore temps qu’il valait mieux se tailler vite fait et aller voir ailleurs, qu’on avait de fortes chances, ici, de mal manger ou d’être mal soigné. Je suis resté.
Enfin comme c’était mon premier rendez vous, je n’ai pas voulu me barrer de suite. Je lui ai laissée une chance de me décevoir. Il y avait dans la pièce un mélange bizarre d’odeur de d’humidité et d’encens mais pas celui des bâtonnets, non celui des églises vaguement rassis. Sur des magazines de l’an passé, j’ai lu avec avidité deux trois articles sur des coucheries de vedettes, le genre de connerie dont on ne se régale que dans ce type d’endroit. On était dans un pavillon, une villa neuve un peu à l’écart du village dont le garage avait été aménagé en salle d’attente et de consultation. Il y avait au mur des posters de paysages atrocement zen. Une fontaine électrique sur une table ronde conçue comme un autel bouddhiste faisait un raffut du diable et donnait envie de pisser. Après quelques minutes, on s’attendait à voir débarquer Tonton André un de ses livres à la main.
D’un coup, des hurlements sont venus de la pièce d’à côté. L’ambiance feng shui, yin yang a été balayée en deux coups les gros. J’ai entendu très clairement une voix de femme en bout de course menacer  en criant: "Dylan un jour je vais t’étrangler te couper en deux et te passer par la fenêtre !"
Puis nettement le bruit d’une paume sur un morceau de viande et très vite des hurlements déchirants. Une gifle était tombée.
"File dans ta chambre sale gosse!". 
Et sblam une deuxième claque. Dylan en avait pour son compte.
Curieusement ça m’a rassuré. Nous n’étions pas chez une bisounours éthérée en sari mais chez une maman excédée. Nous étions chez un être humain avec de banals soucis d'humain.

Je m'attendais à voir débarquer dans la pièce un sosie femme de Pai Mei, est arrivée une femme jeune rouge comme un nez de mandrill, en sueur, des gouttes lui perlaient sur le front. Un dragon en robe noire et en colère. Je me demande encore si elle ne fumait pas des narines. Je n’ai pensé qu’à moi en me disant tout bas j’espère qu’elle redescend vite sinon je vais prendre cher. Exit le pétrissage douceur pour moi place au malaxage déstressant pour elle.
              À part tout le reste, en ce moment, je goutais à l’immense chance de n’avoir mal nulle part et j’avais décidé de m’offrir un massage toutes les semaines. Quelle que soit ma semaine. Je m’étais dit qu’une demi heure de bien être en huit jours ne pouvait pas me faire de mal aussi j’avais cherché quelqu’un qui fasse ça pas loin de chez moi que je puisse y aller à pied quand il ferait moche puisque ma voiture et moi avions rompu brutalement. Et puis, j’étais passé devant chez elle en me baladant et en détaillant sa plaque sur le mur de son pavillon,  elle était devenue ma championne sur le champ.
Sa plaque était, en vrai, un panneau de bois sur lequel elle avait peint du mieux possible: Praticienne en santé naturelle, Naturopathie, diététique, shiatsu, Chi Nei Tsang, (ne me dites pas que vous savez ce que c’est…) massages aryuvédiques, modelage californien, lithothérapie, sophrologie… Ouf. Si avec ça tu n’allais pas mieux en sortant de chez elle c’est qu’il y avait un furieux loup. Manquait plus que l’aromatothéraphie, l’homéopathie et les fleurs de Bach et on avait la totale. Ce qui se faisait de mieux dans le domaine de la magie cosmopolite et tout azimuths. Un poil de Chine, un zeste de côte Est, un bout de Japon, des brins de vieille Europe, une pincée d’Inde bref un tour du monde des pratiques hors sol. Ça tombait bien j’aimais les voyages surtout quand on allait pas loin de chez moi. Une vraie championne.
Elle m’a demandé ce qui m’amenait, j’ai été tenté de lui répondre un bon vent mais je me suis tenu à mon envie de me faire du bien.
Elle m’a fait me déshabiller, j’avais amené un short en coton que j’ai gardé, une bruellite est si vite arrivée et puis je me suis allongé sur sa table de massage. Pendant qu’elle a travaillé j’avais dans un placard allumé de mon cerveau sa menace envers son Dylan. Tout le temps, j’ai eu le sentiment désagréable d’être un filet de limande et je n'ai cessé de me demander  à quel moment elle allait m’enlever les arêtes. 
Ça a nuit à ma totale décontraction. Et c’est soulagé qu’il ne me soit rien arrivé de nocif que nous en sommes restés là. 
C’était aussi bien mais dès qu'elle a posé ses paumes sur moi, la championne est devenue mienne. On allait devenir une grande équipe tous les deux! 
À la fin de la séance, elle m'a soulagé d'un billet orange mais je m'en suis complètement foutu, je me sentais comme si j'avais fumé une benne de kat. Mes yeux regardaient au travers des murs. Si elle m'avait annoncé qu'elle était druide, je serais allé lui couper du gui à mains nues, si j'avais appris qu'elle était chamane, je me serais peint le visage après avoir allumé un feu, si elle m'avait dit qu'elle était ostéopathe j'aurais couru au distribanque en slip.
"À la semaine prochaine, alors..." j'ai fait avec la voix d'un Barry White entamé par une bronchite puis, j'ai ajouté, second, me réjouissant à l'avance:

 "La semaine prochaine, je partirai volontiers sur une séance de pierres d'argiles sioux bénies chaudes..."


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