19 janvier 2011

Un écart de conduite.

Est-ce-que tu te fous de ma gueule? Dis, c’est de cette façon que tu nous remercie?  Et j’espère que tu ne vas pas me confirmer ce qu’on m’a dit sinon, tu es fini, mort, et je me chargerai personnellement de toi, de ta carrière, enfin ce qu’il en restera! Crois moi! Tu es grillé, j’aime autant te le dire! Ton prochain volant c’est celui d’un tracteur! Sans les roues!
Le type en costume dans une colère noire hurlait, éructait, vitupérait, tournait autour du lit du jeune gars bardé de tubes et de perfusions dans la chambre 213 de cet hôpital de province. Il y avait été amené en urgence quelques heures au par avant après une sortie de route dans la troisième spéciale de la journée. On avait décelé une demi-douzaine de fractures, la plupart à la jambe gauche et à un poignet aussi qui avait pas mal reçu. Mais, par miracle, aucun organe vital n’avait été touché et son copilote lui s’en était sorti sans même avoir eu le temps de prendre peur. Dès l’arrivée de l’hélicoptère qui l’avait amené, on l’avait plongé dans un coma artificiel, le temps de réduire toutes ses fractures et de pouvoir, ainsi, présenter un homme presque neuf. A vingt ans, il s’en remettrait vite d’autant que ce n’était pas son premier accident, ni ses premiers os cassés. Il y avait déjà eu droit en kart quand il avait débuté vers ses huit ans puis en moto, sept ans après, mais cette fois dans les bois lors d’une sortie avec ses potes. Ils pilotaient tous des  Bultaco trois cinquante. Un engin qui grimpe aux arbres. Une fois là-haut, le problème devenait d’en descendre… Ce jour là, il l’avait faite seul, la descente. Un grand pin avec des rochers au pied. Une omoplate et un avant-bras qu’il avait mis en avant pour se protéger. La moto était restée un temps accrochée puis l’avait suivi. Il l’avait prise sur le dos et deux vertèbres avaient éclaté. Un an après il reconduisait. Plutôt vite. C’est là qu’il avait été remarqué.
Une écurie officielle d’une grande marque avait parié sur ce jeune dingue qui allait plus vite que tout le monde. Pour qu’il se forme, elle lui avait fourni une voiture et une petite équipe. Ensemble, la première année,  ils avaient écumé les rallyes régionaux. Il avait raflé presque toutes les coupes. Et dans les hauts bureaux, quelques bedaines cravates s’étaient félicitées chaleureusement. De l’investissement. Il avait dès la fin de cette année là changé de catégorie. Ce qui voulait dire une voiture encore plus performante, une équipe plus fournie, davantage compétente et des revenus bien plus importants. Mais aussi des attentes à la hauteur. Il ne s’agissait plus de s’amuser. Alors qu’avant on pouvait, maintenant, il fallait gagner. La pression sur ses épaules aussi augmentait.
Lors de la première course, il avait fini deuxième derrière un de ces finlandais qui régulièrement descendaient du froid pour conduire plus vite que tout le monde. Le deuxième rallye, il l’avait emporté haut le volant et les bedaines costumes avaient allumé de gros cigares.
C’est lors du troisième rallye que ça a basculé. Dans cette troisième spéciale, justement. Après avoir remporté les deux premières,  il avait attaqué comme à son habitude, à fond, le pied droit non plus au plancher, mais à l’étage en dessous. Et puis, ce virage, là qui n’avait rien de particulier. Pas même d’eau, aucun trou, pas un poil de gravier. Non, rien  de remarquable excepté une petite boule sombre que lui seul a vu,  qui, à peine sortie des herbes hautes bordant la route, avait commencé à traverser tout lentement. Juste au point de corde. Il ne l’a vue qu'au tout dernier moment.  Il n'a même pas eu le temps d'hésiter. Il a donné un coup de volant pour l’éviter. Il n’aurait pas dû. Trois tonneaux après, il s’endormait avec une violente douleur au côté gauche.
Le type en colère reprit de plus belle et plutôt vulgairement: Est-ce que tu te rends compte de la masse fric que tu nous fais perdre espèce de petit con? Et on me dit que tout ce bordel c’est parce que tu n’as pas voulu écraser une bestiole? J’espère que c’est des conneries…
Le blessé a appuyé sur la poire pour faire venir l’infirmière. Elle est arrivée très vite dans la violence des mots de l’autre. Elle s’est penchée sur le jeune pilote blessé. Dans un souffle, il lui a dit: S’il vous plait, vous pouvez le virer, celui là? Je ne comprends rien à ce qu’il raconte, j’ai mal au crâne.

Puis, il a ajouté: Dites, le hérisson dont il parle, vous savez s’il s’en est sorti?

Route Ménèrbes

13 commentaires:

véronique a dit…

j'imagine le hérisson, plâtré, rafistolé, intubé, l'oeil encore un peu vif sur son petit lit de feuilles ...
la " chute " de votre histoire m'a fait sourire Chriscot !

(je vais essayer de rattrapper mon retard .. je suis certaine que j'ai raté des trucs supers ! )

chri a dit…

@ Véronique La vie ne fait-elle pas de nous des petits hérissons fragiles, aveugles et que tout menace?

Anonyme a dit…

C'est une lombalgie à venger qui te met l'humeur aux Urgences ? Un bras coupé, une demi-douzaine de fractures, jeunes, limite casse-cou, mais du coeur, c'est vrai, donc même cassés, on les aime.
Alors ça va mieux le dos ?

Slev

chri a dit…

@ Slev: Ah tu as vu? Ça monte direct au cerveau, on dirait!

Michel Benoit a dit…

C'est terrible, j'ai un mal fou à lire sur écran... Cette histoire aurait peut-être pu se terminer au... cimetière !

chri a dit…

@ Michel: Avec des tombes pour hérissons? Toutes plates, comme des lecteurs de CD?

Émilie Jolie a dit…

Oh ! merci, monsieur Chri, de raconter l'histoire de mon petit ami, il a eu si peur ce jour là !

Émilie

chri a dit…

@Jolie Emilie: On ne m'avait pas menti! Jolie tu l'es. Je te rassure, il va bien, il a juste eu très peur de ce bolide qui l'a frôlé.

Lautreje a dit…

Moi c'est le gros avec son cigare que j'aimerais fracturé...
J'espère que votre dos se porte mieux !!

chri a dit…

@Lautreje: Ah, vous aussi?!
Mon dos est très sensible à votre question. Merci pour lui. Il va, il va un peu mieux!
Merci.

nathalie a dit…

aarrrgh toutes ces histoires d'accident et de gueules cassés me sont très pénibles à lire - j'en suis toute crispée devant mon écran, c'est effrayant.
J'espère que tout est bien qui finit bien et que notre héros sortira de l'hopital avec le hérisson réparé dans les bras, prêt à entamer une nouvelle carrière de défenseur de la nature... quoi ? je rêve ? je devais être plongée dans le coma artificiel ou bien peut-être entraînée dans la Haute Vallée de la Félicité Radieuse par quelque parfait gourou.

chri a dit…

@Nathalie C'est tout pour (sou)rire!

chri a dit…

@ Nathalie: Désolé pour la crispation!!!

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