05 janvier 2011

Envol de vélo.

Ils habitaient un pavillon dans une rue tranquille, du côté droit de la nationale qui filait vers l'Est, le vrai, vers Nancy et qui partageait le coin en deux. Au début, quand ils étaient venus habiter par ici,  ils avaient cru que Nancy était un prénom et puis non, on leur avait dit que tout au bout c’était l’Allemagne et puis la Pologne et au fond,  la Sibérie. A cette idée, ils avaient eu froid dans le dos. Cette nationale c’était comme une grande frontière horizontale. A droite en regardant Varsovie les quartiers chics, les pavillons, les chiens  grands comme des ânes qui gueulent dans une permanente colère et les regards en coin. A gauche des cités, des cités et encore des cités. Pas les plus moches, mais pas les plus mignonnettes non plus. En tous les cas, on ne le traversait pas si souvent, le rio grande.
Ils habitaient un pavillon, sur des côteaux, dans une rue peinarde avec une vue sur la capitale à couper le souffle, tant et si bien que certains jours ils pensaient même, pouvoir apercevoir, dans le fond du paysage, les plages de Normandie, voire plus loin encore. Un pavillon bien à droite de la nationale, évidemment… A l’entrée, après la grille, ils  avaient construit un abri de bois dans le quel ils mettaient les bicyclettes, les poussettes, quand il y en avait eu, enfin tout ce qu’on attrape quand on doit sortir avec. La lourde grille n’était jamais fermée à clef sous le prétexte que si quelqu’un veut entrer, il entre. Il se murmure que ce serait plutôt par flemme d’avoir à sortir le trousseau de clé à chaque fois.
Un soir, ils dinaient à plusieurs dans la baraque. Quand les amis sont repartis, ils les ont accompagnés à la grille du parc comme ils disaient. Là, tout le monde s’est embrassé plutôt deux fois qu’une, autant la joie de se séparer que celle d’avoir été ensemble. Le silence revenu le type a lancé un regard sous l’abri en bois. Il n’y a pas cru de suite mais il se l’est dit très vite:
__ Mon vélo! On m’a gaulé mon vélo! Tu ne l’as pas mis ailleurs par hasard?
__ Ben non, je n’y ai pas touché à ton vélo!
__ Ben voilà: volé mon vélo!
Bien que la phrase soit drôle, personne ne songeait, à cet instant, à se marrer. Quelqu’un était entré dans le jardin pendant qu’ils mangeaient sans vergogne, et sans bruit avait embarqué le vélo. Et voilà. Ce n’était pas non plus un engin fabriqué sur mesure mais bien un truc acheté en grande surface, venant sans doute de Chine mais avec des freins shimano, une selle, un pédalier, un guidon et des roues bien pratique pour aller faire un tour et éviter de prendre la bagnole. On attendra un peu pour en racheter un. Ils habitaient peut-être à droite de la nationale mais ils n’avaient pas les moyens de se payer de suite un vélo quand l’un disparaissait.
Deux jours après cette histoire, il est allé au bar, tabacs, journaux au grand rond point. Le bar était à gauche de la nationale. Il fallait en faire le tour et se garer de l’autre côté. Oui, il y était allé en bagnole bien que ce soit à cinq cent mètres. D’ordinaire, il y allait en… pédalant. Avant d’entrer dans la salle enfumée des vapeurs de cafés et des brumes de la nuit, le jour venait à peine de se lever sur le gris de la banlieue, il l’a vu. Il était posé là, le long de la barrière, une branche du guidon appuyée sur la vitre. Il l’a bien, entendu, reconnu de suite. Alors, il a attendu.
Deux trois minutes après, c’est une gamin qui est sorti du bar et qui a empoigné le vélo. Il s’est approché. Il lui a dit:
__ Bonjour. D’où vient-il ton vélo?
Sans se démonter le gosse a répondu: “Je l’ai acheté avant-hier à un type. Pourquoi?”
__ Ben, parce que c’est le mien, je me le suis fait voler avant-hier, justement. Sais-tu ce qu’on va faire? Je vais repartir avec...
__ Ah mais non, vous ne pouvez pas, je l’ai acheté, laissez moi régler ça, ce n’est pas juste que vous me preniez mon vélo.
__ Le mien, c’est le mien! Ne transforme pas les choses à ton avantage.
Au bout d’un moment de cette discussion stérile, il a décidé:
__ Ecoute, tu vas repartir avec MON vélo et je te donne deux jours pour régler ton affaire! On se retrouve ici après-demain tu me rapportes le vélo et on n’en parle plus. Tu comprends bien que je ne vais pas te racheter MON vélo, quand même! Est-ce que je peux avoir confiance en toi?
Le gosse a dit oui, ils se sont tapés dans les mains et l’autre a enfourché le vélo pour filer dans le gris des immeubles.
L'adulte est revenu deux jours après. Il a attendu une bonne heure avant de s’en repartir. Seul, sans son vélo.
Alors bien sûr, quand il a raconté cette histoire, tout ceux qui étaient présents se sont foutus de sa gueule et dans les grandes largeurs en plus! Ils étaient pliés de rire devant tant de naïveté stupide! Ils lui ont tous dit:
__ Mais tu vis où, toi? Sur quelle planète? Dans quel monde? Sur la planète Bisounours? Et tu croyais vraiment qu’il allait te le rapporter ton engin?  Une beigne dans la gueule et c'était fini l'affaire! T’aurais dû lui laisser un chèque aussi pendant que tu y étais, alors toi t'as le pompon etc…
Ils riaient, ils riaient!

Bien. Allez-y, à vous de rire, maintenant…

O 047

9 commentaires:

Nathalie a dit…

Ah ça peut tourner des deux côtés...

La planète Bisounours, c'est l'excuse de ceux qui ne veulent pas se donner la peine de faire mieux marcher les choses.

Cela dit, le deal aurait marché il y a vingt ou trente ans je pense. On avait le respect de la parole donnée.

Aujourd'hui la parole donnée à un qu'est pas de la cité, ça ne vaut rien. Les promesses n'engagent que ceux qui y croient.

Il aurait fallu lui demander son identité, avoir son adresse, son numéro de téléphone, contacter ses parents.

Maigre consolation : maintenant le gamin est grillé autour de ce café, il n'est pas prês d'y retourner - surtout à vélo.

Brigetoun a dit…

et puis ceux qui jugent là, ils n'étaient pas en face du gosse et de son apparente bonne foi, de son talent peut être, et puis avec cette idée : qu'est ce que je peux faire ? me battre ? le lui arracher ? (et peut être que le gosse était plus fort, ou s'il était plus faible avoir honte de le frapper)

Lautreje a dit…

moi j'l'aime mon vélo, je lui parle, je lui dis qu'il ne doit pas suivre n'importe qui dans la rue !

http://lautreje.blogspot.com/2009/11/je-vous-aurai-prevenu.html

chri a dit…

@Nathalie: Oui et puis un jeune s'est mis au vélo et ne fait pas de bruit avec une moto!
@Brigetoun Dans le mille!
@Lautreje: Peut-être ne lui parlait-il pas assez à son vélo!

Anonyme a dit…

Va savoir ce qu'il lui est arrivé, dans quel hosto il s'est retrouvé ce pauvre gamin quand il est retourné voir le p'tit caïd du coin pour lui réclamer son dû.

Slev

chri a dit…

@Slev M'est avis qu'il ne dormait pas très loin du voleur le ptit bonhomme!

Tilia a dit…

Cette histoire de vélo volé me rappelle vaguement quelque chose... un film je crois. Faut que je recherche. Voilà, j'ai trouvé !

Tilia a dit…

Cliqué trop vite, pas eu le temps dire que la photo et aussi bonne que l'histoire !

chri a dit…

@Tilia: Ne suis pas trop client de Pee Wee, c'est beaucoup d'énergie...
Merci pour l'avis, Tilia!

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