04 juillet 2011

Bus stop.

Le bus est arrivé par la Grande avenue, dans mon dos, je ne me suis pas retourné. 
Je savais qu’elle était à l’intérieur, je savais que c'est ce bus là qu'elle avait pris. Lui, il a grimpé poussivement, puis il s’est arrêté là-haut, à proximité de la Grand place à l’ombre généreuse des platanes. Les portes se sont ouvertes, j'ai entendu d'où j’étais le souffle du piston de la porte. Son grand sac de cuir jaune est apparu, je savais qu’elle suivait. C’est sa très longue jambe droite qui a quitté le bus en premier. Elle est descendue… Elle était vêtue d’une robe noire qui lui couvrait les genoux, au joli décolleté arrondi, évasée à partir de la taille à petits motifs blancs. Elle lui donnait une allure de pétale de vent, même dans la lumière poussiéreuse de cette après midi d’été. En vrai, elle pouvait porter n'importe quoi, tout lui allait comme une alliance à un annulaire de mariée. Elle avait aux pieds des sandales presque plates en peau caramel avec un petit noeud sur le dessus dont la ligne laissait apparaitre le début des phalanges... et un foulard léger de soie beige autour du cou. L'incroyable bleu, fond de lac, de ses yeux était caché par des lunettes de soleil. J’ai vu, ou alors j’ai rêvé, les mouches de la place stopper leurs vols, les libellules se mettre en stationnaire, les martinets descendre voir qui était là. J’ai entendu, ou cru entendre les conversations se suspendre aux terrasses des cafés, le bruit des moteurs s'apaiser, les passants ralentir leur démarche. Je sais, j'en suis certain que le temps, lui, a fait une pause. Pour la regarder passer? Les maisons de l'avenue s'écartaient sur ce passage, les balcons se soulevaient et les tuiles des toits bruissaient.
Elle avait coupé ses cheveux noirs et souriait comme une Bernadette en sortant de la grotte. Elle a regardé autour d’elle, puis dans ma direction et là j’ai vu très nettement son sourire s’ouvrir davantage. Malgré la nuit qu’elle venait de passer, elle avait le visage reposé, lumineux, apaisé, serein.
Dire que la veille elle avait bazardé quinze ans en quittant la ville où elle vivait… Elle avait tout envoyé promener et s’était démenée pour trouver un moyen de partir. Elle n’avait écouté aucun de ses amis, aucun des conseils qu’on voulait bien lui donner, elle avait juste décidé de partir et elle l’avait fait. Son boulot ? Aux pelotes? Son chien ? Au refuge? Sa maison ? Aux fraises? Rien ni personne n’aurait pu la retenir. Rien ni personne ne l'a retenue : « Tu ne peux pas comprendre, lui, je l’aime… » leur disait-elle. « Il est l’homme de ma vie, il est celui avec lequel je suis devenue femme… » Bien entendu, celles à qui elle servait ce plat la regardaient un peu de travers en se demandant pourquoi ce genre de truc lui arrive à elle et pas à moi. Elle avait fini par faire naître beaucoup d’incompréhension, d’inimitié et de jalousie, mais cela n’avait fait que renforcer son désir d’une vie nouvelle avec un homme nouveau. Alors elle avait juste attrapé son grand sac de cuir jaune, elle y avait vite fait balancé une ou deux robes avec les cintres, une ou deux paires de chaussures, quelques livres presque pris au hasard dans la bibliothèque. Tout le reste, elle l’avait laissé sur place, avec un air de pas mal s’en ficher. On se doutait bien depuis un moment qu’elle n’était pas très préoccupée par l'aspect matériel des choses. C'en était une confirmation éclatante. Et, en même temps, une manière de déménager plutôt agréable. Pas de cartons, pas de meubles encombrants, du léger, du vite fait, du qui se balance négligemment, du qui se jette sur l'épaule d'un air indifférent. Elle était allée à pied à la gare routière et là, elle avait pris un bus de nuit, il en restait juste un qui avait démarré en trombes dès qu’elle avait posé le pied dedans. C'est ce qu'on appellait arriver pile poil à la bonne heure.


Elle a enlevé ses lunettes noires, elle a dû voir que j’étais resté. Sans doute s’est-elle dit que je l’attendais? C'est ce que moi, je me serais dit si j'avais été à sa place.   Alors, elle a jeté son sac derrière elle, elle s’est mise à courir vers moi dans cette avenue en pente, elle s'est débarrassée de ses ballerines pour aller plus vite encore mais sans se soucier du tout des gravillons, bouts de verre, capsules de sodas qui auraient pu la blesser. Elle a vite été suivie par des grappes entières d’enfants blonds, sorties des maisons à son passage, riant aux éclats comme des gouttes de rosée dans un petit matin tremblant... De vastes nappes crémeuses de violons suaves venant du ciel de l'avenue, accompagnaient tout ça...

A ce moment, j’ai eu besoin d’un mouchoir jetable. J'en ai toujours un au fond d'une poche. Je me suis essuyé, un peu, les deux, puis je suis sorti de la salle avant que le générique se mette à défiler, que personne ne se fiche de mes yeux rougis...

8 commentaires:

Brigetoun a dit…

un plaisir de lecture

véronique a dit…

Quel bonheur encore ... et quelle chute !
je suis restée suspendue comme les libellules, le temps de ma lecture !

j'y ai cru jusqu'au bout dites donc !
et ai lu les dernières lignes avec un petit sourire... triste !

Tilia a dit…

Bravo, j'y ai cru aussi ! enfin pas trop... je me disais bien qu'il y avait sûrement un truc, mais sans voir lequel. Incapable de deviner, j'étais.

La chute est impeccable. Reste à savoir de quel film il s'agit...

LE CHEMIN DES GRANDS JARDINS a dit…

J'aime bien me laisser transporter par un talent d'écrire. Mes hésitations m'ont portées à lire jusqu'au bout!
Excellent.
Bravo,

Roger

Anonyme a dit…

Une réédition, ou je confonds ?
Mais on ne s'en lasse pas, toujours aussi bon.

Slev

odile b. a dit…

Toute la force du cinéma (ou du récit !) : on s'y croit et on sort son mouchoir...

odile b. a dit…

PS
intéressant, parfois, quand même, de rester jusqu'à la dernière ligne du générique...

chri a dit…

@Tous: Je rentre de balade( Lac de Sainte Croix dachriosérum 5cc à venir...) Et je lis vos commentaires... J'ai bien fait de rentrer! Mercis...

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