28 juillet 2011

Et si mon dos la battait, la chamane?

Raymonde Levent du Mas "Dans les branches" dite Pygargue Agile... Chamane guérisseuse... Gordes. Suivait le numéro de téléphone...
Malgré son prénom qui pouvait freiner, là où j'en étais, j'ai appelé, je souffrais trop. Une semaine à vivre comme si j'avais cent trente sept ans, c'est long. Et personne ne répondais... J'allais attaquer la dixième minute d'attente, une de plus et je raccroche.   A l'autre bout, un sirop de flute andaine, mais si, vous savez bien, "Phil à la quena..." Les sioux du marché du dimanche matin... Du jus de sucre, donc dans les oreilles quand une voix de femme lente m'a répondu. Oui, je n'ai trouvé que ça pour vous donner une idée de sa manière de parler: une femme lente, ou alors, une qui aurait avalé toute une boite de béta bloquants si vous préférez.
Bonjooouuurrr a-t-elle laissé. Quel vent vous amèèèènnnee?
Bonjour Madame, voilà, j'ai le dos en compote et je fais appel à vous. J'ai trouvé votre site sur internet. Comme vous semblez hors de prix et dans le Lubéron, j'espère que vous êtes efficace.
Vouuus aavvveez apppellé la booonnneee peeersooonne. (Je vais écrire la suite normalement ce doit être un peu chiant de lire ce qu'elle dit, vous avez compris sa façon de parler. Elle n'en changera pas.).
Alors on a pris rendez vous pour le lendemain. Comme elle habitait à proximité d'un des plus beaux villages du coin, quoique un peu trop léché. Et qui n'appartenait pas au monde connu quand même. On y vendait le verre de blanc au prix d'une caisse de six bouteilles et tout à l'avenant. Je me suis dit qu'à défaut de guérison, ça me ferait une belle balade. J'étais un peu excité, ce n'est pas tous les jours qu'on a rendez-vous avec une chamane, fût-elle de Gordes! Et puis, ce qui m'intéressait c'était qu'on m'enlève le cruciforme que j'avais entre deux  lombaires depuis une trop longue semaine, depuis, du reste, que je m'étais dit que ça faisait longtemps que je n'avais pas souffert du dos... J'espérais aussi secrètement qu'elle ait une jolie piscine et que ça fasse partie des soins. Ce n'est pas tous les jours qu'on se baigne à Gordes et ça valait bien qu'on se saigne un peu les veines. C'est dire quel doux rêveur j'étais.
Avant de raccrocher, elle m'a dit de venir avec mon mal. Ne l'oubliez pas en route... Impayable. Ah! Elle m'aura fait cogiter avec sa blague, celle-là.
J'ai dormi, peu. Je n'arrivais pas à trouver LA position. Celle qui me permettrait de... dormir davantage qu'un peu. Le lendemain j'ai réussi à enfourcher... oui, j'y suis allé en motocyclette. Bizarrement quand le dos est en souffrance, une fois l'engin entre vos jambes, il se rappelle moins à vous en moto que si vous êtes assis tassé dans une voiture, quelle que soit la voiture, sauf peut-être une de ces vieilles DS citroen qui roulaient sur des nuages, mais si je devais acheter une DS à chaque fois que j'ai le dos en vrac, je ne m'en sortirais pas. Les deux bras bien tendus et accroché au guidon comme en ski nautique, sauf que là, tu aurais le bateau entre les jambes si je peux m'autoriser l'image. Tu la vois?  Ou comme un naufragé à sa bouée si tu préfères. Roule vers Gordes.
Un vieux mas de pierres. Jusque là, rien d'exceptionnel. À Gordes TOUT est en pierre. Même les gazons. Deux bergers belges de cent vingt kilos l'un, au moins, gambadaient dans les pelouses, jouaient à se mordre les oreilles, en soulevant des nuages de poussières dignes d'un Sergio Leone. Au tintement de la sonnette, il ont rappliqué comme un seul vers le portail, j'ai cru qu'ils allaient bouffer chacun un vantail. Quand je les ai vu de près je me suis rendu compte qu'ils n'avaient plus d'oreilles. On peut être chamane et aimer sa tranquillité, j'ai pensé.
Une petite femme qui avait dû être très belle les a rappelé et m'a ouvert la porte en appuyant sur un bouton. Vous pouvez la laisser garer là, les chiens n'y toucheront pas. Elle en a souri. Vous n'avez pas le dos si abîmé que ça puisque vous êtes venu avec votre engin... Elle était toute vêtue de lin blanc, un ange qui viendrait de loin. Blonde, les cheveux tirés en arrières, domptés en une natte fine et nerveuse. Malgré son âge avancé, un poil plus âgée que moi, une silhouette de jeune fille, une démarche élégante, soyeuse, dansante. Elle était sèche comme une herbe à la Sainte Marie. Elle devait être de celles qui dégraissent un haricot vert avant de s'en empiffrer! Et sa voix, sa voix. Elle marchait comme elle vivait en TaïChi permanent. En vrai, elle ne marchait pas, elle glissait. Ses pieds nus effleuraient à peine les larges dalles de pierre et soulevaient à leurs passages  de minuscules nuages d'une poussière légère... J'ai suivi tout ça dans un ravissement déjà soignant?
Elle m'a fait entrer dans une pièce, une ancienne cave voutée où il faisait frais comme dans une sorgue. A son centre un tatami king size recouvert d'un tissu de lin blanc. A chaque coin de la pièce des orchidées blanches un brin prétentieuses. Au dessus de la cheminée, une phrase en fil de fer courait: Fais du bien à ton corps pour que ton âme ait envie d'y rester... Un de ces proverbes indiens fabriqués en Chine? Elle a allumé un truc dans une boule en métal, suspendue.
De l'encens? Je me suis dis. Tu parles d'un encens! De l'herbe oui! Savait-elle que c'était interdit? Elle le savait mais elle m'a dit que c'était une utilisation à visée thérapeutique et qu'on ne la fumait pas, on la brûlait seulement. Ça s'est mis à sentir vachement bon dans cette pièce... Elle m'a dit que, jusqu'à présent, personne n'était jamais venu se plaindre et surtout qu'elle soignait, aussi, le Maire, le chef de la Police Municipale et quelques procureurs parisiens en vacances dans le coin... Imparable.
Elle m'a proposé de m'asseoir au centre du tatami, en tailleur... On voyait bien qu'elle ne me connaissait pas. Le dernier qui avait réussi à me faire asseoir en tailleur était mort depuis longtemps. A cause de mes genoux en fer, je me suis assis, simplement.
Elle m'a demandé ce qui m'amenait. Là, j'ai tiqué un peu parce que je lui avais déjà expliqué mon affaire au téléphone... Soit elle ne m'avait pas écouté, soit elle ne s'en souvenait plus. Dans les deux cas ça m'a dérangé, mais bon, j'ai décidé de lui laisser une chance. Elle en a profité pour appuyer sur la touche d'un appareil bose dernier cri. Une musique comanche a envahi la pièce. Quand j'écris comanche c'est pour donner une idée de la chose, mais ça pouvait être une musique Navajo ou bien Apache. En tous les cas, j'ai reconnu celle de son répondeur. Elle n'avait peut-être qu'un seul CD... Acheté au marché... C'est quand elle s'est placée derrière moi après que j'ai enlevé ma chemise qu'un voyant clignotant s'est allumé dans ma tête. Il disait: Arnaque, arnaque, arnaque. 
Je l'entendais murmurer, psalmodier, dans mon dos, je la voyais dans la glace, elle avait les yeux fermés, les deux mains tendues vers ma colonne mais elle ne me touchait pas, elle se contentait de balader ses paumes le long de mes vertèbres en descendant dans les graves. Elle chantait en playback avec la bande son. Pas une fois ses mains n'ont touché un seul de mes os... L'affaire a duré un bon quart d'heure.
Tout ce temps, je me suis dit que c'était un peu chéro pour venir écouter un disque et  une fourmilière entière s'est mise à me grimper DANS les jambes. La colère, comme une rivière qui sort de son lit, elle,  s'insinuait en moi par les oreilles. De la gifler la chamane, ça oui j'en avais envie! Un moment, je ne tenais plus en place. Elle a dû le sentir puisqu'elle a mis fin assez brusquement à la séance. Elle m'a garanti qu'il ne se passerait rien pendant les trois jours suivant, mais qu'après, la douleur devrait m'abandonner. J'ai failli éclater de rire quand elle m'a assuré qu'elle l'avait dirigée sur un rapace qui volait dans le coin... Je l'ai payée et dans l'espoir de récupérer un dos, j'ai perdu un bras... Je suis remonté tant bien que mal sur mon engin et j'ai démarré en trombinette.


Sur la route du retour, à la frontière de Gordes et du monde des humains communs, j'ai admiré de longues minutes le vol planant d'une grande buse dans le bleu, au dessus.
Je me suis dit dans mon casque:
"Toi, ma belle, profite, fais ta maline, plane, plane, belle buse... Tu ne sais pas ce qui t'attends... Tu as encore trois jours d'insouciance devant toi..."



24 commentaires:

jeandler a dit…

Une buse ! Il en reste donc quelques unes qui volent encore. Mon mal au dos m'empêche de regarder le ciel...

chri a dit…

@Jeandler Faites comme moi... allongez vous sur une mousse bienveillante!

Tilia a dit…

Il y a longtemps j'ai lu "La Chamane Blanche", le livre d’Olga Kharitidi qui semble accréditer les pouvoirs de certains chamanes. Recherchant la fiche de ce bouquin, je suis tombée sur une vidéo concernant la médecine ancestrale des Kallawaya. J'ai été surprise de voir figurer la danse des cordelles parmi les rituels de ce groupe ethnique. Une danse provençale dans un rituel chamanique bolivien, étonnant, non ?

chri a dit…

@Tilia: Ah! Vous voyez! Les cordelles en Lubéron tout est possible.

Lautreje a dit…

J'adore suivre vos expériences, c'est toujours très divertissant, je sais c'est épouvantable de sourire du mal des autres mais c'est de votre faute, vous savez si bien racontez l'histoire !
Quant à cette femme chamane... qui sait, z'étaient pas fous dans l'temps, en tout cas pas plus fous que maintenant !

chri a dit…

@Lautreje: Vous pouvez sourire tout votre saoul, Lautreje c'est fiction! Mon dos est une merveille!

véronique a dit…

Vous faites bien les "fictions" Chriscot ... j'allais vous poser la question du "comment allez vous trois jours après" mais je constate que c'est inutile ...... !
mais à force, un de ces jours, vous finirez par avoir mal pour de bon ! un sort, peut être, jeté par l'association des Chamanes en colère !

chri a dit…

@Véronique: Quand j'écris merveille, je me vante un peu, mais bon... En ce moment il me laisse tranquille!
Je me suis doté d'un anti-sort, vous pensez bien!

véronique a dit…

Je le savais que tout n'était pas que fiction :o) alors je peux vous poser la question " comment allez vous trois jours après !!!! "
Et puis, Google regorge de solutions Chriscot !!!
je n'ai pas trouvé de chamanes !
avez vous essayé un bain de boue, assis !.. (bof ! )

http://www.doctissimo.fr/html/dossiers/mal_de_dos/niv2/lombalgie-medicaments.htm

http://entrainement-sportif.fr/mal-de-dos.htm

http://www.e-sante.fr/homeopathie-pour-soulager-mal-dos/actualite/981

chri a dit…

@ VéroniqueEn ce moment... tout va bien! Merci pour les adresse de soins Véronique, ça pourrait compléter ma collec d'expériences en médecine douce!

Lautreje a dit…

me voilà rassurée, ma culpabilité va mieux aussi ;-)!

chri a dit…

@Lautreje Ouf!

odile b. a dit…

Cette nouvelle photo de votre bannière, là-haut, elle est purement gé-niale ! Je l'adore !!
Avec un peu de temps, j'irai voir ce site.
Du lard ou du cochon, cette nouvelle histoire de bobo-ci bobo-la ?
Attention, quand même, à ne pas vous casser une jambe ou vous péter le dos pour de bon en grimpant si haut pour faire le curieux, pour voir encore plus loin, histoire d'essayer de rejoindre cette buse qui plane avec tellement d'aisance...
Vrai qu'elle a bon dos, elle ! :)

odile b. a dit…

PS
Je lis vos conseils... Sans doute, oui, "la mousse bienveillante", c'est plus raisonnable et plus confortable ! :)

chri a dit…

@Odile: Pour l'image, je suis d'accord avec vous, c'est une photographe hollandaise qui est née à... Leuwaarden... Et qui, je trouve, fait un travail magnifique sur les paysages "habités".
Pour le dos c'est fiction! Tou va bien. J'essaie de m'amuser avec les médecines dites douces...

chri a dit…

@Odile: Juste, il ne faut pas que j'abuse!!!

Tilia a dit…

Musique chamane ?
Contrairement à ce que l'on pourrait penser en regardant les images de la vidéo Mari Boine Persen est Sami, lapone de Norvège si vous préférez. Est-elle chamane ? Dans la mesure où le chaman est un intercesseur entre l'humain et les esprits de la Nature, alors oui, Mari est une chamane.

chri a dit…

@Tilia: Vous avez le chic pour dégotter des trucs improbables! Bravo! Et la Pygargue vous l'avez vue, la pigargue?

Tilia a dit…

Il y a longtemps que je connais Mari Boine Persen. J'avais acheté son CD quand il est sorti à la fin des années quatre-vingt. "Gula Gula", un chant qui m'avait immédiatement séduite sans rien savoir de celle qui chantait.

Le pygargue, ou la buse ? vous m'embrouillez, là :)

chri a dit…

@La musique de ma chamane (au canada, bien sûr...) c'était plutôt un mixte entre le Pérou et les comanches... Une musique Pémanche quoi!
Cela écrit, Mari Boine Persen, c'est pas mal! Des arrangements peut-être un peu datés, mais la voix est émouvante.

Nathalie a dit…

Ma chamane au canada,
Ma chamanagorda
Chabadabada

Bon moi tout ce qui m'importe c'est que le dos de l'écrivain le laisse tranquille pour l'instant. Je prends l'affaire de la chamane gordienne à condition que ce soit de la fiction. Sinon je ne ris plus du tout.

On a passé les trois jours. On a ledroit de savoir si elle a guéri le malheureux ?

chri a dit…

@Nathalie Un merci pour la compassion. Elle n'a rien guéri, la chamane puisqu'il n'est pas allé en voir! En revanche, au dessus de Gordes ou par là bas, il parait qu'une buse y vole bizarrement...

nathalie a dit…

Ah mais c'était le choix du narrateur de faire guérir ou non son héros. Je vois que l'auteur refuse de se prononcer et préfère se tirer en vacances... quel abandon ! :-)

chri a dit…

@Nathalie: Là où il en est je crois qu'il ne guérira jamais vraiment! La buse, elle a ses chances! Et lui prend l'air, un peu.

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