06 novembre 2011

Appelez la: Pouliche.

Il y a quelques jours, je reçois un mail de Nathalie du blog Avignon in photos qui me fait part d'un concours de nouvelles organisé à Vaison la Romaine: 

8e concours de nouvelles
Du 15 octobre 2011 au 25 février 2012
Désormais manifestation biennale, Vaison-la-nouvelle aura pour thème en 2012 la fiction policière sous toutes ses formes :
Les nouvelles policières devront impérativement commencer par les premiers mots du Voyage au bout de la nuit de L.-F. Céline : ‘Ça a commencé comme ça. Moi, j’avais jamais rien dit. Rien.’… et nous entraîner dans l’univers du Polar.
Je me mets au travail. (Enfin travail, il faut l'écrire vite!). 
Et, quelques jours plus tard, voilà le plaisir, je vous propose ma pouliche du concours:


Au bout de l’ennui.

Ça a commencé comme ça. Moi, j'avais jamais rien dit. Rien. À peine bonjour. J’avais pas eu le temps, faut dire. Ils n’allaient pas me reprocher ça tout de même?
Voilà exactement ce qu’était en train de se dire le gars menotté au siège qui accueillait sans entrain particulier sa paire de fesses. Ça faisait bien un couple d’heures qu’il était assis là sans qu’aucun type qui allait et venait dans le bureau ne s’adresse à lui, ni même lui jette un œil. C’est bien simple, il avait finir par penser que pour eux, il n’existait pas. 
La vérité n’était pas loin.
Les quatre ou cinq gugusses qui bougeaient comme des carangues dans ce fatras incroyable, entraient, sortaient, téléphonaient, s’invectivaient, passaient un coup de fil, se parlaient à voix basse en le regardant bizarrement, prenaient un dossier, en extirpaient une chemise, l’ouvraient, lisaient une feuille, rangeaient la chemise en ouvraient une autre, appelaient un collègue dans le bureau d’à côté, lui posaient une question à propos d’une date ou d’un événement, tapaient la réponse après avoir demandé confirmation, ralaient contre cette bécane qui ne marche plus, refermaient violemment un tiroir, s’approchaient du  rectangle de lumière puisqu’on était sous les toits, restaient de longues minutes le regard perdu dans le bleu du jour… Bref, ils bossaient. Sous ses yeux sans s’occuper une seule demi seconde de lui.
De temps en temps, sans résultat, je demandais à un gars qui passait à portée s’il pouvait me filer un verre d’eau, il faisait une chaleur à sécher un dromadaire, forcément puisqu’on était sous les toits et qu’ils n’avaient plus droit d’ouvrir les fenêtres de toits, depuis qu’un type dans mon genre en avait profité pour tenter de filer en s'envolant. Par le haut! Il avait eu sacrément tort. Ce n’est pas tellement le fait qu’il se soit écrabouillé en bas pendant une garde à vue, qui les avait tant chagriné, c’est surtout que ce con soit tombé pile sur le toit d’une de leur bagnole garée dans la cour (En faisant ainsi, une Weegee de toute beauté!) et qu’avec les restrictions de budget dans l’air, ils n’étaient pas près de voir la peinture d’une nouvelle mégane. Ça oui ça les emmerdait gravement. Alors, ils préféraient transpirer un peu. Et puis, ils se disaient aussi que ça créait un certain climat plus chaleureux, davantage propice aux confidences. Un sauna de vérité en quelque sorte. Quand même, j’aurais bien bu un verre ou deux. Bien qu’il ne soit  que dix heures du matin. Deux heures que j’étais là, assis, sur ma chaise, comme un gland. Avant de me tirer jusqu’à l’étage, ils m’avaient fait mariner dans le coffre de leur bagnole. En rigolant comme des baleines : On a plus de place à l’arrière, tu verras, dans le fond, c'est tout confort, il y a de la moquette ! Puis ils m’avaient enfourné dans le noir comme une grosse dinde. Et sblam la porte ! Ah nom de Dieu, il y a des réveils plus agréables, je m’étais dit, une fois plongé dans le silence feutré. Mais je n’avais pas protesté, ni rien gueulé, j’avais vite compris que ça ne servirait à rien. Qu’en tous les cas, ça n’arrangerait pas mes affaires. Et puis ces deux plombes posé dans ce bureau, comme un imbécile dans une forêt de nobels. Perdu.
Je me suis revu au tout début, à l'aube claire, vers six heures, à l'heure où bleui la banlieue, au moment précis où ils ont tapé à la porte !  Ce sont leurs coups qui m'ont tiré du sommeil. Oui, par les cheveux. Quand je suis arrivé dans le couloir, ils y étaient déjà, une dizaine, des brassards rouge au bras. J’espérais qu’ils n'avaient pas ouvert la lourde à coups de pieds  parce que si oui, ils ont dû le sentir passer. Je venais à peine de faire installer une blindée, sécurité cinq points qui pouvait, selon le serrurier résister à tout et qui m’avait coûté un bras. Sauf qu’ils l’ont ouverte en moins de deux les types. Avec un bélier en acier. Ils ont tout arraché. J’ai souhaité qu’ils aient souscrit  à une bonne assurance…
C’est un hurlement qui venait du bureau d’â côté qui m’a sorti de ma porte.
Nom de Dieu ! Ou le gars était douillet ou il en recevait une bonne. Puis, très vite, je me suis dit que ce devait être du cinéma pour m’impressionner. Ça, il savent faire. De la mise en condition qu’ils disent. Comme les déglingos de la Bac. Les garçons vachers qui défouraillaient leurs pétards pour un oui et surtout pour un non. En vrai, ils font semblant, désormais, ils ne tapent plus, sur personne dans la police. Ou alors entre eux. Tout se sait, maintenant. La moindre gifle risque une palme d’or. C’est dans les vieux films noirs qu’on voyait ça, les coups d’annuaire sur le coin des museaux. Avec l’arrivée d’internet, voilà belle lurette qu’il n’y a plus d’annuaires dans les bureaux de police. S’ils devaient à chaque fois frapper avec leurs portables… Pour l’instant, ou ils cognaient vraiment fort ou le bureau d’à côté était sous C4. Ça faisait un barouf du diable. Puis, un des gars, hirsute, rougeaud est entré. Rien, pas un mot, il ne m’a même pas regardé, celui-là. Je commençais à m’ennuyer sévère. Ça devenait limite désobligeant cette façon de ne me prêter aucune attention. Je n’aurais pas été là c’était pareil. Sauf que mes poignets devenaient douloureux, une envie de pisser m’arrivait du bas ventre, j’avais soif, j’en avais marre d’être comme un vase sans fleurs sur une chaise sans âme.
J’ai tenté un : Dites vous êtes gentils, messieurs, vous pensez un peu à moi ? A celui qui déjà ressortait en marmonnant : T’inquiète, on fait que ça mon gars, on fait que ça que ça, tu vois bien !
Ensuite, il y a eu une longue très longue période de silence.
Une ambiance de fin d’été après le départ de la dernière hirondelle…
Et puis, un des agités, suivi de deux pontes, ça se sentait de suite que c’en était, ça s'est vu à leur mise, sont entrés à leur tour dans le bureau.  Ils ont donné l’ordre au sous fifre de me détacher, fissa. Comme si ça allait chauffer pour son matricule. Ils avaient l’air plutôt embarrassé… Emmerdé, même. Ils prenaient, maintenant, soin de moi comme si j’étais un moineau fragile. Je ne comprenais plus queue dalle à rien. Et ils s’excusaient à tours de bras et vous avez été bien traité au moins, et que tout ça c’était la faute à vraiment pas de chance.
Bon Sang ce qu’ils étaient ennuyés ces deux là ! Une double péniche pleine à ras bord d’ennui.
Si je n’avais pas eu si mal aux poignets j’aurais eu de la peine pour eux.
Alors, ils m’ont expliqué que leurs cons de flics (leur ton revenait à dire ça) s’étaient juste trompés d’UN étage… C’est au sixième qu’ils devaient taper, pas au cinquième. On se dit souvent, sous le manteau, qu’ils ont des lacunes en calcul, mais à ce point ! 
A partir de là, j’ai un peu profité de la situation et je dois dire que je me suis bien régalé, mettez vous à ma place… J’ai fait ma minaude : Je vais voir, avec mon avocat, la suite que vont prendre les évènements, nous allons décider si je porte plainte ou pas… 
Une vraie marinade.
Histoire de les enquiquiner… De me venger ? Oui, aussi.
Un quart d’heure après, j’étais dehors… Tout juste s’ils ne m’ont pas raccompagné. Je les ai senti à deux doigts de me payer une thalasso. En insistant, je passais la Noël aux Maldives aux frais de la Princesse...
Ils m’ont appelé un taxi. On est en train de vous réparer la porte, de repeindre le couloir et de faire un brin de ménage… Affables comme un duo d'Esope...

De cette journée passablement emmerdante, j’ai fini par écrire une nouvelle en témoignage. En cette période ou tout le monde écrit sur tout, témoigne sur tout,  ou n’importe quel pauvre diable à qui il arrive une misérable petite mésaventure de rien  se répand sans aucune vergogne dans tous les médias, pourquoi pas moi ?
Il n’est peut-être pas si difficile d’être aussi con que les autres, je me suis dit.
 
Le début faisait: « Ça a commencé comme ça. Moi, j'avais jamais rien dit. Rien. »
Ça ne sonnait pas mal, j'écrivais avec les oreilles et, sur ce coup, même si ces phrases me disaient quelque chose je n'étais pas trop mécontent de moi. 

En vrai, ce qui me faisait sourire, c’était le titre : Voyage au bout de l’ennui… 

FIN

13 commentaires:

Michel Benoit a dit…

Moi je m'éclate à regarder tes photos dans leur taille originale !

chri a dit…

@Michel Alors j'en suis content s'il y a éclate!

Tilia a dit…

Bonne chance pour le concours, à mon avis votre fiction est bien ficelée.

La blonde oxygénée hyper bronzée a l'air de s'ennuyer ferme : bonne pioche pour l'illu !

chri a dit…

@Tilia: Merci à vous! Je dirai!

LE CHEMIN DES GRANDS JARDINS a dit…

chri,
ça le fait comme on dit ici. Plus vrai que vrai. Juste pas envie de leur tomber dans les pattes à ces metteurs en scène, ces déglingos que tu croques ici, à pleines dents. C'est bien écrit. Les images naissent au détour des mots. Dire que la vérité est encore pire, parfois. Mais qui le croit ?

Je ne peut pas dire que j'ai passé un bon moment, car je me voyais à ta place.
Heureusement l'ami Bashung est venu me tenir compagnie.

Roger

chri a dit…

@Roger Dautais! Merci, mais je n'étais à la place de personne, c'est une fiction! Heureusement pour moi je n'ai pas eu droit à cette erreur de palier!

Nathalie H.D. a dit…

Pas de doute, ce type d'écriture te va comme un gant !
Y'a plus qu'à mettre sous enveloppe et hop, Vaison la Nouvelle n'a plus qu'à bien se tenir.

PS - Avec le coût de la serrure 5 points à rembourser, la nouvelle Mégane n'est pas pour demain :-)

chri a dit…

@Nathalie Merci! Le pris c'est 350 euros! Un bon restau pour trois personnes...

chri a dit…

@Nathalie C'est le prix qui est de 350! Le pris, lui c'est autre chose!

véronique a dit…

pas facile n'est ce pas les trucs un peu sur "commande" ... mais une fois encore je me suis laissée emporter par votre histoire, ne sachant absolument pas où vous vouliez nous mener ! une vraie chute ... en dernière ligne! on est là jusqu'au bout !
tenez nous au courant Chriscot

véronique a dit…

j'oubliais : le titre est parfait, la photo impec, l'ennui je sais pas, la réflexion peut être !
et .....le mot FIN avec les ... qui peut être ouvrent la porte à une autre histoire ! et si votre bonhomme n'était pas celui qu'on croit !! mais c'est une aure histoire :o)

chri a dit…

@Merci Véronique! C'est envoyé... Je vous dirai!

chri a dit…

@ Véronique Alors je vous dis: Queue dalle, je suis allé courir à Vaison le jour de la remise pour rien. Zont aucun goût par là-bas. Des inondés tiens!

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