Depuis la veille le ciel était encombré. Encombré comme on le dit de bronches malades.
La veille, il avait plu tout le jour. Du matin au soir. Et notre humeur en avait pris un sacré coup. Ca tombait assez mal, on n'avait pas besoin de ça pour être triste.
La veille, il avait plu tout le jour. Du matin au soir. Et notre humeur en avait pris un sacré coup. Ca tombait assez mal, on n'avait pas besoin de ça pour être triste.
On a enquillé l'autoroute en fin de matinée. On était cinq dans la voiture. On n'était pas serré, elle était grande. Pourtant on aurait eu besoin de se serrer un peu. Comme les manchots pour se protéger du froid. Nous, on devait se protéger du chagrin. Alors, pour ça, on a profité du trajet pour jeter en l'air quelques bêtises, envoyer deux trois trucs légers pour sourire un peu, pour se dérider, pour s'empêcher de pleurer.
Un de nos amis proche allait, désormais, se retrouver seul. Une crise cardiaque brutale, définitive, sans appel avait frappé sa compagne au coeur. Un évènement d'une violence inouïe. A dix heures tu es vivant, tu as des projets, des désirs, des ennuis, des choses à faire que tu remets à plus tard, une idée qui te vient, un disque à acheter parce que tu l'as l'entendu à la radio et que la chanson t'a plu, un jean à changer dont la fermeture éclair a sauté, une machine à faire, une autre à étendre, un reproche à adresser au vendeur de pizza de la veille qui t'avait sans doute prise pour une touriste, une reine n'est pas une royale, deux mots à dire au maçon sur sa façon de laisser le chantier en plan et sa conception de l'horizontale, un appel à passer au vendeur de ce magnifique buffet en merisier vu à la salle des ventes de Fréjus et sur le prix qu'il en exige, un mot à mettre sur le carnet à propos des absences du prof d'anglais en cette année cruciale, appeler M. pour lui préciser ce que tu as pensé du film que vous avez vu ensemble, la veille, cette commande de bois que tu n'as pas encore faite, le printemps n'est pas encore vraiment là, cette année, il y aura des soirées fraîches, le poêle ronronnera, rappeler à J.M. qu'il commande du champagne, puisqu'il monte à Reims, autant que ça serve, cette petite gène dans la gorge quand tu avales depuis hier midi...
Plus vivante, mais morte. Et, avec cette mort, tu viens, sans le vouloir, d'éclabousser de chagrin tous ceux qui te connaissaient, tous ceux dont tu t'étais faite aimer. Tous ceux qui t'avaient côtoyé, une heure ou deux, un jour ou deux, une fois ou deux. Tu ne les reverras plus, jamais et eux non plus. Rien n'a été dit, rien n'a été prononcé. Si ça se trouve, vous êtes restés, toi et eux, sur des mots durs, sur des reproches, sur des doutes ou bien même, sur des questions. Qui n'auront aucune réponse. Jamais. Pour une éternité. Entière.
C'est insensé! Tous ces départs violents, toutes ces morts brutales sont insensées. Il ne faut même pas essayer de leur en trouver un, de sens, parce que c'est à devenir fou.
Juste contempler le désastre, mesurer l'étendue des dégats et une fois passé un délai décent, tenter d'essayer de s'en remettre. En plus, il ne faut pas qu'il soit trop long, le délai, il ne faut pas qu'il fasse peser un poids trop lourd sur les épaules de la, maintenant, absente. Ce doit être déjà si difficile pour elle d'être partie si vite, comme ça, d'un claquement de coeur, comme une voleuse qu'il n'est pas nécessaire de lui en ajouter.
Qu'elle se sente vite pardonnée, un peu, de tous ces jours de chagrin que sa mort va faire vivre à ceux qui l'aiment...
A partir de maintenant, comment faire pour continuer à vivre dans cette maison qui a, comme été soufflée par l'explosion de ton départ? Comment continuer à habiter cet endroit qui n'a plus de toi?
Que continuer sans toi?
Voilà les questions qui se posent désormais.
Alors, lui, on s'est contenté de le serrer. Pour le serrer. Il nous arrive, parfois, de ne pas craindre le ridicule: nos seules paires de bras aimantes contre un immense chagrin?
Bien entendu c'était dérisoire, mais on n'avait que ça, sous la main, comme outil...
Le soir, sur le chemin du retour, sans doute parce qu'il n'était pas très fier de lui, le ciel, par dessus l'autoroute, nous a proposé un couchant d'une rare splendeur.
D'un coup cette douleur violente qui s'agrippe à ta poitrine, t'arrache le coeur et à dix heures trente deux, c'est fini pour toujours, tu es morte...
C'est insensé! Tous ces départs violents, toutes ces morts brutales sont insensées. Il ne faut même pas essayer de leur en trouver un, de sens, parce que c'est à devenir fou.
Juste contempler le désastre, mesurer l'étendue des dégats et une fois passé un délai décent, tenter d'essayer de s'en remettre. En plus, il ne faut pas qu'il soit trop long, le délai, il ne faut pas qu'il fasse peser un poids trop lourd sur les épaules de la, maintenant, absente. Ce doit être déjà si difficile pour elle d'être partie si vite, comme ça, d'un claquement de coeur, comme une voleuse qu'il n'est pas nécessaire de lui en ajouter.
Qu'elle se sente vite pardonnée, un peu, de tous ces jours de chagrin que sa mort va faire vivre à ceux qui l'aiment...
A partir de maintenant, comment faire pour continuer à vivre dans cette maison qui a, comme été soufflée par l'explosion de ton départ? Comment continuer à habiter cet endroit qui n'a plus de toi?
Que continuer sans toi?
Voilà les questions qui se posent désormais.
Alors, lui, on s'est contenté de le serrer. Pour le serrer. Il nous arrive, parfois, de ne pas craindre le ridicule: nos seules paires de bras aimantes contre un immense chagrin?
Bien entendu c'était dérisoire, mais on n'avait que ça, sous la main, comme outil...
Le soir, sur le chemin du retour, sans doute parce qu'il n'était pas très fier de lui, le ciel, par dessus l'autoroute, nous a proposé un couchant d'une rare splendeur.