27 juin 2012

Pour vivre heureuse...

Pour les impromptus littéraires. Le thème proposait de faire parler un objet.


Enfin ! Enfin, j’ai trouvé l’endroit idéal pour être tranquille, pour avoir un peu la paix, pour qu’on me la fiche ! Ici, là où je suis, je suis à peu près certaine qu’ils ne viendront pas m’y chercher.
Je suis tellement lasse de leurs larmes. Et ça dés le début. Moi, je voulais faire broderie. Une erreur, ça ne s’invente pas, d’aiguillage et je me suis retrouvée dans cet hôpital. Des siècles que j’y suis restée. Je suis si fatiguée d’eux. J’en ai tellement soupé de leurs réflexions déplacées, j’en suis tellement gavée de leurs peurs, de leurs regards pleins d’une peur parfois haineuse. Lorsque je m’approche d’eux, de leurs peaux, de leurs veines, je sens tout de leurs souffrances, je sais absolument où ils en sont avec tout ça. Grace à ce qu’ils me demandent de transporter pour eux. Que ce soit leurs saloperies de produits qu’ils prennent pour un ailleurs bien pire qu’ici ou que ce soit pour lutter contre les maux qui les assaillent. Je sais tout de leurs égarements, je connais tout de l’odeur suave de trouille qu’ils portent sur eux, en eux et dont ils s’aspergent à grandes bouffées d'angoisses.
J’en ai tellement assez de toujours représenter quelque chose de désagréable, d’intrusif, de funeste. J’en ai marre de cette mort que je côtoie de près, jour après jour, soir après soir, année après années.
Alors, j’ai foutu le camp. J’ai tout lâché. Eux, leurs veines et leurs manques, leurs muscles, leurs artères, leurs fesses, leurs épaules et leurs peaux.
Je me suis glissée dans une enveloppe dont l’adresse me convenait. J’ai un peu attendu mais il me fallait choisir la bonne et ne pas me tromper. Et après quelques jours de voyage, je suis sortie de l’enveloppe et je me suis jetée de la lourde sacoche de cuir du facteur. 
J’y étais, j’étais dans le bon champ ! Celui du père Barnabé que la Mari-Pierre avait soigné l’an passé et qui avait calanché net d’un arrêt du cœur passé la fête d’anniversaire de ses cent trois ans.
Elle en parlait souvent comme étant le plus riche du canton avec tous ses hectares de prés. Je me suis laissée porter par le vent jusqu’à la botte la plus centrale du Grand Champ. Une chance, ils venaient de couper l’herbe. Dans quelques jours, ils rentreraient les bottes et  les entasseraient dans la grange, la plus grande des granges du plus vieux des arrières petits fils de Barnabé.
La grange aux aiguilles qu’ils l’appelaient. Sans doute parce, justement, ils n’en trouvaient jamais.
Cette fois, pour une fois, ils auraient pu se tromper…



11 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour!
Lire " Revivre" de Frédéric Worms. Et quand on goûte la poésie on y trouvera avec plaisir des jolis moments chez Bachelard.
Papi René

chri a dit…

@ Merci Papi René...

odile b. a dit…

"Ah, misère ! Le destin d'une aiguille est bien difficile à prévoir ou prédire..."
L'image, sous le texte, laisse deviner le raffinement de la broderie main du vieux voltaire qui trône dans le salon de la somptueuse demeure bourgeoise, assorti aux lourdes tentures qui encadrent les fenêtres... un fauteuil voltaire restauré en beauté, signature d'un travail exemplaire d'aiguille.
Ouvrage d'art, peut-être, mais que le maître de céans doit se contenter d'admirer en pestant, sans plus jamais s'y asseoir, alors que le fauteuil lui tend toujours les bras... La jeune et jolie brodeuse de ce chef-d'oeuvre, talentueuse, en même temps soucieuse du respect dû à sa personne, aurait, dit-on, insidieusement et rageusement laissé sur l'envers de son travail, au beau milieu du siège, l'aiguille de ses derniers points, à l'adresse du maître des lieux... ; ce dernier, impatient de voir sa commande honorée, avait sauvagement invectivé la brodeuse et lui aurait botté les fesses en public pour l'enjoindred'achever au plus vite le travail commandé...
"Parole d'aiguille : mon premier souhait de faire dans la broderie eût été le bon...
Après avoir servi mes frères humains, me voir enfouie dans une botte de foin afin de me faire oublier, au risque de perforer l'estomac d'une innocente vache... avouez que c'est moins drôle et moins piquant, pour une aiguille, que de s'offrir, après la belle ouvrage accomplie, le plaisir pervers de transpercer les fesses d'un bourgeois tyrannique méritant bien de recevoir un juste retour de bâton !!!..."

chri a dit…

@ Odile Je suis en trin de me demander si finalement je ne poste pas mes petites histoires uniquement dans le but de lire vos commentaires!!!

chri a dit…

Et même en train!!'

odile b. a dit…

Z'êtes pas en trin-train de (me) charrier/chambrer, là ?
"Apprenez, mon bon Monsieur..." disait Jean de la Fontaine... :-D

chri a dit…

@ Odile Hé bien figurez vous que: Pas du tout!

Anonyme a dit…

Bien à vous Chriscot.
Le sous-titre est : " Eprouver nos blessures et nos ressources" . Il sait de quoi il parle et c'est un type très gentil dans la vie en plus, pas un penseur en chambre , un touilleur de concepts. J'ai lu en connaisseur.
Papi René

chri a dit…

@ Papi Alors s'il n'est pas touilleur, je note le titre. Les pas touilleurs je les aime bien.

Tilia a dit…

Pour vivre heureux, vivons (cachés)...
couchés...
dans le foin, avec le soleil pour témoin :)

chri a dit…

@ Tilia C'est un peu l'idée!!!

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