On est arrivés dans un vacarme assourdissant, comme un hurlement de métal.
Le convoi s’est arrêté dans des stridences. Les roues crissaient grinçant sur l’acier
des rails. Il faisait un froid à fendre les pierres. La nuit était de brume.
On était comme en Novembre.
C’était le premier jour.
C’était le premier jour.
Quelques temps avant, on avait prit un autre train à La Bastille pour
aller passer la journée en famille au bord de la Marne. Il y avait Simon, mon
père, Rachel ma mère adorée, Nathan mon grand frère et mes deux plus jeunes
sœurs Esther et Judith. Mon père avait réussi à convaincre Isaac notre grand père
de nous accompagner bien qu’il soit inconsolable depuis que deux ans avant,
Beth notre grand mère était morte à cause de sa maladie des poumons. Il
n’arrivait pas à repenser sa vie sans elle. Ma mère avait préparé un pain aux
amandes, de quoi manger sur l’herbe au bord de l’eau. Avril était doux cette
année là et malgré ce qu’on entendait en ville, les adultes s’étaient contentés
de nous dire : Que veux-tu qu’il nous arrive, puisque nous sommes
français. Ça nous changera les idées et les premiers rayons du soleil nous
feront le plus grand bien. J’avais eu le droit d’apporter ma canne à pêche à la
condition de la porter à l’aller et au retour.
Mes sœurs s’étaient bien moquées de moi en disant que je n’aurais pas le
courage de décrocher le malheureux poisson qui viendrait par hasard se jeter
sur l’hameçon. Et c’est une petite troupe joyeuse qui était descendue à La
Varenne Saint Hilaire et qui avait pris l'avenue du bac vers le fleuve. Nous avions passé une merveilleuse journée, loin des
bruits et des rumeurs de la ville. Loin de la guerre qui, depuis plusieurs années, maintenant, nous terrifiait. Bien
entendu, je n’avais rien attrapé mais je n’en étais pas fâché. Ainsi, je n’avais pas
eu d’animal visqueux et gigotant à décrocher.
Nous étions rentrés au bout du soir, à la nuit presque tombante fatigués et heureux. Juste avant le couvre
feu.
Isaac, en lui prenant les mains, remerciait chaleureusement son fils
de cette journée.
C’est deux jours après qu’ils ont frappé à la porte. Au petit matin,
Ils nous ont fait descendre, on a reconnu
des gendarmes. Tu vois bien qu’on ne risque rien les gendarmes nous
protègent a dit mon père. Ils nous on fait monter dans les camions militaires à
gazogène. On a passé quelques jours au camp de Drancy et puis on nous a fait monter
dans les wagons. Le voyage a été terrible mais nous étions ensemble. Nous le sommes restés, jusque là. Jusqu’à ce moment où le train dans le vacarme hurlant d’une
brume de Novembre a enfin stoppé. Là, on est descendu sous les cris et les
coups et ils nous ont séparé.
Certains, ailleurs, avaient décidé qu'ici, pour nous, ce premier jour serait aussi le dernier.
13 commentaires:
Souvenirs d'horreurs passées mais qu'il ne faut surtout pas oublier .
@ Brigitte: Vrai! Ne pas oublier.
amis du jour, prenez ça sur le coin de la gueule avec le café du matin, ça réveille.
marie.
@ Marie Décidément je pourris tes cafés du matin! Il faut que ça change!
pas toujours, quand même, mais faut avouer que t'as le chic, surtout quand il pleut -).
Marie.
Bon, deux jours ça devrait suffire pour digérer l'affaire... Ben non ! Je me demande ce qui me plombe le plus :
- Le poids de l'Histoire
- Le contraste (si bien rendu par le choix des mots) entre l'insouciance de l'enfance et le couperet qu'on voit venir dès le début et qu'on connait.
- Le fait que ce soit écrit à la première personne par un ami, ce qui du coup rend l'histoire... Pardon l'Histoire, encore plus prégnante...
Un bon moyen de passer de l'intellectualisation au ressenti vrai, pour ceux qui n'ont pas cotoyé de vrais témoins.
Je ne vous dis pas bravo, je vous dis merci.
@ M
Merci à vous... Je commençais à me dire que j'avais "tapé" si je peux dire, très très à côté de la plaque et j'en étais un peu triste.
Le texte m'est venu à propos de cette colère lors d'un diner d'anciens déportés au Lutétia... On leur a filé une table à pert et des serviettes en papier, contre des serviettes en tissus aux autres qui étaient d'anciens résistants... Et ils ont gueulé à juste titre...
C'est à dire que quand on tape, il faut s'attendre à entendre, d'abord, le silence ! Même bref, il est plein comme un oeuf.
En tout cas, la perplexité a ça de bon qu'elle fait refléchir au pourquoi de nos ressentis ... Ça vous a mit dans quel état d'écrire ce texte ?
@ M Ah, j'ai aussi vu sur internet un crétin prendre des poses en photo devant l'entrée du camp d'Auschwitz...
Mon état? Une émotion profonde.
que dire des premiers jours ... ailleurs ! car il y en a encore de ces massacres là.
Allez la prochaine fois raconterez- nous le premier jour d'un bébé qui vient de naitre ... et tous ses espoirs !
@ Véronique: Le premier jour d'un bébé? Une épouvante, il était si bien au chaud, protégé, nourri, bercé, chauffé, nu en apesanteur et il déboule dans un monde de bruit et de fureurs... Une épouvante!
oui mais personne ne s'en souvient ... vous imaginez !
@ Véronique Voilà sans doute pourquoi la mémoire ne nous vient qu'après! Sinon, notre vie serait marquée à jamais de ce cruel arrachement!
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