05 octobre 2012

Molle?


Ce n'est pas qu’il me l’ait aboyé qui m’a mis en rogne, c’est qu’il me l’a dit de cette façon là. Avec le ton dont il s’est servi. Il avait mis tout le mépris du monde dans deux mots. Qu’il se soit servi de cet adjectif, qu’il ait utilisé cette expression passe encore mais qu’il y ait mis ces intonations. Elles se sont vues comme un chignon sur la tête d’un chauve. Ca il n’aurait pas dû. En plus, j’ai passé une grande partie de l’après-midi à me demander s’il s’en était servi au singulier ou au pluriel. Parce que là aussi tout pouvait changer. Je me suis surtout demandé qui donc l’avait renseigné de manière aussi précise, qui donc en savait si long sur moi, qui donc avait intérêt à ce que cela se sache pour aller le lui raconter, et, du reste … qui avait bien pu lui dire ? Surement pas un ami.
Il me l’avait jeté à la figure comme on jette un bout de peau de poulet cramé à un chien qui serait loin de la table, comme on envoie une lettre anonyme à quelqu’un qui ne sait pas lire, comme on fait un doigt d’honneur à un aveugle. Le salopard, il était arrivé à ses fins, il savait que je détestais ça m’égarer dans la colère, me perdre dans une rage dévorante, il le savait que je ne savais pas comment m’en tirer une fois que j'y avais plongé, que je n’aimais pas rouler sans frein… Comme il devait bien jubiler, à l’heure qu’il est, cet enfant de pourri, ce fils d’ampoule, ce narvalo.
Tout avait commencé par une visite surprise, il avait sonné vers midi à la grille : « Je vais à Truc, je passais par là, je me suis dit que j’allais venir te dire bonjour et comme c’est l’heure de l’apéro, tu m’en proposes un ? »
"Entre...", j’avais répondu à l’interphone. Il faudra que je le débranche, celui-là, je m’étais dit en raccrochant. J’avais profité du laps de temps entre maintenant et son arrivée dans la pièce pour me trouver un sourire et me le coller au-dessous du nez, bien visible, bien franc, qui ne laisse la place à aucune question sur la sincérité, la chaleur de l’accueil que je lui réservais. Je l’avais doublé d’un : « Tu as bien fait de t’arrêter, j’aurais fait la gueule si j’avais su que tu étais passé sans sonner… » tonitruant quand il était entré dans la pièce, qui avait pour vocation de le mettre sur le cul et d'envoyer dinguer la moindre parcelle de doute. Je le connaissais, il était méfiant comme un écureuil craintif. C’était réussi. Il a chopé la première chaise et s’est laissé tomber dedans comme une bouse sur un carré de pelouse. Après deux ou trois verres, l’alcool aidant, je n’avais pas avalé une goutte depuis que je m’étais mis en tête de ne plus fumer sans grossir, j’étais donc dans le rouge depuis bien longtemps, environ le deuxième tiers du premier verre et lui, en profitait pour se servir des doses à assommer des bisons polonais, on a commencé à parler vraiment, c'est-à-dire à se parler vrai. On n'aurait pas dû.
On aurait dû rester dans le vague flou, dans le non dit pépére, dans le tu de ce qui est tu, confortable…
C’est fou ce qu’on emmagasine, ce qu’on entasse. C’est impensable ce qui se trouve dans les remises, c'est dément, tout ce qu'on aurait juré avoir enfoui dans des hangars géants et qui, alors qu'on les pensait à jamais perdus peuvent ressortir d’un coup, d’un mot d’une phrase, d’un souvenir. Toute ce mille feuilles de petites rancoeurs, de mesquineries minables, de honte bue qui ne demande en fait qu'à jaillir, voire parfois péter au visage de qui les remet au goût du jour...
L'air de ce mi-Octobre était doux, il y flottait une ambiance de grand ménage  d’automne. Un air  d’avant les premiers froids, celui d’avant le début des brumes, celui qui donnait envie d'ouvrir grand les placards, de tout déballer, de farfouiller dans le fin fond des armoires, de faire le tri, d’évacuer, de s’alléger avant la traversée des glaces, avant la venue de l’hiver et des banquises du coeur... Ces deux, là, se sont mis au diapason, à croire qu’ils étaient d’inventaire. En deux heures, ils allaient tout passer en revue. Certains fantômes s'en sont époussetés... Rien de ce qui leur est arrivé en commun tout au long de ces dix dernières années n’a pu résister. Ils ont tout mis dehors, jusqu'aux vieux planchers de tiroirs et ce ne fut pas joli, joli à entendre... Ah, ils en avaient, à se livrer des reproches et du ressentiment, ces deux là...
Jusqu'à cet instant précis où... Couille molle… Il m’a traité de couille molle. Enfin, il a juste osé un : « Tu ne serais pas un peu couille molle, toi ? Ça, je l’avais bien entendu, au delà de toute raison, ce n’était pas la peine qu’il le répète… Hé bien, il s’était fait plaisir, enhardi qu'il était par son petit courage tout neuf. J'avais été profondément blessé par le "molle"... Je crois que j'aurais préféré n'importe quel autre adjectif. Molle! Quel manque d'invention! Quelle facilité! Utiliser une injure surgelée, une courante, banale, limite… molle. Le signe évident, qu'entre nous deux la situation devenait, désormais, grave.
Molle?
La massette que j’avais bien en main a suffi largement pour péter son pare-brise, avant la fin de son demi-tour. Du coup, à son passage à ma hauteur, je me suis offert sa fenêtre côté passager pour faire bon poids. Et ainsi, résolument pulvériser son "molle", le faire voler en éclats… Si on se mettait à s'injurier aussi niaisement que tous les autres, c'était bien le signe d'un profond malaise entre nous. Dire qu'avec couille plate, voire même couille torve sa bagnole aurait encore toutes ses vitres et je ne l’aurais sans doute pas perdu.
C'est pas demain qu’on allait recauser en amis sincères, lui et moi.
Cette fois, on s’était tout dit.



14 commentaires:

Tilia a dit…

Et avec "mou du genou", ça aurait donné quoi ? :))

Anonyme a dit…

ben tu vois, d'expérience, je peux te dire que "couille molle", c'est le truc qu'un mec te pardonne jamais. faut le garder pour les cas graves !
Marie.

chri a dit…

@ Tilia Molle du genou? Répréhensible!

@Marie: Et pourtant si on réfléchit ça n'augure de rien!

odile b. a dit…

Pas mou du tout, le coup de massette, en réponse !
Plutôt hard et musclé... Seriez-vous violent ? Vlan et vlan ! Vous n'y allez pas de main morte !!!
C'est ce qu'on appelle, par chez nous, "flanquer une bonne roustée"... Ouille, ouille, ouille !

chri a dit…

@ Odile Peut-être que parfois écrire empêche de faire!

Brigitte a dit…

Aïe aïe aïe ... c'était l'injure suprême à ce que je lis, chez d'autre c'est juste :'"pov'con"et ça peut faire mouche aussi et très mal!
A déclencher une violence comme tu la décris ...
Ecrire permet d'évacuer beaucoup de choses et je peux que confirmer .
Bon week-end Chri

M a dit…

Un chouïa soupe au lait ? Les orchidoclastes rendent souvent acryohématique, vous en donnez une illustration sans faille.
Bon, et du coup, ça va mieux ?

chri a dit…

@ M Merci, merci deux mots nouveaux pour un samedi c'est pas mal!
Je n'ai rien à voir avec le casseur de pare-brise! Quoique...

chri a dit…

@ M PS Et puis ces deux là valent leur pesant! Orchidoclaste, je peux le replacer TOUS les jours!

véronique a dit…

ce que j'aime, c'est la photo qui illustre votre histoire Chri ! on la sent bien la colère :o)

chri a dit…

@ Véronique Que vous le remarquiez me fait plaisir parce que je les choisis avec soin dans mes albums! Parfois même, je les fais exprès pour illustrer l'histoire!
Alors, merci, merci!

Véronique a dit…

Suis toujours sensible au choix de vos photos CHRISTIAN.... Et chaque fois, elles illustrent si bien vos histoires, c'est un plus incontestable ! Et je sais combien c'est difficile .. De choisir .

Véronique a dit…

Mon coquin d'iPad à décidé sans me prévenir d'écrire votre nom en majuscule ! Il n'en fait qu'à sa tête !

chri a dit…

@ Véronique Dites lui qu'en minuscules ça me convient aussi!

Publications les plus consultées