02 novembre 2012

Deux lumières au loin.


Le thème de cette semaine pour Les impromptus littéraires était: Deux lumières au loin.

Il avait neigé pendant quatre jours et trois nuits. 
Des flocons gros comme des gaufres. Le pays avait été enveloppé de blanc et de silence en vingt quatre heures. L’électricité avait été coupée lors de la deuxième nuit. C’est le froid qui nous avait réveillé. On avait remis des bûches dans le foyer et le feu repartant avait joliment éclairé la pièce, les meubles en avait dansé. On avait quand même amené le matelas devant les lueurs rouges et on s’était rendormis les pieds dans la bouche d’un four. On s’était réveillé vers midi, il faut dire que la lumière du dehors avait baissé de plusieurs crans. Il neigeait toujours. Heureusement  que la réserve de bois était accessible sans qu’on ait à sortir. Il suffisait de descendre un étage pour y avoir accès et la cave en était pleine. Le seul risque était de se rompre le cou en manquant une marche. Nous descendions comme dans un escalier d’œufs.
Le premier matin, nous avions dévoré une miche presque entière et un pot de confiture, ça nous avait pris deux bonnes heures. Le ventre plein, nous étions retournés nous coucher et nous avions lu, parlé, joué.  Toutes ces choses que nous ne faisions plus que de temps en temps, à la va-vite, sans vraiment en être, en songeant à après, à demain, à la fatigue à venir, à la fatigue venant, bref sans vraiment être à notre affaire.
Ce n’était donc pas si bien qu’on voulait le croire…
Le soir, nous avons fait l'amour et des pâtes au jambon cru. Nous étions vivants et bien heureux de l'être.
Tant que le courant courait encore, nous avions pu appeler nos proches et leur dire que tout allait bien pour nous, ne vous inquiétez pas, nous nous occupons, enfin, de vivre. Vraiment.  Nous sommes à l’abri, au chaud, il nous reste des vivres, de l’eau, nous ne craignons rien, c’est même plutôt agréable, nous en profitons pour nous retrouver alors que nous vivions depuis quelques années sous les mêmes toits mais plus dans les mêmes rêves.
Et puis tout cela va bien finir par s’arrêter, un jour ?
C’est Paul qui avait eu l’idée de cette fin d’année dans ce hameau perdu de montagne. Une maison de village où ses grands parents avaient vécu et où ils venaient, en famille, passer quelques jours en été. Ils y étaient montés  tous les deux pour se retrouver avaient-ils dit à tout le monde. Ne comptez pas sur nous pour le réveillon, cette année !
Après une accalmie de quelques heures, au soir du quatrième jour, il s’est remis à neiger. Paul avait juste eu le temps de découvrir la voiture et d’attaquer le déneigement du chemin. Les toits des maisons étaient recouverts d’une épaisseur impressionnante. Bien sûr qu’ils vont résister a dit Paul, ils résistent à tout ça depuis deux cents ans !
Il tombait, cette fois, en rangs serrés, des flocons gros comme des poings. Ils sont rentrés s’abriter. Après avoir englouti une omelette aux cèpes ramassés en automne par Antoine et Violette qui, eux vivaient ici à demeure. Ils les avaient  sortis de bocaux rangés sur les étagères de la cave, ils se sont couchés devant le feu flambant. Ils ont un peu lu et se sont parlés longtemps avant de s'endormir l'un dans l'odeur de l'autre. C’est dans leur plein sommeil qu'en un fracas du diable, les toits, épuisés d'avoir résisté au poids de neige fraîche, se sont effondrés sur eux. C'est arrivé tellement vite qu'ils ne se sont même pas réveillés.
Au tout petit matin, ils n’ont pas vu non plus, tremblantes  au loin, les deux lumières frontales des premiers sauveteurs, montant péniblement dans l'épaisseur blanche, vers le hameau désormais dévasté...


20 commentaires:

Brigitte a dit…

Finalement c'était peut-être mieux ainsi ? j'veux dire qu'ils ne se soient pas réveillés ...
Eux aussi se sont retrouvé dans la froidure ...
Bises du jour

chri a dit…

@ Brigitte Ils ont fini sur une bonne note!
Merci pour la bise!

M a dit…

Une phrase, une seule ! Mais oui, je suis d'accord la partition a eu un joli point d'orgue...
Deux bises, c'est pas trop pour la même journée ?

chri a dit…

@ M Une seule phrase? Mince c'est peu! Non non c'est jamais trop! Je prends.

M a dit…

C'est peu mais plus que suffisant pour tout fo... en l'air !
Le reste, les autres, tout le bon, la jolie musique, et même la neige tiens, tout ça rechauffe le coeur !

chri a dit…

@ M Je suis d'accord, je voulais que cette phrase "augmente" encore le bon!

odile b. a dit…

Doux, tendre, et ouaté à souhait… avec une fin tragicomélodratiquement larmoyante !!!
Une miche et un pot de confiture engloutis… l'amour devant le feu et les pâtes au jambon cru, au milieu des meubles dansant avec les flamme… : c'était pourtant un beau début ! Vous en avez, vous, de ces chutes de toit !!! Peut-être s’étaient-ils tout simplement payé, pour le dessert, une petite orgie de gaufres au sucre glace qui leur a été fatale... :(
L’histoire ne dit pas si ça s’est passé du côté de Marseille, avec des flocons "gros comme des gaufres"… :D
Ici, un peu plus au Nord : pas de flocons, mais des grêlons gros comme des œufs de pigeon (sans blague, vrai comme je vous l'dis !)

chri a dit…

@ Odile Sortez casquée!

Tilia a dit…

Bravo Chri, vous vous y entendez à faire parler les morts !

chri a dit…

@ Tilia Merci! C'est une convention plaisante!

véronique a dit…

si j'avais à choisir .... pourquoi pas mourir comme çà !

chri a dit…

@ Véronique Ah vous aussi vous trouvez que ce peut être une belle fin!
Une avalanche en linceul
voilà qui a de la gueule...

Anonyme a dit…

Comme un coeur sous la banquise..?



Papi

chri a dit…

@ Papi Tout pareil! Vous savez lire sous les chutes, vous!

nathalie, avignon a dit…

J'adore cette histoire.
C'est beau et on en voudrait bien toujours des réveillons comme ça.


Prévoyants, ceux qui avaient fait sécher les cèpes à l'automne et rempli des bocaux. C'est donc qu'ils y venaient plus souvent que quelques jours en été, ces "parisiens", se dit Herlock Sholmes chargé de l'enquête
;-)

chri a dit…

@ Sherlock J'ai l'explication!
Je suis si content d'être lu!

M a dit…

Je viens de plonger en grand dans la neige, le nez en l'air : Le croisement des traces d'avions... Bravo encore !
Et puis un bon repas de plus, il fait bon revenir ici même si ça change rien, ils auront été choyés !

chri a dit…

@ M Vous étiez partie? Dans la neige?

M a dit…

La votre de neige !!!Je vous sens un peu engourdi par la pluie là... Non pour moi boulot jusqu'à maintenant, ce sera mieux la semaine prochaine !

chri a dit…

@ M La mienne était sur les hauteurs d'Annecy et maintenant sur les hauteurs de Nice avant d'être demain sur les platitudes de Maastricht... Je ne retrouve le Ventoux qu'en fin de prochaine semaine. Bon repos à vous, alors...

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