En ce matin du début Novembre, dans la région où j'étais, c'était temps de souffrance pour les coeurs, les cuisses, les poumons et les mollets.
Il fallait parcourir quarante deux kilomètres cent quatre vingt quinze entre Nice et Cannes. A pied. Pour ceux qui le voulaient, les autres n'étaient quand même pas obligés. Le changement, maintenant a ses limites.
Ils étaient quinze mille participants. Trente mille jambes en feux, quinze mille coeurs en fusion, quinze mille poumons malmenés. Je ne dis rien des paires de cuisses, ni des mollets...
Comme il y a bien longtemps que je ne cours plus qu'après un peu de calme, mon dos n'étant plus d'accord pour que ce soit après autre chose. Dire que je mettais une heure trente aux vingt kilomètres du temps où... Quelle misère...), je suis allé, ce dimanche matin, jour de peine pour les genoux et de maltraitance pour les chevilles, acheter des raviolis de chez Perrin, (ne me remerciez pas vous ne les avez pas encore goûtés, en revanche quand vous en aurez dégusté, vous me rendrez grâce à genoux sur des tessons de bouteilles, bien qu'ils soient passés de l'autre côté du miroir!). En effet, d'une fabrique familiale traditionnelle où on les faisait encore à la main, les Perrin point com étaient devenus une boutique hyper branchée et c'était tout juste s'ils ne demandaient pas une ordonnance pour condescendre à vous empaqueter quelques raviolis qui, cependant, restaient encore les meilleurs raviolis d'Antibes et peut-être même de toute la Côte d'azur. En sortant, mon paquet à la main et à la daube, je me suis dit: Tiens, si tu allais faire un tour vers les remparts, c'est là que les coureurs passent puisqu'ils longent, la côte. Tu vas admirer leurs rictus, leurs allures bancales, leurs tee-shirts flamboyants, leurs mines creusées, leurs corps entiers engagés dans l'effort. Ca te fera un bien fou de voir les autres souffrir ainsi de leur plein gré. Le tour des remparts se situe environ au vingt troisième kilomètre, il ne leur en reste plus que dix huit, une paille... de la taille d'une poutre en chêne, pour rallier Cannes.
C'est à la rencontre d'un fleuve coloré, rougi, soufflant, ahanant, respirant, suant, boitant que je suis allé. Un flot ininterrompu de shorts hors d'âge, de tenues bariolées, de tee-shirts brillants, de casquettes improbables, de chaussettes montantes, de marcels affriolants, de grimaces et de rictus... Ils couraient tous. Nous en étions à la troisième heure et les premiers, sans doute des kénians sortaient déjà de dessous la douche. Il restait environ une bonne paire d'heure de course à ceux qui passaient...
C'est là que je l'ai vue. Elle était belle malgré ses cheveux collés par la sueur et ses joues rougies n'ont pas changé mon jugement. Elle était toute mince, athlétique et portait tête haute malgré la rudesse de l'effort. En arrivant vers moi, nos sourires se sont rencontrés. Presque en dehors de nous. Ils se sont arrangés entre eux. En une seconde, ils se sont retrouvés entre nous et ont improvisé une jolie danse, gaie, une sorte de joyeuse et joviale java. On était à deux doigts de les regarder faire. Comme elle a continué à avancer, nos deux sourires dansant encore, elle est arrivée à ma hauteur, elle a bien tourné la tête pour que son sourire à elle ne reste pas derrière et puis elle l'a récupéré et j'ai repris le mien... Elle filait déjà. J'ai juste pu lire le numéro de son dossard. Onze mille deux cent quarante six. Elle était déjà loin.
Le lendemain, j'ai acheté le journal dans lequel je pensais trouver le nom correspondant au dossard. J'ai relu trois fois toute la liste des quinze mille noms. Rien. Pas de 11 246. J'ai foncé acheter un journal concurrent. J'ai épluché la longue, longue liste du premier au dernier arrivé. Même résultat. Le 11 246 avait disparu. C'était bien ma veine. Elle a dû abandonner en cours de route et n'a pas été classée, je me suis dit. Comment faire pour revoir ce sourire et savoir si les deux notres se plairaient encore sans la course?
J'ai eu l'idée désespérée d'envoyer une annonce dans le journal qui a organisé la course et publié les résultats:
A la concurrente n° 11 246 (onze mille deux cent quarante six) du marathon de dimanche. Nos sourires ont joliment dansé vers 11h30 sur les remparts d'Antibes, je ne souhaite pas oublier le votre, parlons en! Mon n° de portable: 0608384 etc. Je suis au bout de la ligne, le coeur cognant et j'espère votre appel.
En attendant qu'elle réponde, je me suis payé une paire de chaussures pour les courses de très longues distances...
C'est à la rencontre d'un fleuve coloré, rougi, soufflant, ahanant, respirant, suant, boitant que je suis allé. Un flot ininterrompu de shorts hors d'âge, de tenues bariolées, de tee-shirts brillants, de casquettes improbables, de chaussettes montantes, de marcels affriolants, de grimaces et de rictus... Ils couraient tous. Nous en étions à la troisième heure et les premiers, sans doute des kénians sortaient déjà de dessous la douche. Il restait environ une bonne paire d'heure de course à ceux qui passaient...
C'est là que je l'ai vue. Elle était belle malgré ses cheveux collés par la sueur et ses joues rougies n'ont pas changé mon jugement. Elle était toute mince, athlétique et portait tête haute malgré la rudesse de l'effort. En arrivant vers moi, nos sourires se sont rencontrés. Presque en dehors de nous. Ils se sont arrangés entre eux. En une seconde, ils se sont retrouvés entre nous et ont improvisé une jolie danse, gaie, une sorte de joyeuse et joviale java. On était à deux doigts de les regarder faire. Comme elle a continué à avancer, nos deux sourires dansant encore, elle est arrivée à ma hauteur, elle a bien tourné la tête pour que son sourire à elle ne reste pas derrière et puis elle l'a récupéré et j'ai repris le mien... Elle filait déjà. J'ai juste pu lire le numéro de son dossard. Onze mille deux cent quarante six. Elle était déjà loin.
Le lendemain, j'ai acheté le journal dans lequel je pensais trouver le nom correspondant au dossard. J'ai relu trois fois toute la liste des quinze mille noms. Rien. Pas de 11 246. J'ai foncé acheter un journal concurrent. J'ai épluché la longue, longue liste du premier au dernier arrivé. Même résultat. Le 11 246 avait disparu. C'était bien ma veine. Elle a dû abandonner en cours de route et n'a pas été classée, je me suis dit. Comment faire pour revoir ce sourire et savoir si les deux notres se plairaient encore sans la course?
J'ai eu l'idée désespérée d'envoyer une annonce dans le journal qui a organisé la course et publié les résultats:
A la concurrente n° 11 246 (onze mille deux cent quarante six) du marathon de dimanche. Nos sourires ont joliment dansé vers 11h30 sur les remparts d'Antibes, je ne souhaite pas oublier le votre, parlons en! Mon n° de portable: 0608384 etc. Je suis au bout de la ligne, le coeur cognant et j'espère votre appel.
En attendant qu'elle réponde, je me suis payé une paire de chaussures pour les courses de très longues distances...
20 commentaires:
Il y a des instants de vie incroyables, une fraction de seconde, on se rend compte d'un immense bonheur, ou d'une intensité particulière. Il faudrait le saisir, mais il n'est pas palpable, cela se passe dans le temps du Kairos.
J'ai presque envie de chercher ce numéro pour vous tiens!
@ Terre indienne Merci à vous Christiane cherchez, cherchons!
Une paire de pompes à semelles compensées ?
Marie.
@ Marie Oui, oui, Marie avec de très hautes semelles!
... si vous la retrouvez, j'ai bien peur que vous deviez inévitablement vous re mettre à la course à pied Chri !
mais il y a des moments comme çà ... furtifs !
@ Véronique. Vous savez bien, Véronique qu'il ne faut pas croire tout ce que je raconte...
11 246 ?
C'est bien ça ?
Mais je viens de la voir filer !... là... à l'instant...
Elle est comme l'eau vive, cette petite !!!
Dans ses yeux, c'était clair : celui qui veut tenter de la rattraper doit d'abord arrêter immédiatement les raviolis de chez Perrin et dire adieu définitivement à la daube (c'est pour cela, a-t-elle dit, qu'elle souriait et lançait des clins d'oeil à ses admirateurs...) Ensuite, bien sûr : les chausser, ces pompes toute neuves, fraîchement achetées, et s'entraîner, courir, "courir-vite-si-vous-le-pouvez"...
Ou bien, a-t-elle ajouté en haussant les épaules : se contenter de gratter la guitare et danser la java tout seul... :D
@ Odile Bon, alors, je fais quoi, moi, maintenant avec une java sur les bras?
je suis bien certaine qu'il y a toujours un petit brin de vérité :o)
@ Véronique Le passage de la course en est une, j'ai des photos!
Ben c'est clair, Chri !
Reprenons :
1 - finie, la bonne petite daube du dimanche qui pèse sur l'estomac et alourdit le pas ;
2 - "bon pied bon oeil", intégrer vaillamment le peloton des coureurs.
Voilà de belles résolutions pour :
1 - vous éviter de sombrer dans l'ironie sarcastique en regardant passer une course, avec, en main, un paquet gourmand de raviolis de chez Perrin (!)
2 - vous donner l'opportunité (qui sait...) d'avoir, de plus près, à vos côtés, sur un parcours de quarante-deux kilomètres, un certain dossard Nº 11 246 et peut-être bien d'autres encore...
Résultat des courses : gagnant-gagnant.
Chri, je reprends à mon compte l'expression drolatique :
"vous me rendrez grâce à genoux sur des tessons de bouteilles"... :D).
PS
Origine de l'expression "bon pied bon oeil" :
http://www.linternaute.com/expression/langue-francaise/660/bon-pied-bon-oeil/
PPS
Mais, c'est la route qui monte de La Gravette au musée Picasso ?
PPPS
J'aime bien la précision : "il fallait parcourir quarante deux kilomètres cent quatre vingt douze !
PPPPS
Mais, ce ticket de caisse, c'est de l'incitation à la débauche !!!
@ Odile Ce sont les remparts d'Antibes et oui de la Gravette au musée Picasso!
C'est 42,195, je me suis trompé de trois mètres...
Ah, ah: perrin.com à pleurer de rire!
Pas mal le coup de la livraison de Raviolis en guise de ravitaillement ! (Ben oui, mais c'est à cause de la photo ça !)
@ M: Sourire!
Why LOL ?
C'était pour dire, et pas pour rire !
@ Odile C'est perrin.com qui me fait rire. Ils se sont mis à se prendre très au sérieux chez les perrin!
Avec une paire de basket neuve "qui courent vite" et ta boîte de raviolis à la main, peut-être vas-tu retrouver ce dossard au joli sourire ,qui sait ???
Bonne et belle semaine
@ Brigitte Et si le joli sourire c'était ma jeunesse? Ce serait bien bien bien rapé, alors!
PS Du rapé sur les raviolis tout est parfait!
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