18 mars 2015

Là-bas, hier.

Pour  Les impromptus littéraires de la semaine. Il fallait partir de cette image de cette barrière où derrière elle, des activités criminelles se trament, à vous de décider lesquelles. 




Là-bas, hier.

Tout a commencé dès le dernier coup de pinceau.
Le grand-père avait posé une toile épaisse pour protéger ses vieux genoux disait-il et au dernier passage de la brosse il a regardé avec fierté. Derrière lui, dans son dos deux enfants jouaient en se courant après et riant à cœurs déployés. La couleur ne lui plaisait pas trop mais il l’avait peinte avec ce qu’il avait trouvé dans son atelier, un vieux pot qui lui restait de la porte du garage.
Mon grand-père mettait ainsi fin à trois jours de travail. Il avait pris des mesures, acheté le bois, scié, poncé, assemblé, collé, vissé, reponcé, posé, peint et vernis. Pour un gars qui ne bricolait pas, son truc c’était plutôt les vaches  et les arbres, il n’était pas fâché d’en avoir fini.

On va s’en jeter un pour fêter ça il me disait. J’avais huit ans. Il s’en moquait, il me servait un verre ça lui en faisait deux à boire. En vrai, tout lui était prétexte à s’en descendre un ou plusieurs. À tel point que c’est la sobriété qui l’a tué. Bien plus tard, quand son médecin lui a appris que l’alcool et lui c’était fini, il est rentré chez lui en s'arrêtant dans chacun de tous les bars de son village puis il a choisi la plus belle poutre de la grange. Une heure après, on n’en parlait plus.
Pour l'instant, c’est la grand-mère qui allait faire sa contente depuis le temps qu’elle la réclamait cette barrière. Ainsi, le Youki, leur chien de gouttière, ne risquerait plus de se faire écraser par toutes les voitures qui traversaient le village. Enfin, toutes, il fallait le dire vite, avec celle du facteur, il devait y avoir trois passages, les jours de grande affluence. Il s’est levé, s’est reculé : Pour l’instant sa barrière pimpait, fièrote, dressée comme un rempart d'Avignon entre le jardin de derrière et la rue de devant. Elle a gardé son semblant neuf les deux premières années et puis elle a vieilli comme les genoux du vieil homme, qui a fini par ne plus pouvoir se lever de son fauteuil, de son lit, de sa vie, sauf pour aller faire des acrobaties dans sa grange. Puis, le Youki est mort du diabète, trop de bouffe avalée et plus assez d'exercice, le monde lui étant désormais interdit. Sa maîtresse a suivi le grand père bricoleur, un des dimanches suivant, sans doute  à cause de la solitude et du chagrin et les enfants n'y sont plus venus. La maison, le jardin et sa barrière ont été abandonnés aux morsures des vents, aux griffures des hivers, aux gifles des pluies. Petit à petit, le tout s'est délabré, brisé, effondré, les années se sont écoulées. La jeune et jolie barrière a fini de se dépeindre, de se délabrer, de perdre ses vis, de se ronger les pattes, de n’avoir plus aucune utilité, de ne plus devoir rien défendre, ni personne.
Au fond, il était là le véritable tueur. L’implacable meurtrier des choses humaines. 
Comme le chantait à peu près l’autre qui n’avait pas été épargné ni par les verres engloutis ni par l'âge lui non plus :

Le temps est assassin et emporte avec lui les barrières de bois et les rires des enfants...

16 commentaires:

M a dit…

J'aime beaucoup ta façon de traiter le thème ! Et comme tu as raison, un vrai vaurien ...
Rien à voir, mais elle a un joli chapeau ta tour d'ivoire !!!

chri a dit…

@ M Merci M! Eux un peu moins, ils ne l'ont même pas mis en ligne...
De quelle tour d'ivoire est-ce-que tu parles-tu?

chri a dit…

@ M Ah, j'y suis c'est une des quatre tours du château d'Aiguilles... Au-dessus du barrage de Sainte Croix...

Tilia a dit…

Joli texte !
Quand j'ai lu le sujet, je me suis dit "sûr que ça va être une histoire de mauvais voisinage". Et ben non ! C'est beaucoup mieux que je ne pouvais l'imaginer.
Je n'avais pas pensé au temps, cet assassin insidieux qui finira par nous mettre tous à plat.
Quelquefois les maisons s'en tirent mieux que les gens ou les bêtes, qui hélas ne reviennent jamais.
Ce fut le cas pour la maison de mon enfance. Après la dizaine d'années d'abandon qui a suivi le départ de mon père (désormais trop âgé pour vivre seul) elle a été sauvée de la ruine et totalement ressuscitée par les personnes qui ont racheté ses murs et qui l'ont complètement transformée de l'intérieur, le garage étant maintenant une salle de séjour.

chri a dit…

@ Tilia Merci à vous. Vous me réconfortez sur l'angle pris. Ils ne l'ont pas publié... Ne devait pas correspondre au thème d'après eux!

chri a dit…

@ M:
/Users/christiancottard/Desktop/images.jpeg

M a dit…

En principe, ils ne " censurent " pas sans envoyer un p'tit mail...
Frustrée je suis, le lien ne fonctionne pas :-(

M a dit…

PS: Mention spéciale pour le titre :-)

chri a dit…

@ M Je n'en ai pas reçu de mail! Tant pis, il est bien ici.
Merci pour le titre.

Enitram a dit…

Un beau texte ! Vraiment ! Qui m'a touché !!
Ah le temps qui passe mais qui ne meure pas, lui !!!
Quand j'ai vu un jour, la maison de ma petite enfance barricadée de parpaings à toutes ses fenêtres, je n'ai pu empêcher une larme de couler ...
Tes mots sur le temps m'ont fait penser à ceux de Jaccottet !
Belle fin de semaine et à bientôt

chri a dit…

@ Martine Merci , merci...

odile b. a dit…

... Avec le temps
avec le temps va tout s'en va"

chri a dit…

@ Odile C'était l'idée pas très neuve je suis d'accord...

véronique a dit…

" mistral gagnant " Christian ! qui d'autre que vous aura pensé à traiter ce sujet comme vous ?
Personne !

véronique a dit…

j'aime beaucoup la photo aussi !

chri a dit…

@ Véronique Merci à vous... La photo était proposée par les impromptus.

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