13 mars 2015

Le drapeau blanc.

Pour Les impromptus littéraires de la semaine. Le thème était : Le drapeau blanc.



               C’est au moment où le caporal chef Jules Monteils a levé, le plus haut possible au-dessus de la tranchée le morceau de bois auquel il avait noué un vieux bout de tissu blanc et qu'il s'est levé que la balle lui est arrivée juste au beau milieu du visage, pile entre les deux yeux. Le trou qu’elle a fait n’a pas saigné de suite. Jules s’est d’abord affaissé de tout son poids dans la boue molle et gelée comme un atterrissage au ralenti. C’est seulement après, qu’un filet de sang comme un brin de vie, s’est écoulé sur sa joue droite. Le ciel était rose comme un pâle début d’aube. Dans l’air, ça sentait la poudre, la peur et le sang d'homme séché. Quelques heures plus tard, alors que son bras désormais rigide n’avait pas lâché le morceau de bois et sa bannière, là-bas, dans un château sur une colline, des officiels en grand uniforme d'apparat, bardés de décorations clinquantes, s’allumaient mutuellement des cigares, un vieil armagnac en main après avoir signé l’armistice qui mettait fin à quatre années d'une épouvantable guerre. 
Ils avaient à peine maigri et échangeaient en se souriant cordialement.
Jules, lui, resterait dans l’histoire le dernier mort de la dernière bataille de la dernière journée de cette guerre ci. Il est mort alors qu’il allait se rendre, alors qu’il disait au monde qu’il en avait assez vu, que ses compagnons et lui avaient assez souffert, qu’ils n’en pouvaient plus de la douleur, des cris, de la faim, des rats, du sang, de la boue, du froid, de la merde et de l’odeur de la mort.
On l’a enterré  dans un immense pré vert, à quelques lieues de là, dans des rangées avec tous les autres, ses semblables, squelettes vivants, enveloppé dans le chiffon blanc, ce drap, peau de malheur qui n'aura sauvé la vie de personne.
Une semaine plus tard, deux sergents en uniforme repassé, portant valisette, la mine sombre, entreraient dans la cour d’une ferme vers Camarès au sud  de l’Aveyron. Ils viendraient annoncer la mauvaise nouvelle à Mathilde, la toute jeune femme de Jules. Elle entendrait mais ne pleurerait pas. Voilà trois interminables années  qu'elle se vidait de toutes ses larmes.

Jules Monteils était désormais devenu un nom de plus à graver sur le futur monument aux morts. Ce qui causerait le plus de chagrin à Mathilde était de le savoir enterré là-haut tout seul, pour l’éternité, dans les terres tristes des brumes et des hivers sans fin.
Pas loin de cent ans plus tard, presque jour pour jour, une sinistre  après-midi de Novembre, dans un pays en paix, un gamin joyeux de sept ou huit ans, Nathan, Nathan Monteils, s'égratignera le genou en tombant de trop courir sur le vert des pelouses couvrant le sol, entre les croix blanches d'un cimetière militaire, en terre lorraine, à la recherche de celle de son aïeul Jules, mort un chiffon à la main, pour la paix, la patrie et la prospérité des marchands de canons...





3 commentaires:

M a dit…

Le dernier... y aura-t-il un jour le véritable dernier ? Pauvre humanité qui a autant de mémoire qu'une amibe

Véronique a dit…

C'est sûrement une histoire vraie !... Encore aujourd'hui des hommes meurent un drapeau blanc tendu vers le ciel ! Pour que dalle

chri a dit…

@ M Je te trouve très sévère avec les... amibes

@ Véronique: Sûrement!

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