17 mai 2015

Professionnels...

Quoiqu’il en soit ce n’était pas, juste avant l’entrée dans le village, le dernier arbre de la longue ligne droite contre lequel la voiture s’est écrasée qui les a tués. Ils étaient plus ou moins morts bien avant. Tous. Les trois.
Ils l’étaient déjà au restaurant. Sans doute au moment du dessert. Ou bien tout de suite après. L’autopsie le dira. On les a vus tituber vaguement en sortant. Bien qu’ils n’aient pas bu que de l’eau, quelqu’un leur en voudrait assez pour avoir pris le risque de les empoisonner? Une hypothèse assez farfelue tout de même. Du moins c'est ce que l'un des deux pensait. Le plus vieux pour tout dire. Que la voiture ait pris feu sous le choc ne l’a en rien fait changer d’idée. Pour l’instant. D’instinct il s’était mis en chasse sur cette piste comme un vieux sioux. Son expérience parlant pour lui. Et il connaissait les gaillards cuits et le restaurant. Mais qui se type là ne connaissait pas? Trente ans d'enquêtes dans la région ça vous pose un bonhomme.
Autour d'eux, une escouade de clones en blanc de la laque aux pieds prenait des photos, ramassait des fragments, relevait des empreintes, faisait des prélèvements dans un silence assourdissant. Ils n'échangeaient pas un mot, pas une grimace, pas un signe. Ils travaillaient comme s'ils étaient devant une scène banale sans aucune charge émotionnelle. Des robots froids.
Au moins, ces trois là n’ont pas souffert plus que nécessaire. Ils n’étaient pas les seuls à avoir reçu. L’arbre lui non plus ne s’en remettrait pas. Le platane avait flambé net. On avait dû voir les flammes à des kilomètres. Du reste on les avait vues du restaurant. Le serveur sorti s’en griller une allait confirmer.  Maintenant, il fumait, le platane.  Ses feuilles encore attachées aux branches. On n’a pas retrouvé grand chose d’eux et le peu qu’on avait récupéré était quand même bien ratatiné, noirci, calciné. Une sculpture contemporaine encore fumante. On devinait des corps recroquevillés. Un peu dégueulasse comme image. Même pas des cendres. Comme des charbons de bois. Puants. Mais la mort est souvent dégueulasse.
Le plus jeune des deux a fait signe d’embarquer ce qui restait. Pour l’instant, ils en avaient vu assez. Les blouses blanches continuaient de s’affairer mais en silence. C’était souvent comme ça. On faisait un peu les malins mais on la fermait quand la mort rôdait dans le coin. Et là, pour avoir cogné, elle avait bien cogné. Tous ceux qui étaient encore sur les lieux se tenaient plus ou moins les narines pour éviter le mélange d’essence, de caoutchouc brûlés, de viande grillée et de caramel cramé. Les desserts ?
Le plus âgé regarda sa montre.

___ Merde il faut que j’y aille, je te laisse finir la routine, je vais me faire engueuler, j’ai promis d’être ce midi en famille. Mon beau-frère inaugure son nouveau barbecue…


10 commentaires:

M a dit…

Rhooooooo... J'espère que c'est la photo qui t'as inspiré ce texte et pas d'avoir été le témoin d'un accident pareil... Cette photo me rappelle le livre de Van Cauwelaert "journal intime d'un arbre" que j'ai bien aimé.
Pourquoi "les professionnels" ? Parce qu'ils se mettent à distance à force de ? Alors tu en ferais partie : "de caramel cramé. Les desserts"
C'est sans doute le fait d'avoir été partie prenante dans un bel accrochage hier matin, mais le sourire a du mal à s'afficher... Ce doit être ça !
Bonne fin de dimanche à toi !

chri a dit…

@ M Ai-je besoin de le dire: je ne savais pas... J'espère que tu n'as rien.
Pour le texte, si c'est parti sur cette voie, je n'en sais pas plus que lui.

Tilia a dit…

Si j'ai bien compris, ils étaient déjà cuits en sortant du restaurant.
Quant au soupçon d'empoisonnement, j'avoue ne pas piger. L'autopsie des cendres me semble parfaitement improbable ... !
Quant aux professionnels en question, c'est vrai qu'ils doivent se blinder, sinon pour eux c'est le burn out :-)

chri a dit…

@ Tilia Oui, se blinder.

Brigitte a dit…

Z'étaient peut-être un peu trop jeunes pour finir en caramel ?
Rhooo c'est dur !

chri a dit…

@ Brigitte Un peu oui, mais drôle aussi, j'espère...

Laurence Chellali a dit…

Rooooo, alors là je me demande bien d'où peut sortir une telle histoire ! On doit rire ou pleurer ? Les 2 mon commandant, c'est ce qui en fait le sel, n'est-ce pas ?

chri a dit…

@ Laurence Des tréfonds de moi-même! Oui, j'espère que c'est, aussi, drôle!

odile b. a dit…

Z'ont pas mis longtemps, "les professionnels", à boucler l'affaire... Le plus âgé, visiblement très pressé d'en terminer, a quand même pris le temps de passer commande en urgence aux élagueurs de venir dégager le platane de la route, pour la circulation.
—Vous en débiterez un stère en bûchettes de 50 par 7x7 et vous mettrez ça bien rangé, proprement, là, dans le coffre de l'estafette, en prenant soin de mettre une protection par-dessus et par en dessous..."
—"Et plus vite que ça !", avait-il gueulé au gars à la tronçonneuse, "c'est urgent, vous m'entendez !"...
La chose faite, les flics s'étaient pointés pour entourer les lieux de bandes signalétiques fluo et faire reculer les badauds qui commençaient à s'agglutiner.
— "Circulez ! avait gueulé le brigadier en chef. Un peu de décence... Y'a rien à voir !"
Avec son gyrophare en marche, arrivé à l'heure chez le beau-frère, l'autre avait ouvert le coffre de son estafette, bombé le torse et relevé fièrement le menton en disant :
— J'ai apporté le carburant pour le BBQ... : du sur mesure, calibré, bien séché, prêt à utiliser... Ça s'arrose, les gars !"
PS
Des caramels comme ça... : de quoi se casser les dents !!!
Perso, j'aime pas, mais pas du tout, du tout, rigoler avec ces choses-là... mais avouez : c'est vous qu'avez commencé !

chri a dit…

@ Odile Vous faut pas vous pousser! Êtes la prem à partir! Bravo, Odile je vous suis!

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